Une plaine du Midwest désertique étouffée par une grisaille menaçante, une rivière fangeuse charriant des limons poisseux telle le
Styx conduisant les âmes en enfer, des herbes hautes se courbant au gré des vents sableux, une église solitaire désertée par la foi dont le tintement sinistre du clocher se perd dans l'écho venteux pour disparaître à jamais, ...
Telles sont les images qu'évoquent l'écoute de cet album de
Neurosis.
En 2004 les californiens de
Neurosis n'ont plus rien à prouver. Avec près de 20 années de carrière au compteur,
Neurosis est devenu l'un des groupes les plus respectés et influents de la scène
Metal/Hardcore se permettant de poser les bases d'un style novateur et de le faire évoluer album après album. Après
A Sun That Never Sets qui avait vu la musique du groupe prendre une nouvelle dimension grâce à l'incorporation d'instruments acoustiques (guitare, violon) dans de longs morceaux où l'ambiance prévalait, qu'attendre de
Neurosis sur cet album?
Sans surprise, le groupe nous surprend encore une fois. Qu'on se le dise,
Neurosis ne se répète jamais d'un album à l'autre tout en gardant ce savoir faire reconnaissable entre mille. En effet, dès les premières secondes de
Burn, le morceau d'intro, l'auditeur est à la fois déboussolé par tant de changement et réconforté de retrouver une musique qui, intrinsèquement, ne peut provenir que de
Neurosis. Une batterie tribale et puissante, rejointe par deux guitares pachydermiques, la voix de Steve
Von Till rocailleuse et virile mais surtout plaintive. Un premier frisson sur un pré-refrain hallucinant, le morceau repart, s'emballe avant de laisser place à une plage planante et psychédélique avant un final glaçant et surréaliste chargé d'émotions.
Telle est la recette de
Neurosis. Des morceaux longs et introspectifs qui prennent vie au fil des minutes, qui s'animent à chaque note jouée avant de s'emballer et se finir dans un final puissant, riche en émotions. Ceci pourrait s'avérer répétitif et ennuyeux pour n'importe quel groupe, mais pas dans le cas de
Neurosis. Car les musiciens d'Oakland sont doués; trop doués, trop intelligents, trop sincères dans leur démarche artistique. Entre riffs
Doom/
Sludge, rythmes tribaux, ambiances acoustiques et expérimentations sonores, le groupe tisse un canevas sonore d'une puissance émotionnelle sans égal.
Que ce soit sur No River To Take
Home où l'on s'imagine aisément flotter, porté par une rivière qui ne nous conduit vers la déchéance, sur l'instrumental, minimaliste et oppressant
Shelter ou encore sur le sublime I Can See You dédié à un proche décédé,
Neurosis transporte l'auditeur dans un monde sombre, dépréssif, introspectif et surréaliste dont la beauté n'a d'égal que le désespoir qu'il renferme.
Et que dire du morceau titre? Véritable pièce maîtresse de près de 12 minutes qui renferme toute l'essence de cet album majestueux. Un rythme lent et oppressant, une voix désespérée, des choeurs glauques, mais surtout des expérimentations sonores indescriptibles de beauté, d'angoisse et de justesse, une incroyable descente aux enfers ponctuée par un passage dans l'oeil du cyclone où Steve
Von Till, presque a capella, hurle son désespoir, par dessus les samples hallucinants de
Noah Landis.
On ressent tout au long de
The Eye of Every Storm une violence palpable mais maîtrisée que le groupe exprime avec une sincèrité déroutante, lors d'explosions de rage quasi-apocalyptique (Bridges,
Burn, ...). Car c'est bien là que réside toute la force de
Neurosis, dans sa capacité à exprimer tout en retenu une rage et un mal être latents, ne faisant qu'accroître la sincérité de la démarche des Californiens. Comment ne pas être profondément touché par I Can See You. Les arpèges de guitares égrénés doucement, le chant solennel et mélodieux de Steve
Von Till s'acheminent petit à petit vers l'explosion ultime de rage et de tristesse. Possédé, il hurle, hurle la perte de son ami, prie qu'il revienne. Les hurlements provenant du fond de ses entrailles laissent alors place aux sanglots du violoncelle avant qu'il ne rende dans un dernier souffle de lucidité un dernier hommage à son cher disparu.
Les mots sont en réalité bien trop vains pour décrire la sublimité de cet album intemporel.
Neurosis n'est pas en avance sur son temps,
Neurosis est en dehors du temps, réalisant un album sans égal. Les nombreuses expérimentations sonores associées au son à la fois cristallin et pachydermique des guitares confèrent à cet album une ambiance absolument unique.
Doux et violent à la fois, brut et mélodique,
The Eye of Every Storm est un album avant-gardiste d'une beauté incroyable. Une oeuvre complexe, introspective et expérimentale qui nécéssite de nombreuses écoutes avant de révéler son incroyable contenu émotionnel, mais qui laisse derrière elle tous les superlatifs.
Un chef d'oeuvre!
Rien a ajouté vu que tout est dit dans ta chronique.
Bravo.
Absolument parfait
Ca reste un album de Neurosis, à l'image de leur carrière : unique, avec un feeling déstabilisant.
merci pour cette excellente chronique.
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