Le dévoreur. La manticore est une créature carnassière et féroce, aussi féline que sauvage, esthétique que brutale et surtout d’un sadisme en devenant malsain dans la mythologie. Dévorant ses victimes par plaisir et se délectant de leurs souffrances, la manticore reste aujourd’hui encore l’incarnation de la bestialité animale. Il n’est donc que peu surprenant que Cradle of
Filth, habitué aux monstres mythologiques et aux légendes, s’en soit approprié le nom pour l’appellation de son dixième opus studio, vingt ans après ses débuts.
D’une productivité étonnante depuis quelques années, et revitalisés par les réussites que furent "Godpseed on the
Devil’s
Thunder" et "Darkly, Darkly Venus Aversa", les britanniques en ont même profité pour proposer un ep longue durée agrémenté d’un dvd complet ("
Evermore Darkly") et le fameux projet orchestral qu’ils annonçaient depuis des années ("
Midnight in the Labyrinth) pas plus tard qu’il y a six mois. Et c’est déjà au tour de "The Manticore and
Others Horrors" de voir le jour, soit deux ans tout juste après "Darkly, Darkly Venus Aversa".
Les premières annonces soufflèrent le doute chez les admirateurs, entre les déclarations de Dani
Filth qui annonçait un opus avec des éléments heavy et punk, le départ du bassiste Dave Pybus (remplacé par le parfait inconnu Daniel Firth) et Paul Allender qui déclarait que l’album ne devrait pas ressembler aux très réussis précédents. L’anxiété était légitime, encore plus après la diffusion du sublime clip de "
Frost*********************************** in the Pillow", où l’excellence visuelle ne permettait tout de même pas de cacher la pauvreté du morceau qui rappelait étrangement la période thrashisante de "
Nymphetamine" ou "
Thornography", pas forcément les meilleures heures de Cradle. Car outre un riff relativement plat, on retrouvait certes une forte ambiance gothique mais surtout un Dani
Filth retombant dans ses travers, avec des vocaux plus clairs mais peu convaincants, ceci ne faisant qu’amenuiser l’impact de la composition.
Heureusement, dans son ensemble, "The Manticore and
Others Horrors" reste de bonne facture mais tout de même en deçà des dernières réalisations. Il est à noter que c’est Martin Sharoupka (batterie), décidemment de plus en plus impliqué dans le groupe en plus d’être le meilleur batteur depuis Nick Barker, qui est à l’origine de l’intégralité des arrangements orchestraux de l’album. On passera l’introduction de rigueur qu’est "The Unveiling of O" avant de s’attaquer directement à "The
Abhorrent", direct et expéditif à souhait pour ouvrir l’album. L’aspect thrash est très présent mais la virtuosité de Martin derrière les futs permet de varier énormément les structures et les passages violents des compositions, tandis que les riffs évoquent fortement "
Nymphetamine", dans cet aspect très britannique de sonner en « twin guitar ». Le chant de Dani, bien que fidèle à lui-même, gagne en clarté ce qu’il perd en puissance. On remarque donc une meilleure élocution, mais par la même occasion un vocaliste fatigué de véhiculer une telle violence depuis vingt ans et parfois à la peine sur les parties les plus brutales. L’empreinte gothique des arrangements et du break orchestral est extrêmement bien ficelé, preuve que Martin est un touche à tout qui, on l’espère, gagnera en notoriété avec le temps (il jouera d’ailleurs dans le prochain album de
Masterplan).
Ensuite, l’album manquera foncièrement de variété et de grandiloquence dans son contenu, peinant parfois à maintenir l’attention sur l’intégralité de l’album. Il faut également noter l’absence de longues pièces musicales, les titres ne dépassant pas ici les six minutes. "Illicitus", par exemple, se veut très symphonique, rapide et furieuse dans la pure tradition du groupe, et manque donc singulièrement de surprise, malgré une totale maitrise de son sujet. Les chœurs fantomatiques et sporadiques renvoient plutôt à l’atmosphère très théâtrale de "
Damnation and a Day".
A l’inverse de ce retour en arrière, la surprise d’un "Huge Onyx
Wings Behind
Despair" n’en est que plus grande, s’ouvrant sur quelques sons cybernétiques avant de partir sur un rythme frénétique et un riff black metal qu’il fait bon entendre. Les orchestrations sont nerveuses et grandioses, Dani hurle comme un damné et les changements de tempos apportent une dynamique énorme au morceau, repartant de plus belle sur un blast effréné du monstrueux Skaroupka. La voix, ample et déchirée de Dani est complètement à son aise et place cette composition sur un astre ténébreux, faisant amèrement regretter que l’ensemble ne soit pas de ce calibre. Il en va de même pour le surprenant "Siding with the Titans", à la mélodie au piano mais aux riffs vicieux comme Cradle n’en avaient pas livré depuis pas mal de temps, également surplombé par une superbe performance de Dani au micro. La richesse du jeu de batterie y est, une nouvelle fois, pour beaucoup tant on alterne entre plans rapides, multiples roulements de toms et accélérations fiévreuses débouchant sur des blast beats furieusement rapides. Mais ceci alterne avec un "Manticore" plutôt fade (dont le riff initial est une copie conforme de la version longue de "
Nymphetamine" à laquelle se greffe des arrangements légèrement orientaux), un "
For Your Vulgar Delectation" très (trop) simple et sans surprise (les riffs thrash du groupe n’ont jamais été un modèle de variété et de richesse) ou encore un "Succumb to This" dont les aspirations gothiques sont plutôt précaires (le chant féminin n’est pas une grande réussite).
"Pallid
Reflection" surprend également dans le sens où le riff principal se veut très heavy metal, à l’instar d’un "
Forgive Me Father" mais sans son impact metallique qui en faisant un hymne. En revanche, on peut sincèrement se poser la question de mettre en bonus track une composition comme "Death, The Great Adventure" (titre plus long que tous les autres de l’album), parcouru d’un souffle épique incontestable et d’une richesse qui manque singulièrement au corps de l’album.
Dans l’ensemble, la déception est de mise puisque Cradle of
Filth était sur une excellente dynamique depuis quelques années et que "The Manticore and
Others Horrors" marque clairement un coup d’arrêt, une semi déception pour un opus incomplet et fragile, à l’équilibre instable et à la personnalité effacée. Espérons que le groupe ne passera pas par un second passage à vide, comme ce fut le cas après "
Midian", et qu’il repartira plus furieux et digne de son rang dès le prochain disque.
Les + :
Plus méchant, plus rentre dedans, l'intro de "For your Vulgar Delectation" fait du bien, et je trouve le solo plutôt cool. J'aime bien le riff qui sonne speed mélodique sur Illicitus (qui apparait vers 50s, on le retrouveras plusieurs fois dans la compo).Frost on Her Pillow et ses mélodies à la guitare me rappelant Amorphis, qui nous replonge dans l'univers dark melodi goth de Cradle.
Les blast de Huge Onyx, le passage à partir de 1.50min de Pallid Reflection... et pas mal d'autre chose par ci par là.
Les - :
Bin... pas grand chose, pas de narration casse boulettes, pas d'interludes qui prolongent inutilement l'album à plus de 1h. Une intro, une outro, et 9 morceaux de bonne qualité. C'est sûr, il n'y a plus de surprises, on a plus cette ambiance black froide et vampirique des débuts, je n'ai pas eu coup de coeur particulier sur une compos. Je le trouve tout de même au dessus de Darkly. 14/20
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