Chroniquer
Neurosis de manière fugace et approximative est un jeu d’enfant : leur longue carrière plaide pour eux ; ils semblent incapables de faire dans le fade et le médiocre. Dire ainsi que
Given to the Rising est un grand album devient dès lors une évidence, à la condition que l’on soit un poil réceptif à l’univers dépressif des Américains…
Mais pour peu que la chronique se veuille un minimum développée, détaillée et argumentée, on bascule inexorablement dans ce piège implacable : décrire la musique de
Neurosis par des mots, retranscrire les émotions, dépeindre ce tableau aussi apocalyptique qu’abstrait est une véritable gajeure.
Given to the Rising n’échappe pas à la règle…
Je prendrais donc le parti d’éviter autant que possible des parallèles avec leurs méfaits antérieurs, tout comme une description linéaire des titres. Comment réduire ce long râle, tantôt angoissé, tantôt colérique, jamais domptable, à des schémas artistiques conventionnels ?
Given to the Rising marque le retour chez
Neurosis d’une forme de virulence, rageuse et directe, émergeant de temps à autre de ces méandres poisseux, monotones et d’une violence extrême de par leur austérité et leur sécheresse. La maîtrise émotionnelle de
Neurosis est élevée au rang d’art, tant ces longues plages de détresse, souvent éprouvantes et suffocantes, parfois apaisantes et d’une grande pureté, préparent à des déchaînements furieux, éruptions de colère et de rage, quand cris déchirés et guitares dissonantes s‘entremêlent dans un martèlement rythmique aussi lent que puissant.
Le disque s’apprivoise difficilement, il demande patience et opiniâtreté. Parmi les longues fresques qui le composent, les moins abstraites, telles
Given to the Rising (le premier morceau) ou Water Is Not Enough, permettent de rentrer de plain pied dans l’atmosphère dépressive de
Neurosis avec une relative facilité. Les riffs basiques et accrocheurs, contrebalancés par de longs temps morts suggestifs, permettent d’apprécier les penchants les plus directs et percutants du groupe. De manière beaucoup plus abstraite et déstructurée, l’essentiel de l’album est jalonné de ces imposantes pièces telles Distill ou Fear
And Sickness, que l’on pourrait indifféremment cataloguer comme du doom, de l’industriel, où toute autre forme musicale qui s’inscrit au-delà des standards les plus éculés du metal en particulier et du rock en général.
Cette longue descente aux enfers (plus de 70 minutes…), d’abord éprouvante, devient prenante au fil des écoutes. Son apparente aridité s’estompe pour dégager un univers subtil et riche. Tantôt tribal et lancinant, tantôt onirique et apaisé, l’imbrication des rythmes et des sons plutôt élémentaires pris individuellement devient cohérente dès lors que l’on parvient à saisir le tableau global avec un peu de recul. La névrose en règle qui nous guette sournoisement rejaillit irrémédiablement, et toujours plus violemment lorsque de longues minutes apaisantes ont « endormi » l’auditeur embarqué dans ce drôle de périple. Même le morceau final,
Origin, soulagement de dix minutes paisibles et relaxantes, bienvenues après une heure dépressive, s’achève sur un dernier accès de colère désespérée.
Neurosis ne vous lâchera pas…une force implacable et époustouflante.
Au rang des reproches que l’on pourrait formuler, certains avanceront peut-être le fait que
Given to the Rising, dans sa forme, s’inscrit dans des univers musicaux déjà utilisés antérieurement par
Neurosis. Ici pas de rupture ou de contre-pied brutal, alors que les Américains ont largement bâti leur légende sur l’innovation permanente qui jalonne leur carrière. Mais l’argument ne tient pas longtemps la route. Comment reprocher à ces aventuriers de vouloir enfin profiter des vastes étendues artistiques qu’ils ont eux-mêmes défrichés ces quinze dernières années ? En repoussant les frontières dans différentes directions stylistiques (hardcore, doom, dark, indus…), ils se sont ouvert un vaste terrain de création qui n’est pas près de montrer ses limites.
Given to the Rising exploite formidablement ce potentiel et sur le fond ce disque est absolument unique. Bien entendu, les fans de
Neurosis doivent adorer. Ceux que les bizarreries et autres approches musicales décalées font fuir n’y trouveront pas leur compte. Mais pour les plus assidus, l’investissement personnel nécessaire à l’appréciation de
Given to the Rising est très vite récompensé.
Pour conclure sur un avis très personnel, je me retrouve encore admiratif devant une nouvelle œuvre formidable de cet OVNI qu’est
Neurosis. Combien d’artistes se cassent les dents à vouloir faire dans l’abstrait et l’expérimental, en se perdant dans des méandres élitistes confinant à la prétention et l’obscurantisme.
Neurosis n’est pas de ceux-là, car leur musique revêt une qualité rare : elle est authentique, sincère, et jamais prétentieuse. Et donc plus grande que jamais.
L'effet de surprise n'est peut être plus aussi présent que lors des premiers albums, mais Neurosis est et restera définitivement comme le groupe le plus poignant et intense que la scène musicale ait jamais portée (même si, je le conçoit cet avis reste bien évidemment subjectif).
Les longues plages instrumentales et/ou contemplatives se retrouvent régulièrement entrecoupées de furieux sursauts qui vous prennent littéralement aux trippes et vous replongent la tête sous l'eau au moment-même où vous pensiez pourtant entrevoir la lumière, ce qui décuple du même coup la portée émotionnelle de ce disque.
Il va sans dire que, comme toutes les "oeuvres" de Neurosis, cet album exige un certain investissement à l'auditeur, mai une fois celui-ci consentit il révèle son lot de pépites (mention spéciale à "Origin", sûrement l'un des morceaux les plus fabuleux qu'il m'ait été donné d'entendre).
Que dire de Neurosis ? Un groupe a part entière, un art sonique à lui tout seul...
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