La légende naquit ainsi, dès les premières notes de In
Mist She Was Standing. Ces jeunes Suédois du nom d’
Opeth, menés par un leader déjà charismatique et tellement doué du haut de ses vingt ans, avait déjà conquis et enthousiasmé l’underground scandinave. Une chance leur était donc offerte, et les premières minutes d’
Orchid n’ont sans doute jamais laissé entrevoir le moindre doute quant au potentiel incroyable de ce jeune groupe.
A croire que le génie peut avoir des origines un tant soit peu surnaturelles, voire divines. In
Mist She Was Standing, quatorze minutes d’une incroyable démonstration artistique issue de nulle part. L’enchevêtrement de ces deux guitares jouant en plusieurs dimensions des mélopées d’une harmonie à pleurer, l’émotion brute sortant à chaque instant, balayant la colère, la tristesse, la beauté, la haine, la mort, la vie...
Dès à présent, on comprend la difficulté des observateurs de l’époque pour décrire cette révolution musicale. Dans quelle case ranger
Opeth ? Les growls très caverneux de Mikael Akerfeldt et la puissance rythmique d’
Opeth, basée sur une basse solide et une batterie s’appuyant sur un usage répété de la double pédale, ne laissent pas de doute quant à l’appartenance au death metal. Seulement voilà, comment appréhender ces parties soyeuses et ciselées de guitare, d’un lyrisme et d’une harmonie ne trouvant des équivalents que dans les plus beaux passages du heavy metal, voire dans la musique classique... et d’où vient donc cette drôle de propension à rallonger les morceaux, pour en faire de véritables pièces en plusieurs actes, agrémentées de pauses acoustiques renvoyant aux grandes heures du rock progressif ? Enfin à quelle ascendance doit renvoyer la beauté hors d’âge de ces soli amples et généreux, sinon à une forme intemporelle que ne renieraient pas les plus grands des seventies ?
Et quand bien même on voudrait déceler dans le premier morceau une forme de surenchère stylistique qui voudrait en mettre plein la vue, la suite rend cette hypothèse ridicule et irrecevable, tant la constance de son niveau et sa cohérence apparaissent évidents tout au long du disque.
Prenons donc cette longue séquence acoustique, lente et onirique, un brin angoissante, que l’on ne retrouverait que dans le meilleur de Pink Floyd, au milieu de Under the Weeping
Moon, qui s’enchaîne de manière jouissive avec cette arrivée de la batterie et d’une guitare lancinante venant hanter un chant écorché... qui lui-même s’efface pour un épilogue en chant clair d’une beauté sans équivalent, le feeling des guitaristes faisant mouche à chaque note, aussi bien dans le jeu acoustique qu’en son saturé, qui vient s’élever doucement pour conclure dix minutes de rêve.
Et ces premiers instants de
Forest of October, ce son de guitare si chaleureux et si solennel, qui rend une nouvelle fois le jeu complémentaire des deux guitaristes, tout en relief et en toucher, si prenant. Parcourons-le plus en détail, ce fameux morceau, tant il est symptomatique de l’univers d’
Opeth.
Outre son introduction flamboyante, on retrouve par la suite cette alternance équilibrée de passages virulents et compacts, balancés entre la lourdeur d’un death/doom puissant - et d’un côté glacial et cinglant qui n’est pas sans conférer au black metal - et de ces innombrables breaks acoustiques, opérant tels des respirations bienvenues, tout en renforçant la puissance sombre et angoissée de l’atmosphère. Puis vient soudain cette guitare plaintive, jouant langoureusement un solo lent et angoissé sorti tout droit du hard rock de vingt ans en arrière, qui amène avec brio l’enchaînement vers le second thème du morceau. Nouvel accès de colère noire, toujours rehaussée par des touches mélodiques lui conférant une beauté glaciale. Le travail de la basse y est d’ailleurs à souligner, venant judicieusement jouer un double rôle de rythmique et de lead mélodique lorsque les guitares s’évadent dans leurs effluves baroques. Et enfin, l’épilogue acoustique tout en toucher et en finesse, histoire de finir au fond du trou...
The
Twilight Is My Robe reprend la même recette, sauf que sur le fond le morceau est moins nuancé et joue plus la carte de la colère que du désespoir. On y retrouve ainsi à la fois les parties les plus massives et les plus violentes du disque, mais aussi les breaks les plus rock, bref une approche progressive poussée encore plus loin, mais toujours avec le même bonheur. A noter ici les embryons de chant clair du plus bel effet sur la fin du morceau, lui conférant à la fois un côté mystique et laissant augurer un potentiel qu’
Opeth exploitera plus tard avec plus de gourmandise.
Cinquième et dernière pièce finale, The
Apostle in Triumph est peut-être le morceau le plus esthétique, le plus lourdement chargé en émotion. Et pour ce faire, on a droit à une démonstration époustouflante du savoir-faire des musiciens, ceux-ci parvenant à donner un corps et un relief incroyables à leur musique, les trois instruments à corde jouant par moments simultanément des lignes mélodiques complexes qui viennent s’imbriquer les unes dans les autres pour former un résultat d’une richesse incroyable, le tout étant épaulé par un jeu de batterie à la fois massif et très fin. C’est en fait ce qui deviendra la marque de fabrique des Suédois, ce qui explique aussi les vaines tentatives de catalogage de la musique d’
Opeth. Death,
Doom, Heavy, Black, Rock, Prog, Néo-classique, Jazz, tout y passera, et pourtant cette longue litanie n’est jamais parvenue à décrire ne serait-ce qu’un dixième de la richesse de la musique d’
Opeth.
La légende est née grâce à cela. Comme sortis de nulle part, paraissant affranchis de toute influence trop marquée, les jeunes Suédois semblent être parvenus à créer un univers musical unique, caractérisé par l’utilisation de divers inspirations et courants musicaux, aidé par une technique individuelle bluffante. Et bien loin de tomber dans les travers que ses détracteurs stigmatisent par ignorance musicale ou par jalousie,
Orchid n’est ni prétentieux, ni pompeux, ni désordonné.
La démonstration du génie d’
Opeth prend corps immédiatement dans son premier album. Ambitieux comme aucun autre disque à l’époque,
Opeth sait où il veut aller, avec conviction. Et les écoutes successives n’en sont que plus révélatrices : au-delà d’une forme sophistiquée, complexe et jamais vue, le fond de l’œuvre est bien plus riche et plus vaste encore, d’une richesse émotionnelle qui ne se laisse découvrir qu’avec le temps.
Ce premier chef-d’œuvre fait déjà rentrer
Opeth dans la légende. Pour peu qu’il récidive sur un second album, ce qui n’est jamais le plus simple, il deviendra culte...
Très jolie chronique. Le final d'In Mist she Was Standing est superbe.
Cela dit, moi je serais légèrement moins enthousiaste. Leur style était unique, on est tous d'accord, mais je trouve qu'ils n'étaient pas encore au top et que leur recette était encore perfectible. Je dis ça surtout en comparant Orchid à Blackwater Park. Entre les deux, Opeth a gagné en maturité et l'alchimie entre les passages calmes et les passages brutaux bien mieux réussie.
Du reste, je ne crache pas sur leur premier opus, loin de là. Le premier titre à lui tout seul est une excellente démonstration de tout leur potentiel.
Je viens de réécouter cet album et effectivement il est fort bon. Au demeurant on pressent l'évolution à venir et ce n ai pas encore l'opeth mature de Still life et Blackwater park. Le groupe démontre sur ce disque qu il "en a sous la botte" mais il n a pas encore bien aiguisé ses outils.
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