A l'heure où vous lirez ces lignes, vous aurez déjà probablement disséqué de part en part "
Senjutsu". Alors à quoi bon ?
L’envie irrépressible d’écrire sur
Iron Maiden est trop forte, même si chacun aura déjà un avis bien tranché, souvent difficile à bouger lorsque l’on parle d’un monument comme de la vierge de fer. Les réactions, souvent épidermiques, que l’on soit fan ou détracteur, que l’on reste enfermé dans les années 80 ou constamment à la recherche du heavy metal d’antan alors que d’autres ont totalement accepté la mutation progressive des britanniques depuis déjà près de vingt cinq ans. Est-ce que "
Senjutsu" surprend autant que
Bruce Dickinson aime le dire ?
Pas forcément. Est-ce qu’il déçoit ? Aucunement. Est-ce qu’il apporte quelque chose ? Je dirais dix nouvelles chansons à l’héritage du heavy metal, qu’il ne salit en rien l’histoire du sextette et qu’il est une nouvelle occasion de parler des habitudes de chacun.
Eddie samouraï, une idée qui date de
Maiden Japan et qui trouve son aboutissement dans les superbes illustrations de Mark Wilkinson, autant dans la double pochette que dans les artworks intérieurs. Ne vous attendez pas à des éléments asiatiques ici, il y en a aussi peu que d’influences sud-américaines lorsqu’Eddie était affublé en maya. Maiden reste fidèle à lui-même et à la production organique de Kevin Shirley, ingénieur du son plus que producteur, Dickinson avouait lui-même que le groupe ne changera en rien sa façon de travailler et que Steve Harris a de toute façon toujours le dernier mot.
Entre deux tournées du "
Legacy of the
Beast Tour", "
Senjutsu" fut donc mis en boite, puis enfermé à double tour dans le disque dur du
Boss, attendant patiemment son heure que la pandémie lui laisse le temps de mûrir et de voir le jour dans de meilleures conditions. Deux ans qu’il est là, dans la tête des musiciens mais inconnu de tous. Deux ans que ces morceaux ont été jammés, créés, répétés et enregistrés dans la foulée et l’urgence, sans recul pour en préserver toute la spontanéité selon le groupe. On aurait pu penser que la situation exceptionnelle amènerait Maiden à réécrire des parties, retoucher des moments mais c’est mal connaitre un groupe sûr de lui qui ne touchera à rien et sortira l’album exactement comme il fut terminé deux ans plus tôt. "
Senjutsu" est là. Un nouvel double album de 81 minutes après "
The Book of Souls".
Les premières écoutes se veulent pourtant étonnamment digestes (ou alors sommes-nous simplement mieux préparer ?).
Plus fort et cohérent que son prédécesseur, l’album s’appréhende assez facilement, les titres se démarquent les uns des autres et les multiples écoutes amènent plus des détails que de la compréhension, laissent éclater les multiples couches de travail.
On pourra forcément trouver à redire sur la production mais elle reste dans la droite lignée des précédentes. Anachronique et totalement à l’antithèse des sorties numériques et compressés, "
Senjutsu" paraît au début maladroit et pataud, avec des guitares jouant au chat et à la souris, une caisse claire totalement en avant, un chant parfois voilé et une basse qui vrombit de partout. Fini le son plus sec et brut de "
Brave New World" ou "
A Matter of Life and Death" pour un rendu plus rock comme "
Dance of Death" mais bien plus vivant et palpable que celle de "Book of Souls", trop mollassonne. Vous comprendrez qu’il est bien inutile de comparer avec le groupe des années 80 mais bien de l’ancrer dans l’ère de la reformation.
Une fois l’écueil du son passé (ou nos oreilles habitués), "
Senjutsu" révèle de multiples plaisirs et s’avère simplement le meilleur Maiden depuis AMOLAD. Le title track s’ouvre sur une atmosphère lourde et très heavy, avec un rythme tribal instauré par un Nicko McBrain impressionnant pour son âge.
Pas de gros refrain, pas de titre simple pour ouvrir le disque mais une belle continuité à "If
Eternity Should Fail". Le riff ne rigole pas, se veut très épique et solennel, à peine gâché par des synthés que Steve semble vouloir coller partout sans en maîtriser vraiment l’essence (le clavier ne faisant pas le progressif, il faudrait soit embaucher un claviériste, soit apprendre à jouer plus d’une gamme car il se borne à jouer la même chose en nappe de fond tout l’album). La vraie claque du titre, ce sont les fabuleux soli, notamment ceux d’
Adrian Smith qui se veulent bien plus torturé qu’à l’accoutumé. Celui qui clôture le morceau est une véritable pépite, assez rare chez lui, qui risque de faire un malheur en
Live, surtout avec les lignes très épiques d’un
Bruce Dickinson plus impressionnant que jamais, n’accusant pas le poids des années et parvenant encore à sortir des parties vocales à se damner.
"
Senjutsu" est un condensé de tout ce que fait Maiden depuis 40 ans, surprenant même là où on ne l’attend plus. Ainsi, "Days of Future
Past" (une des nombreuses réussites du duo Smith / Dickinson de l’album) est clairement le titre court (moins de 4 minutes) le plus efficace depuis "
Different World", "
The Wicker Man" ou "The
Mercenary". Un refrain à faire chanter un stade (une denrée devenant rare), un rythme enlevé, une mélodie tellement typique mais créative et un côté heavy direct qui fait tellement de bien à entendre. Et dieu que le titre est difficile à chanter ! "
Stratego", s’il est sympathique, s’inscrit plutôt dans la lignée des plus dispensable "
Powerslave" et "
Speed of Light", figuration pour des clips mais bien moins consistant musicalement. C’est aussi un titre très aléatoirement produit, avec une guitare lead de Jannick ressortant totalement et faisant l’ensemble de façon très bancal.
Si surprise il y a, c’est plutôt d’avoir choisi "
The Writing on the Wall" comme premier extrait, finalement bien peu représentatif de l’album avec son côté bluesy / western dont il est le seul représentant dans l’album. Il est cependant une belle épopée signée une fois encore Smith, avec un refrain entêtant et un trio de soli parfaitement mené. On retiendra aussi la sublime "
Darkest Hour", provenant d’une idée de Bruce et évoquant les soldats lors du débarquement, comme une suite de "The Longest Day". Un superbe travail mélodique du guitariste introduit cette perle dans la lignée d’un "
Coming Home" ou d’un "Out of the Shadows" (avec une pincée de "
Children of the Damned," comme pour chaque morceau dans cette veine chez le groupe). La force du texte, l’interprétation incroyable de Bruce, littéralement habité ainsi que la mélancolie qui émane de la composition en font un grand moment d’émotion de plus de sept minutes.
Le temps. Il en est forcément question lorsque l’on regarde la durée des compositions de Steve, désormais incapable de condenser ses idées (ou simplement n’en a t-il pas envie ?), travaillant seul dans son studio à partir de multiples parties de répétitions et façonnant ses compositions telles des Frankenstein musicaux. A l’inverse de Bruce et d’
Adrian (les trois compositeurs principaux de l’album, Dave Murray n’étant pas crédité et Jannick sur seulement "
Stratego" et "The
Time Machine"), qui travaillent ensemble pour construire le titre, l’écrire en le jouant, profitant de l’énergie collective, Steve préfère le côté très méthodique et analytique de la composition en solo pour accoucher de ses titres. Quatre titres écrits seuls, pour plus de quarante minutes de musique ! Si certains trouveront à y redire (ce qui fut le cas sur "
The Book of Souls", contenant trop de remplissage et qui atteignant un plafond de verre avec "
Empire of the Clouds", peu cohérent et manquant singulièrement d’énergie), force est d’avouer que le maître est revenu cette fois avec de superbes moments d’émotions, à l’instar de certains grands titres de "AMOLAD" ou "
The Final Frontier". "
Lost in a Lost World" surprend déjà en plein milieu du disque pour la reverb étonnante dans la voix de Bruce, ainsi que le riff plutôt sec qui peut évoquer encore une fois "AMOLAD" et particulièrement "These Colors Don’t Run" ou "Brighter than a Thousand Suns". On retrouve un refrain simple à ressortir, martelé par Bruce mais ne terminant par le titre, à l’instar d’un "
Seventh Son of a Seventh Son", se clôturant dans une ambiance une fois de plus très mélancolique.
Forcément, le trio qui se détache est celui qui termine le disque. "Death of the Celts" ouvre quasiment ce second album dans l’album, dans une ambiance qu’on devine à l’avance comme un "The Clansman II". L’intro acoustique, assez grave et soutenu par des nappes de claviers, nous donne raison avec que le riff ne nous rappelle plutôt l’atmosphère de "The
Nomad" (sur "BNW"). Il s’agit clairement du titre le moins surprenant des trois, tellement typique des longs titres de ces dernières années qu’il aurait probablement pu être écourté pour ne garder que le meilleur. "The Parchment" en revanche, n’est pas du même bois. L’ambiance est grave dès le début, très sombre et angoissante. La mélodie presque ésotérique évoque parfaitement le texte sacré décrit dans la composition et un premier solo vient rapidement nous rappeler au côté théâtral de "
Dance of Death" ou "Paschendale". Fresque musicale de douze minutes, le titre recèle de multiples détails (l’accélération finale des trois dernières minutes !) et demande du temps mais prouve tout le talent du géant britannique qui a toujours des choses à dire et ne sombre jamais dans la facilité, tout en restant dans un certain confort (quel paradoxe !). Puis que dire du sublime "
Dance of Death on
Earth "pour clôturer ce récital et cette chronique ? Chef d’oeuvre “à la Harris” dans la veine du déjà magnifique "When the
Wild R.I.P. Blows" (le meilleur titre de "
The Final Frontier" et un des meilleurs depuis la reformation). On sent dès la mélodie d’intro que nous allons passer un grand moment, poignant et impérial. Tout est beau, bien ficelé, fort et presque évident, faisant passer un nouveau pavé de 11 minutes comme un digestif venant parfaitement terminer le travail. Deux minutes d’intro acoustique / nappe de clavier, démarrage sur un riff qui pourrait sembler abrupt (le lien entre l’intro et lui n’est pas évident au début puis devient simplement l’option choisie) et une mélodie délicieuse d’
Adrian. La mélodie vocale de Bruce est magnifique de bout en bout, sans jamais qu’un refrain répétitif ne vienne interférer dans l’histoire qu’il nous raconte. Véritable conteur, il dresse le constat glaçant d’un monde en perdition et des sentiments humains que nous perdons. Le break où il chante “Love in
Anger,
Life in
Danger” est taillé pour les concerts et permet d’embrayer sur une fin de titre où les mélodies sont au premier plan, pour revenir sur la mélodie d’intro et boucler la boucle.
Vous l’aurez compris, j’ai aimé "
Senjutsu", plus accessible malgré sa durée, plus cohérent et structuré que son prédécesseur. Moins de longueur qu’un "
The Final Frontier", trop écartelé entre des chefs d’oeuvres et des morceaux bouche-trou et beaucoup mieux écrit qu’un "
Dance of Death" qui alterne beaucoup trop entre le chaud et le froid. Il forme avec "
Brave New World" et "
A Matter of Life and Death" un merveilleux trio d’album “post albums cultes” qui démontrent qu’on peut encore écrire, créer et inventer des choses après 40 ans et 17 albums. Qui peut en dire autant ? Qui peut dire qu’il ne terni pas son image avec de nouveaux morceaux ?
Un album remarquable dans ce qu’il représente, dans le boulot graphique, textuel et technique (les solistes se sont vraiment fait plaisir et se sont triturés les méninges sur certains solo). Certes, "
The Number of the Beast", "
Powerslave", "
Somewhere in Time" et "
Seventh Son of a Seventh Son" sont loins, mais nous parlons d’une autre époque, d’autres hommes presque. Mais d’une seule et même légende. Prenez votre pied ou passez votre chemin. Maiden continuera à faire ce qu’il sait faire tant qu’il le peut encore. Et ça, c’est beau. Un grand merci.
Merci pour ce second point de vue bienvenu sur la dernière offrande de la Vierge de Fer, que pour ma part je n'ai toujours pas écoutée, craignant une nouvelle galette de Prog-Metal aussi prétentieuse que longue et indigeste (une constante, selon moi, depuis 15 ans chez Harris et sa bande).
Maiden restant Maiden, je finirai évidemment par craquer, et pour être tout à fait honnête, l'album est sur ma liste au Père NowHell… La magie des fêtes aidant, qui sait, j'aurai peut-être finalement une bonne surprise ?
Merci pour la kro ! :)
moi j ai beau le reecouter c est franchement pas terrible meme les solos ne sont pas extravagants on dirait un album de vieux
par contre surprise le chant de dickinson n a pris aucune ride et je me demande si en concert il va pouvoir assurer
mais quant a cet album c est bien moyen
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