Children of Bodom, voilà un groupe qui n’a pas froid aux yeux... Initiateur d’un métissage musical inédit - et de prime abord incongru - avec ses trois premiers albums, aussi originaux que délectables, le quintette finlandais n’a effectivement jamais craint de se retrouver conspué par le vaste public avide de
Metal authentique. Il faut dire que la musique que nous propose Alexi Laiho et sa bande est très particulière, ce qui explique que les critiques vont bon train à son sujet. Trop propre et démonstrative pour les fans de
Metal "extrême", trop violente et directe pour les fans de
Metal "soft" ; la musique de
Children of Bodom divise depuis le début, depuis la sortie de "
Something Wild" en 1997 où les influences "extrêmes" et les influences "édulcorées" avaient sensiblement la même part du gâteau. Mais le groupe a su évoluer au sein même de son "triplet gagnant" ("
Something Wild", "
Hatebreeder", "
Follow the Reaper") ; triplet qui n’est donc pas un bloc homogène, malgré les nombreux points de convergence. Ainsi, la tendance de long terme que l’on observe au fil des albums est un réel adoucissement de la musique qui se manifeste par un abandon progressif des éléments "extrêmes" et par un recours croissant au Heavy
Metal (au
Power Européen, pour être plus précis).
Cependant, voici de quoi tromper totalement tout esprit un tant soit peu logique dans la démarche visant à intuiter le contenu de ce "
Hate Crew Deathroll"… Oui, car avec ce dernier,
Children of Bodom prend le contrepied de son évolution jusqu’à "
Follow the Reaper" en privilégiant désormais, dans sa recette, les ingrédients "extrêmes" aux ingrédients "éthérés".
Remarquez, la pochette aurait pu nous mettre la puce à l’oreille. Car, contrairement à celle de "
Follow the Reaper" où la faucheuse apparaissait relativement neutre - si ce n’est pacifique – au milieu de nulle part, la faucheuse apparaît ici sous un jour pour le moins vindicatif, qui plus est au contact de la civilisation. On la voit au milieu d’une grande ville, entre les buildings, brandissant sa faux gigantesque comme pour asséner au monde le coup fatal. Elle apporte assurément la mort, la destruction, et ne semble pas d’humeur à épargner la moindre âme dans les environs. Le terrible massacre perpétré sur les véritables "enfants de Bodom" dans la nuit du 4 au 5 juin 1960 est à deux doigts de se reproduire, à grande échelle cette fois-ci. Le tableau est donc apocalyptique, ce que la couleur rouge recouvrant l’intégralité de la pochette vient évidemment accentuer. En effet, comme vous le savez, le rouge peut non seulement évoquer la puissance mystique et dévastatrice du feu, mais aussi – et surtout - le sang…
Les paroles collent bien à ce tableau dantesque, mais n’ont finalement rien de révolutionnaire. Fidèle à lui-même, le groupe ne change pas fondamentalement sa recette textuelle. La haine est ici à l’honneur - comme l’indique le titre même de l’album -, ce qui appuie d’autant plus le virage en épingle à cheveux emprunté par
Children of Bodom ; virage vers un style plus direct. Cela dit, comptez aussi sur la mort ou le sempiternel lac Bodom pour vous distraire. Encore une fois, les titres des chansons sont particulièrement explicites. Donc, pas de grosses surprise en apprenant que des morceaux comme "
Chokehold", "Angels Don’t
Kill", "You’re Better
Off Dead" traitent de la mort, et que des morceaux comme "Bodom Beach Terror" ou "Triple
Corpse Hammerblow" content l’incontournable histoire du lac Bodom et de ses victimes. Pour les titres plus énigmatiques tels que "Needled 24/7", "Sixpounder" ou encore "Lil’ Bloodred Ridin’ Hood", sachez que ce sont juste des arbres qui cachent la forêt… Car les paroles de "Needled 24/7" ou de "Sixpounder" n’ont rien de bien original en ce qu’elles évoquent sans détour la haine. Petite anecdote : un "
Six-Pounder" est une arme à feu de très gros calibre, une pièce d’artillerie largement utilisée au cours des guerres historiques. Bref. Pour ce qui est de "Lil’ Bloodred Ridin’ Hood", on remarquera le jeu de mots morbide réalisé à partir du Petit Chaperon Rouge (Little
Red Riding Hood, en anglais). Nul besoin de vous dire que la mort est ici le thème principal…
À cela, s’ajoute la fameuse tradition consistant à insérer en début ou en fin de quelques morceaux, un extrait audio de film. Dans cet album, il y a deux extraits. Le premier, issu de "Platoon", le célèbre film de guerre d’
Oliver Stone, peut être entendu à la fin de "Needled 24/7" : "Death ? What do y'all know about death ?". Le deuxième, issu de "American
Psycho", film de Mary Harron, apparaît à la fin de "Bodom Beach Terror" ("My pain is constant and sharp, and I do not hope for a better world for anyone, in fact I want my pain to be inflicted on others") et se poursuit au début de "Angels Don’t
Kill" ("I want no one to escape"). Dire que les citations sont bien choisies est donc un bel euphémisme, tant celles-ci collent au concept de "
Hate Crew Deathroll" et à l’image qu’il veut donner.
Revenons maintenant à la musique, stricto sensu. Comme je vous le disais, le maître mot ici est "changement". Reste à savoir si c’est en bien ou en mal… N’y allons pas par quatre chemins, je suis de ceux qui pensent que "
Hate Crew Deathroll" est le début de la fin. Cet album n’est pas mauvais, pour sûr. Il est même très bon. Mais à mon humble avis, la magie des trois premiers albums s’est évaporée. Donc, par sa volonté de s’orienter vers un
Metal nettement plus conventionnel,
Children of Bodom descend brusquement de son nuage et rejoint le commun des mortels, si je peux formuler cela de la sorte. Les compositions, bien qu’efficaces et galvanisantes, ont considérablement perdu en richesse structurelle. Sans prendre l’allure d’un dégraissage massif, "
Hate Crew Deathroll" n’en demeure pas moins une voie toute tracée vers la simplification musicale. Mais il s’agit là d’une simplification compositionnelle, s’entend. La technique, elle, reste intacte. On le verra…
Pour l’heure, afin de mieux appréhender ce que nous propose le quintette finlandais avec ce "
Hate Crew Deathroll", analysons de façon schématique les éléments nouveaux, ceux qui ont disparu, et ceux qui ont été conservés.
La grande nouveauté, c’est la prépondérance du Thrash. Eh oui, rappelez-vous... Dans les trois premiers albums, le Thrash était bien présent dans la musique de
Children of Bodom ; mais à petite dose ! Ce style avait alors le statut légitime d’ingrédient. Avec "
Hate Crew Deathroll", le Thrash devient carrément le socle musical des Finlandais, ce qui n’est pas sans dérouter, au moins l’espace d’un instant, les inconditionnels de la "première époque". Et je n’exagère pas : le Thrash se fait réellement entendre du premier au dernier morceau de l’album, sans trop de trêves (on mettra évidemment à part la ballade "Angels Don’t
Kill").
L’autre nouveauté de taille, c’est l’apparition de sonorités Metalcore, très légères néanmoins, dans la musique de
Children of Bodom. On s’aperçoit surtout de cette réalité en écoutant attentivement les trois derniers morceaux de l’album, à savoir "You’re Better
Off Dead" (cf. 01:40), "Lil’ Bloodred Ridin’ Hood" (cf. 01:04) et "
Hate Crew Deathroll" (cf. 00:59, 01:29, 02:05, 02:51 ou à la fin).
Pour terminer, notons l’existence de sonorités Indus, comme en atteste "Needled 24/7" avec ses petits interludes électroniques au clavier (cf. 00:50, 01:10 et 03:26), mais aussi "
Chokehold" avec son solo évoquant malgré lui le son des jeux vidéo rétros (cf. 02:44).
Venons-en maintenant aux éléments qui ont définitivement fait leurs bagages, à mon plus grand désarroi.
Tout d’abord, le penchant néo-classique. À mon sens, voilà l’ingrédient charnière de la "belle époque" du quintette, le symbole de sa réussite. Le fait que "
Hate Crew Deathroll" l’ait évincé est donc hautement préjudiciable, à mon sens toujours. Pour les plus tatillons, sachez qu’il y a tout de même quelques soubresauts néo-classiques ici et là, comme dans "You’re Better
Off Dead" (cf. 01:10 / 03:29) ou dans "Lil’ Bloodred Ridin’ Hood" (cf. 01:31) avec shred façon Malmsteen. Mais, entre nous, il n’y a pas de quoi casser trois pattes à un canard quand on connaît le passé prodigieusement néo-classique des Finlandais…
Autre perte regrettable, le soupçon épique qui déambulait librement dans le dédale des compositions bodomiennes, et qui nous faisait planer. Oui, c’est un fait, la musique de
Children of Bodom n’a plus rien d’un voyage. Et ce n’est pas le recours croissant aux chœurs qui va me faire dire le contraire. Cette musique est désormais un défouloir, tout au plus. Remarquez, on peut malgré tout s’estimer heureux, ce n’est déjà pas si mal…
Enfin, on remarquera la dégénérescence des structures progressives, bien maigres à côté de celles auxquelles le groupe nous a habitués. La simplification des compositions évoquée précédemment y est pour beaucoup car il en résulte une répétitivité accrue des lignes mélodiques. La linéarité - pour ne pas dire la banalité - de "Sixpounder" ou du titre éponyme, par exemple, illustre bien ma pensée. C’est du Thrash bien fait, ça donne envie de bouger, mais c’est du déjà-entendu, d’autant que les variations ne sont pas légion au sein même de ces morceaux. Et ce n’est pas la mince contribution du clavier, souvent écrasé par le jeu sans concession des autres instruments, qui y changera quelque chose. D’ailleurs, il faut que je vous dise… Le clavier s’est largement mis en retrait sur "
Hate Crew Deathroll" par rapport aux précédentes productions, d’où un appauvrissement du rendu sonore pour mes oreilles.
Ceci dit, attention aux méprises ! Le clavier reste bel et bien présent sur cet opus. Et même si ses interventions se font plus rares, elles n’en demeurent pas moins essentielles. En effet, d’une part, la présence du clavier permet de maintenir à un niveau "raisonnable" les traditionnels arrangements symphoniques, brefs mais efficaces, qui contribuent indéniablement au charme de la musique de
Children of Bodom depuis le début. Le premier morceau qui me vient à l’esprit pour étayer mon argumentation est l’ogive de l’album : "Bodom Beach Terror" (cf. 00:06, 01:06, 01:39, 02:05, 02:58, 03:58). Mais l’on peut aussi évoquer les premières notes de "Needled 24/7", le riff principal de "Triple
Corpse Hammerblow", le début de "You’re Better Of
Dead", ou l’interlude de "Lil’ Bloodred Ridin’ Hood" (cf. 01:47) sans que cela paraisse incongru. D’autre part, il convient de ne pas oublier la part atmosphérique que le clavier est également parvenu à conserver. La chanson qui en témoigne le mieux est évidemment "Angels Don’t
Kill", avec ses riffs torturés et cette ambiance lugubre particulière dont on sait que Janne Wirman a le secret. Il serait cependant dommage de passer sous silence la rapide introduction de "Triple
Corpse Hammerblow" ainsi que celle de "
Hate Crew Deathroll" qui n’est pas sans rappeler "Bed Of Razors"…
En outre, et ce n’est pas un détail, le groupe n’a pas complètement divorcé avec le
Power Européen. La pratique systématique du solo en est une preuve éloquente, d’autant que chaque solo de l’album – ou presque – sonne résolument Heavy. Ouf !
J’en profite d’ailleurs pour saluer encore et toujours les musiciens qui n’ont absolument rien perdu de leur haut niveau de technicité instrumentale. Tout est exécuté avec une précision chirurgicale et la plus grande rigueur, ce qui confirme un peu plus qu’on tient là le line-up gagnant. Alexi Laiho et Alexander Kuoppala nous montrent une nouvelle fois que ce ne sont pas des manchots quand ils ont une guitare entre les mains (exemple : "Lil’ Bloodred Ridin’ Hood", où vélocité et puissance ne font qu’un dans le jeu guitaristique de nos deux amis) ; de même pour Henkka Seppälä qui, avec sa basse, sait se rendre indispensable (exemple : "Angels Don’t
Kill", où son jeu donne une profondeur incroyable à la musique) ; Janne Wirman, lui, démontre encore un peu plus ses talents de claviériste (exemple : "
Chokehold", où il n’est pas si loin de franchir le mur du son avec ses doigts en exécutant son solo…) ; quant à Jaska Raatikainen, nul doute que sa prestation est des plus propres (exemple : "Bodom Beach Terror", où la minutie est le maître mot du batteur, ce dernier soignant les transitions entre les nombreux changements de rythmes). Pour ce qui est du chant du "Wildchild", il faut savoir qu’il a quelque peu évolué, et il n’y a pas besoin d’aller plus loin que "Needled 24/7" pour le constater… Dans cette chanson, la voix du sieur Laiho se fait indéniablement moins Black, malgré les cris suraigus que l’on entend ici et là (cf. 00:58, 01:17, 03:33).
Je salue dans la foulée la production, d’une qualité exceptionnelle. De retour au Astia Studio finlandais d’Anssi Kippo, après un petit détour par l’
Abyss Studio suédois de Peter Tägtgren pour l’enregistrement de "
Follow the Reaper", le groupe jouit d’un son d’une clarté exemplaire. Il faut dire qu’en 2002, avant la sortie de "
Hate Crew Deathroll", Spinefarm Records avait été racheté par le groupe Universal Music, un géant mondial de l’industrie du disque. D’où des moyens financiers énormes à la disposition des artistes ayant renouvelé leur contrat avec le label finlandais, comme ce fut le cas pour
Children of Bodom. Ceci explique cela…
En résumé, ce "
Hate Crew Deathroll" est un très bon album, je l’avoue. Et même si
Children of Bodom a perdu ce petit supplément d’âme qui me transcendait dans les trois premières productions, le tout reste d’un excellent niveau et demeure très appréciable. Impossible, donc, de tenir véritablement rigueur au groupe, ce dernier ayant su évoluer, explorer de nouveaux horizons, de façon tout à fait admirable.
Quand j'avais découvert l'album, je m'étais dit que ça ne valait les premiers et j'avais été un peu déçu. Cependant avec le recul, c'est un album sympa.
Mortel! Je ne connaissais pas ce groupe et je ne connais toujours que cet album mais si tout est du même niveau, et peut être encore meilleur pour certains disques, il va falloir me mettre la main à la poche. Parce que je me régale à l'écoute. Ca envoie le feu à la guitare et les morceaux ont tous un côté entraînant qui me plait vraiment.
Bref, une belle découverte pour laquelle je te remercie BadaofBodom.
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