L’envie de nouveauté est un danger palpable et persistant auquel beaucoup de formations s’essayent avec plus ou moins de réussite (
Ensiferum,
1349,
Megadeth...). Partis d’un Death Progressif, ces Suédois ont désormais franchi un cap avec leurs deux dernières productions
Watershed et
Heritage, et sont parvenus à nous proposer avec beaucoup de brio un Rock Progressif classieux. Et bonne nouvelle pour certains, mauvaise pour d’autres,
Pale Communion ne fait que confirmer que le Rock progressif est définitivement le terrain de jeu des Suédois.
Opeth est donc un groupe évoluant dans le Death Progressif depuis maintenant plus de 20 ans. Même si la partie Death du groupe s’est grandement effilochée depuis
Still Life en 1999 et leur véritable entrée dans le Progressif. On pourrait qualifier
Opeth de groupe changeant, livrant tantôt albums violents et doux (
My Arms, Your Hearse 1998,
Ghost Reveries 2005), froids et oniriques, fantomatiques (
Blackwater Park 2001, Delivrance 2002), ou encore reniant presque complètement les origines Death du groupe avec
Heritage (2011). Les titres composant les albums varient eux-mêmes du tout au tout, ainsi on peut passer du Death au Rock Progressif, du Jazz au
Doom... Mais outre le contenu des albums, leurs artworks témoignent également de leur diversité. Ainsi, on passe de l’
Orchidée en fleur (
Orchid) aux pochettes fantomatiques représentant des paysages froids (
Morningrise,
Blackwater Park), ou à de simples silhouettes (
Damnation,
Watershed). Néanmoins,
Opeth garde tout au long de sa discographie disparate une grande qualité de composition et d'interprétation.
Malgré tout, quelques changements importants au niveau musical ont contribué à former l’image que l’on a du groupe aujourd’hui, au grand dam de certains de leurs plus grands admirateurs. Le premier pourrait se situer avec la sortie de
Still Life, mais le second et le plus important trouve son point d’impact avec
Heritage. Un album fort critiqué en raison de la voie choisie par le groupe.
Visuellement, ce changement se remarque avec les artworks des deux dernières productions beaucoup plus hautes en couleurs, contrastant avec ceux austères et froids des précédents opus. Toutefois, le "reniement" des origines n’est pas total.
Il est temps désormais de rentrer dans les détails et de pousser encore plus loin l’analyse de cet artwork afin de mieux le comprendre. Celui-ci semble en effet représenter une vie entière qui défile au fur et à mesure du temps. Dans le premier tableau, on peut ainsi distinguer un enfant tenu par sa mère, le soleil entame sa descente. Sur le deuxième tableau, une adolescente, un aigle royal planant au-dessus d’elle représentant sans nul doute possible la force de l’âge, tient un livre en feu dans ses mains. Bizarrement, elle ne le regarde pas et ne semble pas s’en soucier. Son regard est dirigé vers la femme se baignant dans le fleuve devant elle. Celle-ci se baigne dans le long fleuve de la vie qui s’écoule sans se rendre compte de cet écoulement, et donc de la vie qui se consume. Le soleil est couchant. Enfin, dans le troisième et dernier tableau, un vieil homme en bure, peut-être un prêtre, livre un dernier sermon pour la fille maintenant décédée. C’est la nuit, dans un cimetière en automne. Ces trois tableaux pourraient se prendre comme un chemin de croix, comme on peut en trouver dans les églises. Eglise que l’on retrouve dans la pochette alternative. Le thème de la religion est donc bel et bien présent. Cette métaphore de la vie que nous propose donc
Opeth est donc universelle, en témoignent les visages cachés des personnes venant sans doute célébrer un enterrement.
On se retrouve donc avec un artwork extrêmement travaillé, et le contenu musical de l’album n’est pas en reste. Au premier abord, celui-ci semble proche de celui proposé avec
Heritage. En effet, les titres sont plus courts que ceux des compositions ayant fait la gloire du groupe, Mais tout comme
Heritage, la durée de 55 minutes pour ce nouvel opus est plus que justifiée pour
Opeth.
Toutefois, là où
Heritage commençait avec une intro plutôt douce, simple et mélancolique au piano,
Pale Communion débute par un jeu de batterie complètement fou et désorganisé, des tempos joyeux et changeants du tout au tout créant une sorte d’euphorie. Mais aussi vite qu’elle est arrivée, l’ambiance joyeuse disparaît pour laisser place à des notes de piano beaucoup plus angoissantes. La musique se veut plus sérieuse, une sorte de ballade moyenâgeuse s’installe. Enfin, Mikael Akerfeldt nous offre son chant d’une beauté traversant les âges. Donc, tout comme dans l’opus précédent, les titres changent du tout au tout allant parfois même jusqu’à se transformer en deux, voire trois titres en un (
Eternal Rains
Will Come, River,
Moon Above, Sun Below pour ne citer qu’eux).
Dans cet album encore,
Opeth nous livre une diversité hors du commun, passant de titres lyriques et oniriques à des morceaux beaucoup plus directs et agressifs (Cusp of
Eternity,
Moon Above, Sun Below), ou encore assez techniques (Goblin). Les ambiances diffèrent également tout au long de l’album,
Voice Of Treason nous livrant une partie de violon assez inquiétante et Goblin un rythme plus jazz. Néanmoins, les titres suivent un même schéma global : tous ont pour but de recréer une sorte d’aventure (aventure de la vie ?). Ainsi, on retrouve des chœurs féminins et fluides sur de nombreux titres tels
Eternal Rains
Will Come, Cusp Of
Eternity ou encore
Faith In
Others, ayant pour but d’insuffler un souffle épique renforcé par la structure mêmes des titres, avant de se clore par des solos nous envoyant dans un béatitude totale. L’indépendance des titres fait que nous vivons à chaque commencement une nouvelle aventure, et à chaque fin une sorte de nostalgie... Toutefois, nous sommes directement happés par le titre suivant et c’est cela qui fait la force d’
Opeth : arriver à faire d’un album une globalité à partir d’une multitude de différences. La qualité indéniable de l’enregistrement (chez Roadrunner Records) ajoute encore à cela. Chaque instrument se démarque en effet des autres, créant des compositions complètement claires et équilibrées : ni les voix, ni les guitares ne prennent le dessus sur les autres instruments. L’enregistrement au plus près de ceux-ci rend la production finale totalement immersive.
Enfin, l’album se clôt par un long titre de près de 8 minutes :
Faith In
Others. La voix de Mikael se fait à la fois forte et sensible, les riffs sont puissants, les claviers et les cordes créent une atmosphère grandiose et épique. Tout en montée en puissance et en évasion pure, ce titre s’avère être l’apogée de ce qu’a voulu nous présenter
Opeth dans cet album. Afin d’accroître cette évasion, je vous conseille de lire "La Quête" de Robert Lyndon parallèlement à l’écoute de l’album : Lieux rustiques et moyenâgeux, aventures et cavalcades, tout y est. Les paysages étant représentés par les ambiances, on peut ainsi penser aux landes brumeuses d’Ecosse, aux forêts sombres et sauvages du Nord ou aux massifs majestueux des Alpes Scandinaves. Les péripéties pouvant être modélisées par les incessants changements de rythmes, cet album continue donc en quelque sorte ce qui avait été amorcé avec
Heritage.
Mais il est temps de conclure. Et je compte terminer cet éloge simplement. Cette nouvelle offrande d’
Opeth n’est peut-être pas leur chef-d’œuvre ultime, mais la précision chirurgicale, ainsi que l’immense travail réalisé nous montrent que les Suédois nous livrent toujours des productions de qualité car, à chaque fois, ils dominent totalement leur sujet.
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