Qui, dans le cercle très fermé - et pourtant si ouvert - du
Metal, n'a jamais entendu parler de
Children of Bodom ? Je vous le demande car l’immense notoriété de ce groupe à l'heure actuelle fait qu’il est presque impossible d'y échapper. L’énorme succès qu'a rencontré "
Blooddrunk" lors de sa sortie ou l’apparition du titre "Done With Everything,
Die For
Nothing" dans le jeu vidéo "Guitar Hero 5" ne sont que des preuves formelles parmi tant d’autres qui viennent illustrer cet état de fait.
Phénomène de mode pour certains, pompe à fric pour d'autres, grande figure du
Metal Mélodique pour beaucoup,
Children of Bodom n'a apparemment pas fini de faire parler de lui et de créer des controverses. Qui a raison dans tout cela ?
Children of Bodom : un phénomène de mode ? Sans nul doute. C'est un constat, le groupe attire irrésistiblement les jeunes ; ce qui n’est en rien répréhensible, vous en conviendrez. Mais quand on voit, par exemple, certains de ces jeunes gens attribuer la note de 20/20 à "
Blooddrunk" avant même qu'il ne soit disponible, on est brutalement amené à se poser la question de savoir si la musique est réellement au centre de leurs préoccupations... Il me paraît clair qu’à l’instar de Tokio Hotel qui parvient à captiver les adolescentes grâce au physique androgyne - très capillaire, s’il en est - du chanteur Bill Kaulitz,
Children of Bodom sait séduire les adolescents en quête d'affirmation. Aiment-ils vraiment l'univers musical des Finlandais ou sont-ils captivés par le comportement sulfureux de ce cher Alexi Laiho ? Telle est la question à laquelle vous avez déjà sûrement une réponse.
Children of Bodom : une pompe à fric ? Oui, nous ne pouvons nier l'évidence.
Children of Bodom est un groupe à but hautement lucratif. Les disques se vendent comme des petits pains, les places de concert s'arrachent, et les produits dérivés inondent les marchés de toute sorte. Là encore, rien de mal en soi. Sauf qu'à l'écoute de "
Blooddrunk", il nous apparaît que la logique commerciale a peut-être fini par tuer la dynamique créative du quintette en l’incitant à la facilité. J'y reviendrai.
Children of Bodom : une grande figure du
Metal Mélodique ?
Assurément. Je ne le cache pas, je suis un grand fan des Finlandais. Pourtant, "
Blooddrunk" a suscité en moi une légère déception, et je vais vous expliquer pourquoi.
L'évolution. Vaste notion que voilà. Charles Darwin, dans "L'origine des espèces" avait formalisé cette notion pour l'étude du vivant. Il avançait alors que tout être évoluait sous la pression des règles implacables de la sélection naturelle, idée qu'il tenait de Thomas Robert Malthus avec son célèbre "Essai sur le principe de population". Ce qui signifie, en termes plus clairs, que l'être le plus adapté à son milieu est aussi celui qui va pouvoir préserver sa vie, et qu'au contraire le moins adapté est voué à disparaître. Il est très tentant d'adapter ce raisonnement au groupe qui nous préoccupe, n'est-ce pas ? Car, il faut bien l'avouer, "
Blooddrunk" est réellement adapté à son milieu en ce qu’il se rapproche asymptotiquement du phénomène Metalcore, particulièrement en vogue aujourd'hui. Charles Darwin avait également écrit que l'évolution tendait vers la constitution d'êtres parfaits, après élimination des moins adaptés ; thèse que le théologien Pierre Teilhard de Chardin avait corroboré en prétendant que l'évolution correspondait à l'intervention de Dieu, ce dernier perfectionnant sans cesse son œuvre. Là, en revanche, l'analogie ne tient plus avec
Children of Bodom. Car, avec
Children of Bodom, l'évolution n'est pas synonyme de progrès. Passé relativement inaperçu sous le pseudonyme d'Inearthed, le groupe va ébranler le monde du
Metal en 1997 avec l'album "
Something Wild" dont le style réconcilie
Metal "Soft" et
Metal "Extrême". Les deux albums suivants, "
Hatebreeder" et "
Follow the Reaper" confirment définitivement le talent du groupe et les propulsent au sommet. Mais cet âge d'or ne va durer qu'un temps. Après "
Follow the Reaper", la dérive s'amorce. "
Hate Crew Deathroll", bien qu'excellent, met fin à la magie des précédents albums en misant sur une musique plus véloce et agressive. "
Are You Dead Yet?" va encore plus loin en réduisant la mélodie et en accentuant l'agressivité. Quant à "
Blooddrunk", il marque encore une nouvelle évolution qui est sans doute celle du crépuscule de l'inspiration.
Eh oui, le moins que l'on puisse dire, c'est que nos amis d'Espoo n'ont pas repoussé les limites de leur imagination pour la conception de cet album. Dix morceaux (dont une reprise), c'est assez consistant. Mais dans ces dix morceaux, l'originalité, pourtant caractéristique du quintette, se fait attendre… Adieu le charme aussi inquiétant que délectable de "
Something Wild", adieu les mélodies cristallines et envoûtantes de "
Hatebreeder" et "
Follow the Reaper". En revanche, bonjour le Thrash. Que les fans de Thrash ne se réjouissent pas trop vite dans la mesure où on est bien loin d’un "
Master Of Puppets" de qui vous savez. Loin d’être un album culte, "
Blooddrunk" contient du bon et du moins bon, sans jamais vraiment atteindre des sommets ni tomber dans le mauvais absolu. Difficile, dans ce cas, d’effectuer une sélection. Voici malgré tout quelques pistes qui, à mon humble avis, permettent de cerner l’album dans sa totalité (je tiens à préciser que les chansons sélectionnées ne font aucunement partie d’un quelconque top personnel, mais elles ont été sélectionnées par mes soins pour leur représentativité du contenu global) :
Il donne le ton de l’album ; voici venir : "
Hellhounds on My Trail" ! Et quand je vous disais que
Children of Bodom avait résolument versé dans le Thrash, ce n’était pas une mauvaise plaisanterie de ma part. Ce qui avait été entrepris avec "
Hate Crew Deathroll" est donc bel et bien poursuivi par "
Blooddrunk", à la différence près que "
Hate Crew Deathroll" était une brillante réussite… Bref. Pour revenir à nos moutons, il convient de noter que "
Hellhounds on My Trail" s’inscrit dans un registre très Thrash du début à la fin.
Pas beaucoup de répit, donc. Seuls le jeu reconnaissable de Janne Wirman, le claviériste, et la voix typée d’Alexi Laiho sont là pour nous rappeler que c’est effectivement du
Children of Bodom qui parvient jusqu’à nos oreilles…
Le titre suivant, "
Blooddrunk", est tout aussi intéressant. Il est intéressant, certes parce qu’il a donné son nom à l’album, mais aussi et surtout parce qu’il illustre une autre facette de ce que nous propose le groupe. Unique morceau globalement midtempo avec "One Day You
Will Cry", "
Blooddrunk" se démarque de celui-ci par une meilleure prestation vocale d’Alexi Laiho, une mélodie plus épurée, et une plus grande richesse musicale interne grâce à la variation intelligente des structures compositionnelles.
"LoBodomy". Voilà une chanson qui mérite d’être citée, ne serait-ce que pour son nom. Je présume que tout le monde a compris le jeu de mots dont il est question ici, raison pour laquelle je ne vais pas m’étaler inutilement.
Outre cela, il faut voir que "LoBodomy" perpétue une tradition qui remonte aux premiers balbutiements du groupe sous le pseudonyme de
Children of Bodom. Vous ne voyez toujours pas où je veux en venir ? Laissez-moi vous éclairer. "
Lake Bodom", "
Silent Night, Bodom
Night", "
Children of Bodom", "Bodom After Midnight", "Bodom Beach Terror", "
Bastards Of Bodom". Ces titres, vous les connaissez. Mais même sans cela, il n’est pas difficile d’établir un point commun entre eux... Je vous rappelle que le premier appartient à "
Something Wild", le deuxième et le troisième à "
Hatebreeder", le quatrième à "
Follow the Reaper", le cinquième à "
Hate Crew Deathroll", et le sixième à "
Are You Dead Yet?". Il en résulte que chaque album contient inéluctablement le mot "Bodom", non pas forcément par narcissisme démesuré mais plutôt par soin de garder une continuité conceptuelle ; j’y reviendrai ultérieurement. Par ailleurs, que dire de "LoBodomy" d’un point de vue strictement musical ? Eh bien, prenez "
Hellhounds on My Trail" et "
Blooddrunk", mélangez le tout, et vous y êtes.
Venons-en maintenant à "Tie My Rope". Morceau surprenant, j’avoue. Dommage que ce ne soit pas dans le bon sens du terme… Oui, car même si le morceau est dans son ensemble bien structuré, le riff principal m’a laissé assez sceptique. Le son industriel - électronique si vous préférez - qui apparaît en toile de fond s’intègre mal et ne fait qu’avilir le tout. Sa superfluité tombe donc sous le sens. Ceci dit, estimons-nous heureux car le morceau a été réenregistré. J’avais eu la chance (ou plutôt la malchance) de pouvoir écouter la version originale, et ce n’était pas folichon. Le groupe lui-même n’était pas satisfait, alors je vous laisse imaginer…
Et pour finir en beauté : "Banned From
Heaven". Beauté ? Affirmatif, c’est le mot qui convient. Non sans rappeler la célébrissime "Angels Don’t
Kill", cette chanson lente est peut-être la seule de "
Blooddrunk" où le groupe privilégie véritablement l’émotion à la démonstration technique. Et Dieu sait que cela ne me fait pas plaisir de dire cela puisque je suis extrêmement réceptif à la musique de
Children of Bodom en temps normal, malgré son aspect très technique justement.
En parlant de technique, il nous incombe de saluer la performance des musiciens sur "
Blooddrunk" qui est une fois de plus d’un très bon niveau ; ce que la production, propre, parvient à retranscrire. En témoignent notamment les nombreux soli quasi systématiques, s’inscrivant volontiers - et c’est probablement la seule exception - dans un registre qui relève davantage du
Power Metal Européen, dit
Power Mélodique, que du Thrash traditionnel. Mention spéciale à Janne Wirman qui est toujours aussi époustouflant de dextérité derrière son clavier, bien qu’il soit légèrement mis en retrait ici par rapport aux précédentes productions du quintette. Bonnet d’âne à Alexi Laiho dont le chant, d’après ce que j’ai noté, a perdu en intensité : moins de conviction, peut-être…
Côté concept, le groupe reste fidèle à lui-même. Il fait partie de ses formations qui aiment garder une certaine cohérence conceptuelle tout au long de leur carrière, à l’image d’
Amon Amarth, de
Catamenia ou de
Metalium, pour ne citer qu’eux. Sans surprise, on retrouve alors la fameuse faucheuse - incontournable allégorie de la mort - sur la pochette de "
Blooddrunk", mais cette fois, elle a frappé ; d’où ce sang qui jaillit abondamment de nulle part. A ce titre, il me paraît intéressant de comparer cette pochette avec celles des précédents albums car il semble y avoir une réelle continuité. Sur la pochette de "
Something Wild", la faucheuse, en plein désert, nous tend la main et attend qu’on l’a saisisse, comme pour nous entraîner pacifiquement dans l’au-delà ; sur la pochette de "
Hatebreeder", la faucheuse, vraisemblablement devant le lac Bodom, nous indique maintenant le chemin à suivre ; sur la pochette de "
Follow the Reaper", la destination est dévoilée et révèle un cimetière où la faucheuse nous accompagne ; sur la pochette de "
Hate Crew Deathroll", la mort semble inéluctable puisque la faucheuse est en position d’ôter la vie ; et sur la pochette de "
Are You Dead Yet?", la faux funeste est plus près que jamais de sa victime. La fin, vous la connaissez.
Quant aux paroles de "
Blooddrunk", elles sont, à l’image de la pochette, particulièrement noires et violentes. Les thèmes abordés sont principalement le meurtre, le suicide, l’Enfer ; bref, la mort dans tous ses états, avec une pointe de mysticisme. Il va donc de soi que cet album exacerbe, d’un point de vue psychanalytique, la pulsion destructrice inhérente à l’humanité. Car il faut rappeler que chez Sigmund Freud, deux pulsions antagoniques sont constitutives du psychisme humain, et ce dès la naissance. Si l’on en croit son analyse exposée dans son ouvrage "Au-delà du principe de plaisir", nous avons d’un côté la pulsion créatrice, d’engendrement : l’Eros, qui met un point d’honneur à perpétuer la vie. De l’autre, nous avons cette pulsion dévastatrice qui porte simplement atteinte à la vie ou y met fin par l’agressivité qu’elle génère:
Thanatos. En somme, "
Blooddrunk" est un hymne avéré à
Thanatos.
Mon seul regret, c’est peut-être que "
Blooddrunk" ne soit pas un hymne aux fans de la première heure dont je fais partie.
Je n'ai pas parlé des albums précédents volontairement, car j'ai voulu prendre cet album sous un angle neutre - ce qui est rarement le cas quand on juge COB - et très ciblé.
Ceci dit, je reconnais la qualité de Hatebreeder. Cet album est frais, inspiré et a apporté quelque chose de neuf à la scène "death melo" au sens très large. Même son suivant, Follow The Reaper, comporte de très bons passages et conserve une personnalité intéressante, bien qu'il augure déjà de la suite: la démonstration stérile au détriment de l'inspiration et du corps musical. On connaît le reste.
13/20
Je te rejoins complètement. Un album sans défaut majeur dans la forme mais qui manque d'âme et qui n'arrive pas à développer une réelle ambiance. Dommage car c'est avec des Hatebreeder, Hatecrew Deathroll et Something Wild que je me suis mis au metal. Il paraît que le suivant vaut le détour mais j'ai des doutes.
Bonne chronique comme à ton habitude!
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