Entre deux nouveaux albums,
Cradle Of Filth semble s'amuser à jouer avec la nostalgie de certains de ses fans. En témoigne, notamment, cette compil' de remix de vieux titres parue il y a quatre ans :
Midnight in the Labyrinth. À quoi fallait-il s'attendre cette année pour fêter les 20 ans de
Dusk... and Her Embrace, l'album qui a permis au groupe d'atteindre la consécration ? Une réédition spéciale, comme c'est la mode en ce moment pour pas mal de disques cultes ? Presque ! Nous avons droit ici à ce qu'aurait pu être
Dusk s'il avait été sorti non pas en 1996 mais un an plus tôt...
On se souvient qu'à cette époque, Cradle avait dû enregistrer l'EP Vempire pour le compte de Cacophonous Records afin de clore son contrat avec ce label. En même temps, les termes de l'accord amiable avec le boss de Cacophonous, Frater
Nihil, ont permis au groupe de réutiliser le matériel déjà existant pour
Dusk afin de le réenregistrer et le sortir finalement sous licence Music for Nations. Aujourd'hui, les relations entre Dani
Filth et Frater
Nihil sont suffisamment détendues pour permettre à ces vieilles pistes de connaître une exhumation en règle - il n'y a pas d'autre mot !
Printemps 1995, donc, du temps où Cradle arbore encore le corpse paint mais s'alloue déjà les services de deux chanteuses en studio, dont pour la première fois Sarah
Jezabel Deva. Le line-up est à peu près le même que celui officiant sur l'album
The Principle of Evil Made Flesh de '94. Toutefois, alors même que l'enregistrement a été effectué, le groupe va connaître une sacrée saignée : les deux guitaristes Paul Allender et Paul Ryan, le claviériste Benjamin Ryan (frère du précédent) et le bassiste Jon Kennedy (qui ira fonder son propre groupe
Hecate Enthroned) ne seront plus de la partie un an plus tard, remplacés qu'ils seront par Stuart Anstis, Gian Pyres, Damien Gregori et Robin
Graves à leurs postes respectifs.
Du coup, les deux versions de
Dusk 95 et 96 ne seront pas enregistrées avec les mêmes membres, d'où des différences non négligeables comme nous le verrons.
Petite explication du tracklist : originellement,
Dusk... 95 comporte déjà les morceaux de l'album de 96, à l'exception de "Malice
Through the
Looking Glass" car composé plus tard, auquel on rajoute une intro inédite et une outro qui intriguera les plus connaisseurs : "Carmilla's Masque" réapparaîtra en effet en bonus sur les versions limitées du
Dusk... 96. Et si "
Nocturnal Supremacy" est également présent, c'est qu'il devait initialement y figurer ; on le retrouvera, finalement, sous un autre jour (et nuit), sur le redoutable EP Vempire.
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Biiien ! Les présentations étant faites, sus au cœur du disque !
Très vite, on se rend compte que la musique de Cradle a déjà mué en un Black mélodique aux fortes consonances gothiques et il n'y a aucune difficulté à reconnaître les morceaux, que ce soit l'épique "
Funeral in Carpathia" ou la rampante "Gothic Romance". De fait, les structures des compositions sont quasi-identiques à celles futures ; c'est à peine si on distingue de légères nuances au niveau du tempo, des accords ou des breaks.
Seul l'interlude "The
Graveyard By
Moonlight" fait exception, car totalement différent.
En fait, c'est au niveau des arrangements qu'il y a pas mal de différences.
A commencer par les claviers de Benjamin Ryan. On note que le musicien est plus porté sur les sons de vieille boîte à musique que le clavecin de son futur remplaçant (les mélodies principales de "Beauty Slept in Sodom").
Surtout, ses tentatives de sonorités romantiques se révèlent d'une qualité très variable : tantôt très honorables (tel le violoncelle sur le titre éponyme et "
Funeral in Carpathia"), tantôt bien kitsch ou brinquebalants (notamment les débuts de "Gothic Romance" et de "The
Haunted Shores"). La faute à un matos de notre musicien clairement limité et désuet - vous avez dit, bon tempi ?
Cependant, on aura aussi droit à quelques nappes aériennes envoûtantes rappelant
Emperor, capables de magnifier un titre comme "
Heaven...
Torn Asunder".
Ce qui frappe le plus, c'est le chant de Dani. Quoique bien agressif et versatile, il ne se lance pas encore dans les plus hauts aigus possibles - vous savez, ces fameux cisaillements sans fins de corbeau frénétique - et n'est pas mis en avant dans le mix. Et il ne maîtrise pas encore ses phrasés plus graves (bien souffreteux sur "The
Haunted Shores").
Puisqu'on parle du chant, précisons que les paroles des morceaux ne sont pas exactement les mêmes en 95 qu'en 96. Qui plus est, les interventions féminines sont un peu plus nombreuses, "Beauty Slept in Sodom" démarrant de manière remarquable.
Du côté des guitares aussi, quelque chose étonne : les mélodies heavy sont là, mais les soli sont plus discrets (différence flagrante sur "
Funeral in Carpathia"). Les plus réussis sont le maidenien suivi du thrashy de "Gothic Romance".
Sinon, les deux morceaux démos offerts à la fin du disque ne sont pas inintéressants, mais souffrent de vocaux un peu trop en retrait (ça sonne roots, quoi) et ont des passages assez monotones, malgré des riffs plutôt bien tranchants.
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Alors quoi ? Au-delà de son intérêt historique, cette version avortée, aujourd'hui exhumé, mérite-elle qu'on la considère autrement que comme une ébauche du
Dusk 96 ? En fait, oui.
Ce disque possède un certain charme par son côté perfectible. De plus, il bénéficie d'un mixage mettant bien en valeur tous ses éléments. Et par ses propres détails, il dégage une ambiance qui permet de découvrir le Cradle de l'époque sous un autre jour (et nuit noire) : celui d'un groupe dessinant ses tableaux horrifiques et tragiques sans trop verser dans l'emphase théâtrale, sans de gros effets de claviers grandiloquents et sans une mise en scène vocale qui cherchent délibérément à caresser ou impressionner l'oreille de l'auditeur.
Moins flamboyant qu'en 96,
Dusk en 95 n'en est pas moins intrigant et inquiétant, voire se révèle plus mélancolique et touchant. Pour couronner le tout, la galette s'est vu dotée d'un excellent son - merci qui ? Merci les moyens modernes de remasterisation !
Rendez-vous dans deux ans pour la suite des réjouissances nostalgiques ?
15/20
@diavt : Cacophonous Records a renaquit de ses cendres, mais il n'a sûrement pas capable d'éditer autant de copies que Peaceville Records ou Nuclear Blast. Le mieux serait peut-être de le contacter directement pour avoir l'objet convoité.
Belle chronique je me demande tout de même si ça vaut le coup de se procurer cette version alors que l'on possède déjà la version 96.Déjà l'artwork est juste terrible et n'a rien à voir avec l'original j'avoue que je suis tenté.
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