Le plaisir de la chair. Assouvir l’appel des sens. Gouter au pêché. La nymphomanie. Cette maladie incurable purement humaine, poussant la femme à devenir tour à tour animalité et bestialité, dans l’unique but de ne pas renier ce désir si sale et pervers.
Une perversité que Cradle of
Filth a voulu exploiter dans son septième album studio nommé "
Nymphetamine", néologisme symbolisant cette notion d’addiction à la féminité, de transformer la femme en unique objet de culte. Une splendide nymphe orne la pochette, noyée dans les flammes ardentes de la tentation et du désir. Le livret plonge encore plus profondément dans l’horreur féminin, s’inspirant de la littérature gothique pour dépeindre une féminité cadavérique et fantomatique, vision cauchemardesque de déchéance humaine que nous offre ce splendide livret très sombre.
Mais outre ce caractère esthétique très soignée, comme toujours chez les britanniques, l’aspect kitsch des débuts en moins, c’est son rapprochement temporel avec l’ostentatoire "
Damnation and a Day" qui surprend. En effet, après avoir mis trois longues années à accoucher d’un opus aussi décevant qu’impressionnant dans son ambition, "
Nymphetamine" arrive à peine quinze mois après.
Dani
Filth avouera avoir composé sur la route, dans l’euphorie du moment, sans aucune pression due à une quelconque attente et donc dans une spontanéité qui manquait cruellement à son prédécesseur.
"Satyriasis" ouvre le bal avec décadence et théâtralité. Les chœurs envoûtent et happent dès les premiers instants, dans une symphonie déjà malsaine. Mais ce à quoi l’auditeur peut s’attendre se verra bien différent.
"Gilded Cunt" impose une ambiance chaotique et hystérique dès les premiers accords, propulsée par une production limpide et tranchante, loin de l’imprécision d’un "Cruelty and a
Beast". Dani hurle comme un damné mais dans une tessiture plus grave, dévoilant un growl qu’il développera de mieux en mieux avec le temps. L’orchestre disparait, laissant la place à des guitares malsaines et tourbillonnantes, un blast apocalyptique prend place sur un pré refrain jouissif sur lequel Dani hurle avec furie. Une crasse presque thrash s’infiltre dans les riffs d’un Paul Allender qui s’en donne à cœur joie. Une introduction pas si éloigné d’un "Cthulhu
Dawn" auquel on aurait amputé les claviers.
Rien de forcément surprenant. Cradle démontre que la brutalité et la rapidité sont toujours un leitmotiv dans leur musique... mais ils vont continuer sur la même voie. "
Nemesis", "Medusa & Hemlock", "English
Fire", autant de morceaux où les guitares prédominent, où l’ambiance ne se fait plus par l’intermédiaire de symphonies mais belles et biens de riffs glauques et moribonds, souvent lourds et précis, comme la parfaite antithèse de l’opus précédent.
Un titre comme "Gabrielle", aux claviers discrets mais bien présents, instaure une pression et une atmosphère gothique prenant viscéralement à la gorge. Les chœurs sont là, mais en retrait, laissant toute la place aux guitares mélancoliques et surtout à un Dani
Filth en état de grâce, produisant l’une des meilleures performances de sa carrière sur ce morceau. Ses hurlements suraigus, comme un appel à l’ange "Gabrielle", glacent un auditeur qui découvre une véritable signification du terme gothique. Dans sa noirceur et sa furie. Nous sommes loin du gothique de bas-étage comme tant semble s’en accommoder, et dans une vision plus vampirique de la chose, à l’instar d’un break mélancolique (splendide ligne de piano), laissant un Dani passé du simple souffle au hurlement le plus horrible et glacial. Du grand art et probablement l’une des meilleures compositions du groupe, toutes périodes confondues.
Le magique "Absinthe with
Faust" poursuit dans un style encore plus épuré, plus stylisé et s’éloignant encore un peu plus du black métal, pour nous éloigner dans des contrées où rêveries côtoient noirceur et ambiances malsaines. Un riff simple, une atmosphère enchanteresse, une mélodie limpide et des vocaux qui, malgré leurs violences, jouent sur le contraste et le saisissement (notamment les susurrements de Dani). Mais sans jamais renier sa personnalité, Cradle dévoile une autre facette de son art, moins extrême mais si belle. "
Nymphetamine Overdose", à la prestation remarquée de Liv Kristin (fidèle à elle-même, il faut apprécier cette vision niaise du chant que je ne partage pas), se pourvoit de multiples breaks tout au long de neuf minutes aussi cruelles qu’angéliques.
Néanmoins, l’exceptionnelle qualité minimaliste de certaines compositions ne cachera pas la sensation de vide d’autres.
Si "
Nemesis", sans aucun claviers, parvient à se faire malsaine grâce aux vocaux vomitifs de Dani et au riff aliénants de Paul (une touche répétitive et hypnotique) et notamment aux chœurs chantés d’une noirceur sans commune mesure, des compositions comme "English
Fire" ou surtout "Filthy Little Secret" (annonçant
Thornography), inspirés par Iron Maiden et à la touche très britannique, souffre d’un réel manque dans le fond, d’un vide sidéral qui nous laisse la désagréable sensation d’écouter de la bonne musique mais sans âme ni tripes.
Probablement trop long, l’album semble peiner à retrouver son souffle après la claque éponyme, et se perd un peu dans une simplicité certes salvatrice mais à double tranchant. Il est évident qu’un titre mid tempo demande une qualité de composition bien plus importante qu’une avalanche prétentieuse de notes. Et Cradle of
Filth n'en possède pas encore toutes les armes.
Et l’épilogue "Mother of Abominations", s’il retrouve un souffle épique et dérangeant, arrive un peu tard. Cependant, l’aspect mystique et incantatoire de certaines parties offre un superbe contraste avec le retour d’une double pédale qui commençait à réellement manquer.
Au final, "
Nymphetamine", sans offrir un véritable chef d’œuvre (nous sommes loin d’un "
Dusk and her Embrace", de la magie d’un "
Midian" ou de la magnificence du récent "
Godspeed on the
Devil’s
Thunder"), propose une alternative intelligente à un combo qui avait pris conscience d’avoir été au bout de son concept symphonique. Et même si son successeur ne convaincra personne par une mollesse affligeante, cette parenthèse plus accessible et brut aura néanmoins permis de retrouver le grand Cradle of
Filth aujourd’hui. Un chapitre important, à défaut d’être essentiel.
En ce sens il rejoint pour moi d'autres productions plus accessibles du groupe, comme Godspeed on the devil's thunder et Midian.
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