En 1997, avec "
Something Wild", album aussi révolutionnaire que savoureux, nos joyeux compères de
Children of Bodom avaient mis la barre très haut. Leur inspiration débordante et leur technique instrumentale pointue imposaient le respect, surtout à leur âge. Et naturellement, une telle démonstration de talent laissait augurer d’excellentes choses pour la suite. Mais cette œuvre magistrale des premiers instants n’allait-elle pas, paradoxalement, leur faire de l’ombre ? Les Finlandais allaient-ils parvenir à évoluer tout en conservant les ingrédients de leur recette unique ? Pouvaient-ils se surpasser et faire mieux qu’en 1997 ?
Après avoir décroché un contrat avec le médiatique Spinefarm Records grâce à son opus précédent, le groupe ne tarde pas à signer avec le prestigieux
Nuclear Blast. Bon point pour le groupe qui va gagner en notoriété, et pari gagné pour le label qui vient, sans le savoir, de se lier avec une énorme vache à lait ; si vous me permettez l’expression… Il faut dire que "
Hatebreeder" fut un franc succès lors de sa sortie en 1999, et ce n’est pas pour n’importe quelle raison. "
Hatebreeder" est en tout point un album de grande qualité que je ne vais pas manquer de vous présenter en détails.
Sans surprise, ce nouvel opus entretient jusqu’au bout le côté expérimental qui rythme l’intégralité de "
Something Wild". En effet, la fusion de genres hétérogènes est toujours d’actualité et se veut toujours aussi fascinante par la subtilité de sa réalisation. Ne croyez pas cependant que ce "
Hatebreeder" est une pâle copie de son grand frère. Les Finlandais ne s’étant pas reposés sur leurs lauriers, l’innovation est bel et bien au rendez-vous. Au cœur du changement : l’atmosphère véhiculée. Eh oui, la noirceur originelle est en fait quelque peu atténuée au profit d’un style plus aérien. Avec "
Hatebreeder",
Children of Bodom va encore davantage piocher dans le
Metal "soft" que dans le
Metal "extrême", comme en témoigne notamment le recours désormais quasi systématique au Heavy. Les atmosphères se raréfient, laissant ipso facto la place à un style plus direct ; et l’on assiste à un glissement d’un
Metal plutôt symphonique vers un
Metal plutôt mélodique, tant le clavier se laisse guider par les guitares. Il va de soi que la production, propre et sans bavure cette fois-ci (quand bien même l’album a été enregistré une nouvelle fois par Ansi Kippo au Astia Studio), joue aussi un rôle déterminant dans cette évolution. Car la limpidité du son empêche toute dérive vers un Black
Metal sectaire, Black qui, rappelons-le, se retrouvait à petite dose dans "
Something Wild", n’en déplaise aux puristes.
Cela dit, le Black reste une source d’influence non négligeable pour
Children of Bodom. Il y a tout d’abord ce fameux chant d’Alexi Laiho, incisif à souhait, très Black dans l’esprit. Mais il y a également des riffs typiques de ce style qui s’avèrent parfaitement repérables dans l’album qui nous préoccupe. La première chanson de l’album, "
Warheart", ne nous contredit pas puisque le riff d’introduction s’inscrit volontiers dans un registre Black Symphonique et le riff commençant à 01:15 dans un registre particulièrement Black Mélodique. "
Hatebreeder" n’est pas en reste avec un riff bref mais destructeur à partir de 00:43, tout comme "
Children of Bodom" quand arrive 02:42.
D’autres influences "extrêmes" sont à dénoter, bien qu’elles ne représentent qu’une infime partie du disque. Il s’agit bien sûr du Thrash et du Death que l’on retrouve à peu près dans les mêmes morceaux. Juste après son riff introductif, "
Warheart" nous livre effectivement un riff plus ou moins Thrash / Death (idem à 02:45), ce que l’on retrouve dans "
Hatebreeder" dès que le titre commence. Pour "Wrath Within", le côté Thrash s’étale presque du début à la fin, le morceau étant inspiré de la discographie des compatriotes du groupe
Stone qu’Alexi affectionne depuis son plus jeune âge (l’hommage qui est rendu à
Stone avec la reprise de "No Commands", bonus track présent dans certaines éditions, en est une preuve éloquente).
Mais comme je l’ai indiqué plus haut, le style qui est la véritable matrice de l’album, c’est le Heavy ; à la sauce
Yngwie Malmsteen principalement. J’entends donc par là un Heavy fortement imprégné de la Musique Classique, naturellement virtuose et accrocheur. Tous les morceaux s’arc-boutent sur ce schéma.
"
Warheart", malgré son impétuosité affichée, nous offre de vrais interludes néo-classiques dont Janne Wirman en est le principal artisan avec son harpsichord (cf. 01:46 et 03:28). Mais ne négligeons pas non plus le rôle déterminant des guitares véloces et suraiguës d’Alexi Laiho et d’Alexander Kuoppala qui sonnent quasiment comme des violons (cf. 02:30).
"
Silent Night, Bodom
Night" va bien plus loin. Emmenés par un clavier prodigieux (cf. 01:04) et des guitares toujours aussi acérées (cf. 02:17), les riffs frénétiques de cette chanson invoquent presque à chaque instant les fondamentaux de la Musique Classique. Un régal...
"
Hatebreeder", pourtant assez direct, au même titre que "
Warheart", ne déroge pas à la règle… Quand arrive 02:49, on sent très bien le penchant néo-classique. Et pour cause ! Le groupe s’est ici inspiré de quelques arpèges présents dans le célèbre "Air de la Reine de la Nuit" extrait de l’opéra "La Flûte
Enchantée" de Wolfgang
Amadeus Mozart ; Mozart étant, il faut le savoir, une source d’inspiration intarissable pour Alexi Laiho et ses acolytes, ce qui s’entendait déjà distinctement dans "
Something Wild". À cela, vient se greffer la fin très néo-classique du morceau ; fin en crescendo qui n’est pas sans rappeler celle de "
Red Light
In My Eyes Pt. 2", dans "
Something Wild" également.
Concernant "Bed Of Razors", une rumeur selon laquelle le morceau aurait dû être intitulé "
Red Light
In My Eyes Pt. 3" va bon train. Info ou intox ? Difficile à vérifier… Toujours est-il qu’une telle appellation n’aurait pas été incongrue parce que "Bed Of Razors" conserve lui aussi une approche très néo-classique. Le riff principal qui est donné par le clavier au début et qui est ensuite repris par les guitares nous le montre, de même que le riff commençant à 01:42 puis réapparaissant à la fin, ou que le bref interlude à 02:20.
"Towards
Dead End" ? De la même manière que "
Silent Night, Bodom
Night", ce morceau est profondément néo-classique de bout en bout. Mais ce qui est probablement le plus intéressant survient à 04:15. Car, en tant que fan de
Stratovarius, je n’ai pas pu m’empêcher de faire le rapprochement avec le morceau "Rebel"…
"
Black Widow" poursuit ce travail néo-classique assidu avec un refrain - et c’est flagrant – issu du Concerto pour piano n°20 en ré mineur de Wolfgang
Amadeus Mozart ; refrain auquel viennent s’ajouter le passage à partir de 02:34 ainsi que le crescendo final (quasi identique à celui rencontré précédemment, juste avant que la chanson "
Hatebreeder" ne se termine).
"Wrath Within" enfonce irrémédiablement le clou avec son solo intervenant à 02:33 ; solo qui évoque sans équivoque la Musique Classique dans sa forme la plus conventionnelle.
Idem pour "
Children of Bodom" (cf. 03:57), avec en plus un bref interlude au clavier, comme Janne Wirman savait les faire dans "
Something Wild" (cf. 03:48).
Quant à "
Downfall", il n’y a pas grand-chose de plus à mettre en exergue à son sujet, si ce n’est de signaler une nouvelle fois un solo particulièrement néo-classique (cf. 03:17).
Comme vous pouvez le voir, "
Hatebreeder" est une œuvre néo-classique sur toute la ligne. Attention, cependant. Une telle omniprésence des structures empruntées à la Musique Classique ne doit en aucun cas nous faire oublier les autres aspects musicaux de l’album, également très présents pour certains d’entre eux.
Notons tout d’abord ce fameux aspect progressif, hérité de "
Something Wild". Cet aspect est encore d’actualité avec des morceaux qui sont d’une richesse interne incroyable, pouvant alterner en un clin d’œil entre le Black et le
Power Européen, comme par exemple dans "
Warheart" ou "
Hatebreeder". Manœuvre peu commune, on en conviendra… Surtout que les morceaux ne sont pas très longs. L’archétype de cette dimension progressive reste néanmoins "Wrath Within" où les structures ne cessent de changer pendant près de quatre minutes, et ce de façon parfois abrupte.
Notons ensuite la présence d’arrangements symphoniques, distillés ici et là avec intelligence. De tels arrangements sont nettement moins fréquents que dans "
Something Wild", c’est une évidence. Mais ils restent tout de même essentiels par l’ébauche d’atmosphère qu’ils génèrent à chaque fois, et qui donne indubitablement un charme supplémentaire à cet album. Le riff d’introduction de "
Warheart" est encore une fois très illustratif, de même que les riffs reprenant en partie les symphonies de Mozart dans "
Hatebreeder" et "
Black Widow" ; ce que nous avons vu tout à l’heure…
Quant à la dimension atmosphérique - stricto sensu - inhérente à "
Something Wild", je rappelle qu’elle a été relativement évincée dans "
Hatebreeder". En effet, quand on met à part le court interlude mystique de "
Silent Night, Bodom
Night" où le clavier sonne comme une harpe (cf. 01:53), les premières notes de "Bed Of Razors" qui instaurent un climat plus ou moins inquiétant, le fameux interlude de "
Children of Bodom" que j’évoquais précédemment, et "
Downfall" qui exprime haut et fort la mélancolie, peu d’ambiances sont créées.
Notons enfin le réel côté épique des compositions, encore une fois hérité de "
Something Wild". Preuves à l’appui ! Il y a déjà le riff quasi
Power / Folk de "
Warheart" (cf . 00:54 et 03:05), mais il y a aussi les refrains évocateurs de "
Hatebreeder", "Bed Of Razors", et "Towards
Dead End", épiques à souhait et non moins jouissifs.
Face à une telle richesse musicale, il va de soi que la performance technique des musiciens devait être à la hauteur de l’ouvrage pour ne pas faire sombrer les compositions dans l’anarchie auditive. Et quelle réussite ! En témoignent le jeu de guitare toujours aussi virtuose d’Alexi Laiho et d’Alexander Kuoppala (cf. "
Silent Night, Bodom
Night"), la basse véloce de Henkka Seppälä (cf. "
Warheart"), le clavier supersonique de Janne Wirman (cf. "
Children of Bodom"), la batterie imperturbable (cf. "Wrath Within"), et le chant diabolique du "Wildchild" (cf. "
Downfall"). En témoignent aussi les nombreux "duels" guitare lead / clavier remarquablement menés, respectivement par Alexi Laiho et Janne Wirman. "
Hatebreeder" est probablement le morceau qui illustre le mieux cette pratique entre 03:39 et la fin.
Petites anecdotes, maintenant.
Tout d’abord, il faut savoir que dans l’album "
Hatebreeder",
Children of Bodom continue d’insérer ses fameuses références cinématographiques. "From now on, we are enemies. You and I" qui introduit "
Warheart", et donc par extension l’album, est une citation extraite du film "
Amadeus" de Miloš Forman ; film qui conte la vie de Wolfgang
Amadeus Mozart, comme vous pouvez vous en douter. Ces mots, prononcés par Antonio Salieri, compositeur classique et compatriote de Wolfgang
Amadeus Mozart, sont destinés à ce dernier. Car malgré son talent, Salieri ne peut que s’incliner devant le génie de Mozart, ce qui suscite en lui une jalousie maladive s’approchant asymptotiquement de la haine. D’un certain point de vue, cette citation est parfaite pour introduire l’opus des Finlandais parce qu’elle révèle d’emblée la musique que l’on va avoir la chance de découvrir : un
Metal néo-classique sans concession. Sinon, toujours dans les références cinématographiques, sachez que l’on a droit une nouvelle fois à un air tiré de la série télévisée américaine "Miami
Vice". Oui, je dis bien "une nouvelle fois" car dans "
Something Wild", juste après "Touch Like
Angel Of Death", je rappelle qu’il y a une piste cachée où un air de "Miami
Vice" est interprété au clavier… Bref. Dans l’opus qui nous intéresse présentement, l’air issu de "Miami
Vice" est perceptible au début de "
Black Widow". Vous savez, le petit air gentillet soufflé par la flûte…
Et puis, il faut savoir aussi que pour l’écriture de "Towards
Dead End", le quintette s’est largement inspiré du titre éponyme de sa démo intitulée "
Shining". Cela saute aux yeux - ou plutôt aux oreilles - comme le nez au milieu de la figure…
Côté concept,
Children of Bodom ne sort pas des sentiers battus avec "
Hatebreeder". Le triple meurtre sanguinaire qui avait été commis jadis en Finlande sur les rives du lac Bodom reste au centre des préoccupations du groupe.
C’est en cela que l’on retrouve sur la pochette l’incontournable faucheuse, coupable, dans l’imaginaire collectif, de ces trois meurtres nocturnes d’une rare violence. Détail intéressant, il semblerait que la faucheuse soit placée devant le lac Bodom sur le dessin, ce qui ne fait que donner encore davantage de crédit au concept entretenu. D’autant que la faucheuse tend son bras dans cette direction, comme si elle voulait qu’on y mette les pieds pour nous réserver le même sort funeste qu’aux trois jeunes malheureux ayant croisé son chemin en 1960. Par ailleurs, la couleur verte répartie uniformément sur toute la pochette (et présente de la même façon dans le clip de "
Downfall") n’est peut-être pas anodine, même si elle demeure surprenante, tant le rendu visuel est kitsch. Parmi ses innombrables significations symboliques, le vert peut effectivement représenter la maladie et la mort, en référence notamment à la couleur écœurante d’un corps en putréfaction. Erkki
Johansson pourrait certainement en témoigner, lui qui avait découvert la scène macabre lors de sa baignade matinale dans le lac Bodom, un certain 5 juin 1960…
Les paroles, quant à elles, se rapportent soit explicitement au triple meurtre sus-cité (cf. "
Silent Night, Bodom
Night" et "
Children of Bodom"), soit implicitement en évoquant entre autres la mort, la souffrance, la haine, et l’obscurité.
Voilà, je crois que la boucle est bouclée à propos de "
Hatebreeder". Et quel album, mes amis ! Je ne vous cache pas que s’il ne devait en rester qu’un, ce serait probablement celui-ci que je choisirais. Pourquoi ? Parce qu’il m’a complètement subjugué musicalement par son ingéniosité à tous les niveaux, et parce qu’il revêt une dimension particulièrement affective pour moi. "
Hatebreeder" est un de ces albums qui m’ont fait tomber de façon irrémédiable dans la marmite du
Metal, et je ne l’en remercierai jamais assez pour cela.
Plus qu’un album, un mythe !
Quant à "Hatebreeder", ça se
sera sans doute vu, c'est "Downfall" et "Towards Dead End" ^^
dire que je connaissais pas cette chanson quand je les ai vu en concert,en 2006. xD
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