Imaginez le monde sans
Iron Maiden ( non, ne souriez pas ).
Votre discothèque est tout à coup amputée d'une bonne ligne de cinquante centimètres. Steve Harris a suivi les traces de son père et conduit des poids lourds à travers l'Europe.
Bruce Dickinson est un ex champion d'escrime, pilote de ligne de British Airways, ... Nous sommes donc en 2015 et le paysage musical est bien différent. Du fait du manque de cette influence majeure, beaucoup de groupes n'ont pas suivi le chemin que l'on connaît, d'autres n'ont même pas vu le jour. Comprendre ceci, c'est reconnaître la dimension mythique du groupe londonien. L'empreinte qu'il a laissée fait partie de notre petite histoire. Le Heavy
Metal n'aurait pas connu la même fortune sans l'incroyable coiffure d'Eddie,
666 et la prière la plus connue de la musique Rock (
Woe to you, on
Earth and Sea,... ), la cavalcade effrénée de
Piece of Mind, le péplum titanesque de
Powerslave, le son spatial de
Somewhere in Time ... Ce sont les gens qui fabriquent les mythes.
Mais revenons à la réalité.
Iron Maiden nous propose, en cette rentrée 2015, son seizième album studio. Au delà du mythe, ils ont simplement décidé de remettre l'église au milieu du village. Il est vrai que nous étions nombreux parmi les fans à attendre un sursaut de la bête, la pilule amère de
Final Frontier en travers de la gorge. Personnellement, je ne m'attendais à rien, sauf à une nouvelle déception.
Mais Maiden, tel un phœnix renaissant, « ardet nec consumitur », semble vouloir rallumer la flamme dès les premières notes ( et l'intro étonnante ) de If
Eternity Should Fail. Petit détail au passage : ils ont enfin remis ses pointes aux "N" et "M" du logo sur la couverture du livret ( ce n'était plus arrivé depuis X Factor ),... un signe ?
Clairement, le but de cet album n'est pas d'innover, vous l'aurez compris. L'intention est de faire ce que Maiden fait le mieux : du Maiden !
Première constatation : le groupe aurait donc retrouvé son âme. Cette fabuleuse machine à rêve qui a engendré le mythe serait de nouveau sur les rails. Avant de parler du contenu musical, voici en tous les cas un album qui raconte quelque chose sans que cela paraisse forcé. La trame littéraire est très pessimiste mais beaucoup plus "habitée" qu'elle ne l'était sur les trois albums précédents. Tout au long de l'album, un message nous est délivré, une vision apocalyptique de la civilisation, un appel au changement, un plaidoyer pour un retour aux choses essentielles de la vie sur fond de mythologie Maya. L'écriture est forte et claire.
Prophecy of sky gods, the sun and moon
Passing of old ways will come true soon
Falling of ages, forest of kings
The search for the truth,
The Book of Souls
A l'image de cette rime, Maiden semble animé de la volonté du retour aux sources. Sur
The Book of Souls, exit les refrains ad nauseam, les rythmiques de machines à sous, les intros laxatives et les plans de twin guitars en cacophonie mineure. Les nombreux déçus du virage adopté après BNW, dont je fais partie, peuvent se réjouir. L'exemple de
Empire of the Clouds, cette pièce magistrale qui frôle les 18 minutes, s'impose comme un condensé de ce que Maiden a de meilleur, une œuvre ambitieuse et entière à laquelle il serait difficile d'enlever quelque chose. La dimension progressive du morceau est évidente, comme cette évidence déjà présente sur
Seventh Son of a Seventh Son ( mais pas sur
The Final Frontier, n'en déplaise à certains fans ; remettez-vous les Marillion, Genesis, Yes et Supertramp dans les oreilles pour comprendre ). L'histoire de cette tragédie aérienne du R101, super dirigeable britannique, qui s'écrasa près d'Allonne en France le 5 octobre 1930 est ici contée avec brio par un
Bruce Dickinson revenu au sommet de son inspiration et justifie à elle seule l'acquisition de l'album ( si, si ). Ce n'est jamais ennuyeux, ni soporifique. Dickinson prouve une fois de plus qu'il est bel et bien un chanteur exceptionnel dans la maîtrise des différents passages émotionnels du morceau. De mémoire, jamais Maiden n'avait sorti un tel lapin de son chapeau.
Deuxième constatation : Comme déjà dit plus haut à demi-mot : Maiden joue mieux. Beaucoup mieux. Le plaisir de jouer ensemble est de nouveau perceptible. Les mélodies sont accrocheuses, les changements de rythmes judicieux, les solos de guitares bien torchés et les parties en twin guitars somptueuses. Le résultat est certes assez dense. A vrai dire, on ne sait plus où donner de l'oreille. Mais la production de Shirley est impeccable. Elle ne dénature pas l'ensemble, elle n'est ni trop lisse, ni trop brouillonne, et le mixage est pertinent. Chaque instrument est rendu de façon claire. Même Bruce a retrouvé sa voix, il n'est plus à l'agonie sur les notes hautes, il ne force plus ses limites. Une attention particulière a aussi été portée aux refrains, ils sont plus travaillés, en harmonie avec l'ensemble des morceaux. Les parties instrumentales sont parfois très complexes ; composées d'innombrables portes mélodiques qui s'ouvrent et se referment sans pourtant créer le moindre courant d'air ( les fabuleux The
Red and the Black et
Empire of the Clouds ), les guitares sont incisives et tourbillonnantes comme des essaims de frelons en plein vol ( The Great Unknown, When the River Runs Deep, Death or
Glory, Shadows of the Valley ) et les roulements de tonnerre du père Mc Brain sont toujours bien placés ( écoutez l'accompagnement de la partie instrumentale sur
Empire of the Clouds ). Même le ( désormais habituel ) thème orientalisant du titre
The Book of Souls est ici superbement exécuté, un hymne maidenien en puissance, avec un riff lourd comme un camion citerne, un refrain haut perché et, en fin de plage, un déluge d'agressivité comme on en attendait plus. Que demander de plus de la part d'un groupe qui a déjà 40 piges au compteur et qui n'a absolument plus rien à prouver ?
C'est sûr, Maiden ne joue plus tout à fait sa musique des années 80, pourquoi le feraient-ils encore ? Et même si l'album n'est pas en soi une révolution mais plutôt la consécration d'un style, il marque de façon convaincante l'aboutissement de plusieurs années de travail... et de doute. Il représente un édifice important dans la carrière d'
Iron Maiden, l'ultime coup d'éclat que l'on attendait plus. Au fond, quel est le groupe de cette génération qui peut encore se targuer de sortir aujourd'hui un album qui sonne d'emblée comme un classique ?
The Book of Souls marquera bien davantage les esprits que ne le fit
The Final Frontier, et il passera avec succès l'épreuve du temps ( je le sais, je le sens ). Car il y a dans cette œuvre à peu près tout ce qui a fait le mythe d'
Iron Maiden : des rythmiques sulfureuses, des mélodies géniales, des parties de twin guitars fantastiques, une vraie voix qui sait où elle va, des refrains qui font chanter et une histoire racontée avec panache. Même l'émotion est au rendez-vous avec le très beau Tears of a
Clown, hommage à l'acteur américain Robin Williams. En bref, un regain d'inspiration qui, à l'image de
Brave New World, avait officialisé le renouveau en son temps.
A une différence près pourtant :
The Book of Souls pourrait bien devenir un nouveau monolithe dans l'histoire du Heavy
Metal...
...
And in a country churchyard
Laid head to the mast
Eight and forty souls
Who came to die in France
Sur ces mots, le livre se referme, comme une sorte de testament. Car nous ne pouvons pas écarter l'idée que ceci est peut-être le dernier fait d'arme d'
Iron Maiden. J'en vois déjà certains secrètement s'en réjouir. Mais, si telle est la destinée du groupe, n'en déplaise à ces détracteurs,
Iron Maiden est ( et restera ) le plus grand groupe de Heavy
Metal au monde. Et
The Book of Souls, de tous les albums depuis
Seventh Son of a Seventh Son, un très grand cru.
Pour terminer, une réflexion me vient : et si effectivement
Iron Maiden n'existait pas, et si
The Book of Souls était le premier album d'un autre groupe,... il serait sans aucun doute considéré comme un authentique chef-d’œuvre.
The Final Frontier n'avait lui pas réussi à me captiver jusqu'au bout, contrairement aux riffs simples et accrocheurs de ce Book of Souls. Très belles compos, et ambiance captivante. Loin du Maiden flamboyant des 80's on n'en a toutefois pour son argent dans ce disque, c'est du Maiden et on le reconnaît tout de suite.
Et là, j'avoue que j'ai adhéré positivement à la dimension progressive de la 2° partie. Alors, oui ce n'est pas du Maiden, mais j'ai enfin apprécié leurs compos prog qui me laissaient de marbre jusqu'alors.
Ceci dit celà reste bien en deça de ce qu'on peut espérer d'un tel line-up.
D'ailleurs à quoi servent les trois guitares, plus de twins, plus de battle, la section rythmique en pré-retraite, le chant désormais chiant de Bruce ( sauf sur Tears of the Clown dont j'ai apprécié le chant).
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