Parler d’
Opeth est devenu un sujet délicat. Un sujet propre à s’emballer et s’embraser dès la moindre étincelle apparente, étincelle pouvant prendre bien des formes. Celles évoquant le passé, l’immobilité, le death metal ou encore la mégalomanie, voir même l’arrogance de son imperturbable leader. Cela fait désormais plus de dix ans. Les dés sont jetés. Il est acté que plus rien ne sera comme avant, que ce n’était pas qu’une amourette de printemps, qu’Akerfeldt ne reviendra jamais à ce qui a fait sa gloire et que "
Watershed" est bien l’ultime vestige d’un glorieux passé partagé entre la furie et la noirceur du death metal et la progressivité d’une musique plus aérienne.
"
Heritage" a fait crier. "
Pale Communion" a fait pleurer. "
Sorceress" a définitivement acté les choses. Certains aiment. D’autres non. Loin de moi (je parle cette fois en mon nom) l’idée de nier la qualité intrinsèque de ces œuvres, mais plutôt de regretter un certain opportunisme à l’heure où les groupes prônant cet amour des années 70 est devenue légion.
Plus que ça, ce qui pouvait décevoir, était de voir un groupe qui avait passé plus de quinze ans tourné vers l’avant ne regarder plus qu’avec le rétroviseur, dénigrant le présent et ce qui s’y joue, s’évertuant à déclamer que la musique extrême est ennuyeuse depuis déjà le début du nouveau millénaire.
Si l’on met un peu de côté tout cela, en se penchant sur la musique, le reproche évident fait aux trois derniers opus d’
Opeth était leur relative ressemblance, cette sensation accentuée par le fait que chaque album, avant, avait un son et une attitude assez différente les uns des autres (du moins entre "
Still Life" et "
Watershed"). Pourtant, "
Sorceress" avait renoué avec une certaine lourdeur, des riffs plus costauds et des passages vraiment aventureux ("
Sorceress", "
Chrysalis", "The
Seventh Sejourn"). "
In Cauda Venenum", loin d’un retour aux sources, jouit d’une même diversité et d’une immense force de caractère.
Dire que Mikael Akerfeldt n’a jamais aussi bien chanté que sur cet album ne serait en effet pas un effet de style tant il surprend, toujours sans aucun growl (qui en aurait douté ?) a varié ses lignes vocales, se montrant aussi atmosphérique que plus rugueux, voir même carrément puissant comme en témoigne les couplets de "
Dignity" où le suédois démontre une versatilité impressionnante. Une voix qui mettra plus de six minutes à intervenir, entre une introduction longue ("
Garden of Earthly Delights") aux multiples détails sonores et la première partie de "
Dignity" basé sur les riffs.
"
In Cauda Venenum" se basera clairement autour d’une première partie de disque quasiment parfaite dans le nouveau genre du groupe. Passionnante, variée, très progressive mais revenant à une ambiance bien plus sombre et menaçante qu’"
Heritage" ou "
Pale Communion", les compositions semblent former une véritable passerelle entre les deux mondes.
Heart in
Hand et son riff lourd qui place pourtant des lignes vocales cristallines en est un bel exemple. Comme à l’habitude du groupe, les structures sont de prime difficile à aborder, les refrains ne sont pas immédiats (quand il y en a) et c’est à ce niveau-là que le côté 70s psychédélique prend toute sa mesure. Les compositions ne cessent d’accélérer, ralentir, respirant au gré d’une basse toujours plus organique (Martin Mendez est souvent au centre des compositions désormais) et complètement propulsé par cette production dont on pourrait toujours trouver à redire. Une identité sonore qui, si elle représente désormais complètement
Opeth, n’exclut pas inlassablement les mêmes défauts, à savoir placer les graves toujours trop en avant, avec une basse et des guitares mangeant tout l’espace, au profit d’un chant semblant parfois étouffé et d’une batterie dont on entend que les toms en discernant assez rarement les cymbales, ce qui est d’autant plus dommage quand on a aux baguettes un batteur comme Martin Axenrot qui place souvent beaucoup des variations dans son jeu. C’est d’ailleurs dommage qu’Akerfeldt se borne à ne voir en la batterie qu’un instrument rythmique, privant son musicien de toms (l’album a été enregistré avec la configuration de batterie la plus minimaliste possible) pour ne jouer, selon ses mots, « que l’essentiel ». Et quand on entend ce qu’il joue dans ces conditions, et ce qu’il peut apporter, on ne peut que penser que ce n’est pas parce qu’il ne joue plus de death qu’il ne peut pas jouer un jeu extrêmement fouillé (souvenez-vous "
Porcelain Heart").
Opeth retrouve d’ailleurs une noirceur d’antan sur un surprenant "Charlatan" et son riff imposant accompagné d’une mélodie presque vicieuse de claviers. S’il ne souhaite plus le faire, il n’aurait pas été surprenant de voir surgir des vocaux extrêmes sur une telle composition. Il en va de même pour l’épique "
Next of Kin", aux multiples couches de chœurs et d’arrangements qui, à l’instar des précédents, évoque tour à tour autant
Deep Purple que le
Opeth des débuts.
Si certains regretteront un manque de surprise générale sur l’orientation musicale des suédois désormais, "
In Cauda Venenum" est clairement le disque le plus maitrisé de cette seconde vie. Que ce soit dans un penchant plus sombre ("Charlatan" justement) ou totalement décharné comme la magnifique "Universal Truth", très cinématographique dans son évolution et nous emmenant parfois aux confins de l’Orient grâce à ses arrangements. Les suédois se permet même l’exercice du jazz, en toute humilité (cette fois) avec le touchant "The
Garroter", étrange mutation lors des premières écoutes mais finalement totalement à sa place. Sombre et brumeuse, la chanson surprend dans le bon sens et évite la maladresse de sembler être une expérimentation pour le plaisir de l’être.
Au final, si on pourrait légitimement trouver qu’
Opeth n’apporte plus vraiment d’eau à son moulin, force est d’admettre que ce dernier né est peut-être le meilleur depuis "
Heritage". Là où les précédents possédaient de bons moments mais peinaient (à mon sens) sur la longueur, celui-ci fait plus l’effet d’un bloc cohérent avec moins de remplissage.
Vous remarquerez sans doute que je n’ai utilisé que les titres en anglais, préférant comprendre un minimum ce que j’écoute au suédois mais, après avoir testé les deux, il faut avouer que la différence de sensation entre les deux versions n’est pas énorme (probablement que la production y est pour beaucoup dans ce ressenti). Le chant en suédois n’apporte pas forcément « d’exotisme » ou « d’authenticité » particulière comparé à sa version anglaise. D’ailleurs, les textes sont dans les deux langues dans le livret, comme un signe que le groupe n’était pas prêt à passer totalement le pas, ou alors qu’il craignait un déficit d’importation pour certains pays. Mais cela ne reste qu’un détail car dans l’ensemble, cette nouvelle fournée est une réussite. Moins spectaculaire et marquante que furent, en leur temps, un "
Blackwater Park" ou un "
Ghost Reveries" (ou, pour une frange, "
Morningrise"), "
In Cauda Venenum" (et son sublime artwork) continuent de démontrer qu’
Opeth n’en fait qu’à sa tête et que son leader est imperturbable, coincé dans le temps, et qu’il se fout littéralement des critiques et des reproches. A l’instar de son ami
Steven Wilson, il avance et récoltes les fruits de ses efforts (quand on voit les salles combles, il n’y a pas que des déçus) sans regarder derrière. Quand le passé devient la meilleure arme pour braver l’avenir …
Sur ce disque j'admet que Opeth PEUT faire du prog sans growl. La je dis oui. C'est ce qu'aurai du etre Heritage putain plutot que d'aller piocher chez King Crimson et Goblin ou je sais pas quoi... La t'as l'impression d'etre retourné a la grande époque, les growls en moins certes mais osef en réalité. Ce qui manquait a Opeth depuis Heritage c'etait surtout un manque flagrant de couilles. A la limite je pense que ce disque est le chainon logique entre Watershed et Heritage. La pilule aurait pu mieux passer.
Moi je trouve cet album absolument génial et loin de Deep Purple dont je suis un fan inconditionnel c'est plutôt vers Emerson, Lake & Palmer que j'aurais mis les inspirations. Je pense que cet album restera un très grand album, générant une borne de ce mouvement Death Prog qui nous fait réver.
Effectivement salle comble le lundi 11 novembre où j’ai pu assister à un show énorme d’OPETH, tant artistiquement que côté spectacle dans un Olympia médusé par une telle prestation. Ecran géant dansant sur des lumières omniprésentes, côtoyant des clips également. Des musiciens extraordinaires avec un AKERFELDT détendu, souriant, ventant l’aura que dégageait un tel lieu où les plus grands ont joué. La seule chose qui m’a étonné, voire choqué c’est qui fit le tour de ses musiciens pour les présenter, de gauche à droite, demandant à l’avant dernier Martín Mendez de nous gratifiant d’un petit solo de basse. Mais malgré nos cris et nos demandes il s’arrêta là ne présentant pas MARTIN AXENROTH. Comment peux-t-on l’oublier, la suite nous le dira peut-être....
Je viens juste de l'écouter et franchement...quelle identité atmosphérique détient cet album! Comme cela est dit dans la très bonne chronique, Opeth n'innove pas spécialement dans sa formule actuelle que je préfère sur les derniers albums n'étant pas fan de Death. Mais leur style depuis Heritage est franchement maîtrisé. J'ai été captivé le long des 10 pistes sans aucune lassitude. Mes prochaines écoutes me permettront de savourer en détail la structure des différents morceaux, mais là j'avoue avoir été sérieusement charmé par cette atmosphère spectrale et pourvu d'une certaine complexité. Avec Porcupine Tree, Opeth est clairement l'un de mes groupes progressif favoris. Quel talent, châpeau bas.
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