Lorsque la machine de guerre broya de nouveau…
Il y a ces hommes, ces artistes qui, trop tôt, dans les méandres d’un anonymat volant en éclat, se voient attribuer le rôle de sauveur d’un mouvement tout entier à lui-seul. Ces entités pour lesquelles nous attendons dorénavant beaucoup, sinon trop, et pour qui le moindre écart n’est souvent que bien peu toléré, si ce n’est limogé. L’ensemble des précurseurs ont connu ou connaissent aujourd’hui cette situation, celle d’être constamment comparé à un glorieux passé qui n’est pourtant que peu en rapport avec ce que peut proposer artistiquement ces groupes à l’heure actuelle.
Si les grands dieux que sont les Iron Maiden,
Megadeth,
Metallica,
Slayer,
Darkthrone,
Vader ou autres
Paradise Lost sont évidemment dans le cas présent ; les groupes ayant apporté, avant un style, un son, le sont tout autant. Citez
Korn,
Limp Bizkit ou System of a
Down ne serait pas usurpé…sans occulter évidemment
Machine Head.
Suite au split de
Vio-lence, et à la sortie du culte "
Burn My Eyes", n’étant pourtant pas sans défauts, puis d’un The More Things Change plus contrasté mais à l’impact retentissant, les américains sombrèrent pendant plusieurs années, entre créations artistiques en demi-teinte, voir complètement inintéressantes, et changement incessant de personnel ne rendant la formation que plus précaire encore, et de plus en plus « has been » auprès des fans.
Machine Head appartenait au passé, et n’était bien souvent résumé qu’à un unique disque, le premier…sombre constat, cruel et sans appel pour Rob Flynn et Adam Duce, maitre à bord depuis la première minute.
Si l’excellent "
Through the
Ashes of
Empire" rappela le combo aux yeux des curieux, sans pour autant convaincre l’ensemble de l’auditoire, l’heure de la consécration arriva finalement quinze après la création du groupe, avec l’exceptionnel "
The Blackening", sorti voilà déjà quatre ans.
Alors que plus personne ne les attendait,
Machine Head composa un véritable chef d’œuvre de riffs, de composition, d’intelligence musicale et de violence mélodique et technique, "
The Blackening" fut enfin passé le groupe au cran supérieur, explosa les chiffres de vente et emmena la bande à Rob aux quatre coins du monde lors des plus grands festivals du monde pendant plus de trois ans et demi. Le carton fut tel que la pression autour d’un hypothétique nouveau disque emporta les deux principaux protagonistes en cure de désintoxication pour éviter de définitivement en venir aux mains.
Après de nombreux mois d’attentes, d’interrogations sur l’orientation musicale après un album beaucoup plus ambitieux proposant pour la première fois des compositions aussi longues, et un niveau technique aussi élevé, "Unto the
Locust" est enfin entre nos mains. Haranguant un nouveau logo, et un artwork des plus étranges, glauque et malsain mais relativement éloigné de l’univers des américains et témoignant d’une symbolique d’évolution avec cette créature sortant de sa chrysalide, l’album affiche sept morceaux au compteur, comme un symbole d’un disque continuant le sillon tracé par l’opus précédent.
Si nous ne parlerons toujours pas d’un disque progressif, puisque les structures, malgré qu’elles soient à tiroir, restent basées sur les refrains, il est en revanche évident qu’"Unto the
Locust" dévoile un
Machine Head n’ayant jamais été aussi technique et avant tout mélodique. Il suffit d’écouter le démentiel "Be Still and Know" pour s’en convaincre, composé d’un lead mélodique au tapping tenant sur l’ensemble du morceau, et s’ouvrant de manière progressive sur le lead, puis avec l’apparition petit à petit d’interventions de Dave McClain superbe, d’une descente de toms magique, puis avec l’apparition d’un pattern passant par la caisse claire de plus en plus puissant avant que ne déboule un riff de pur
Machine Head, gras et puissant, surplombé par les vocaux agressifs et sans concession d’un Rob au sommet de sa forme et de sa confiance. On le verra tenter des envolées mélodiques encore plus accentuées sur un refrain très heavy, très Maiden, et un morceau globalement très technique mais peu rapide. A l’inverse, l’effréné "
This Is the End" est une claque en travers de la tronche comme le fut "Aesthetics of
Hate" sur l’album précédent, partant d’une introduction acoustique pour déboucher sur un riff d’une technicité affolante (Phil Demmel s’est encore amélioré et Rob est rythmiquement monstrueux sur ce disque) et très personnel, presque enchainé à un blast beat de McClain avec un hurlement de Rob des plus furieux. La partie de batterie est hallucinante en termes de breaks et de cassures rythmiques, tandis que Rob vocifère comme un forcené ses textes emplis de colère et de frustration. Dans ce chaos sonore s’élève paradoxalement les parties de chant les plus aigües qu’aient jamais réalisées le chanteur, sur un refrain à deux voix, dont le résultat sera probablement surprenant en live (Adam aux chœurs ?). Le break est amené par un nouveau riff toujours aussi technique et ébouriffant, véritable condensé de fureur thrash comme il y en aura finalement peu pendant les cinquante-trois minutes de l’album. On retrouve également les fameux « sonars », véritable marque de fabrique du groupe depuis ses débuts, atteignant sa plénitude artistique sans aucun doute possible.
Néanmoins, là où ces compositions ne surprendront pas l’auditeur ayant écumé "
The Blackening", certains écarts artistiques, souvent très intéressants et expérimentaux, seront autant de terrains de discordes pour certains ayant déjà votés le fait que
Machine Head avait vendu son âme au diable.
"
I Am Hell (Sonata in C#)", premier titre, débute ainsi le disque sur un passage à capella de Rob, avant un déluge de chœurs, certes apocalyptiques et effroyablement noirs, mais très loin de l’image urbaine que véhiculait le groupe depuis des années. Ce nouveau
Machine Head est solennel, imposant et définitivement bien moins accessible. Le son se fait gras, grésillant, sale…avant un riff très rapide dans la pure veine d’un "Clenching the Fists of Dissents", très similaire dans l’approche et composé de trois parties distinctes, à la manière d'une sonate. La double pédale est à l’honneur sur une rythmique des plus rapides et violente, presque punk (dans l’esprit, pas l’exécution). Rob est une nouvelle fois déchainé et livre un refrain cette fois-ci dans la conduite du morceau, c’est-à-dire agressif et sans concession, promettant des instants de transe mémorable lors des futurs concerts.
L’éponyme "
Locust" reste dans la même trame narrative, se reposant sur un riff très puissant et technique, tout en débutant avec une introduction mélancolique et acoustique.
Machine Head n’aura probablement jamais été aussi fluide dans sa qualité technique qu’aujourd’hui, comme en démontre les mélodies léchées comme jamais. Rob, également, conserve ce grain de voix si fabuleusement gras et écorché, en n’oubliant jamais de s’envoler dans des clairs dont il est passé maitre (bien souvent sur des leads mélodiques de Demmel à tomber). Tout en semblant plus posé et réfléchi, la personnalité du groupe n’est jamais démenti, entre ce son si caractéristiques et ces « sonars » omniprésents dans les compositions.
On emmétra en revanche bien plus de réserve sur "
Darkness Within" et son aspect mercantile trop fortement marqué, à l’introduction évoquant avec insistance l’époque de "
The Burning Red". Presque anachronique, le morceau est sevré d’une quelconque force émotionnelle qui fait la force de ce septième opus. "Who We Are" termine le disque avec une nouvelle surprise et expérimentation…puisqu’il s’ouvre sur une chorale d’enfants (ceux de Rob et Phil), pour ensuite déboucher sur un riff très thrashisant et traditionnelle, partagé entre une beauté simple et manque évident de nouveauté dans sa structure. En effet, on ne pourra que reprocher à ce final un manque flagrant de prise de risque une fois l’intro terminé, retombant dans du
Machine Head, certes de haute volée, mais sans surprise. C’est tout le souci d’un album objectivement excellent, mais souffrant d’une évidente comparaison avec un grand frère quasi imprenable et indépassable.
"Unto the
Locust" ne fait que perdurer une machine redevenue parfaitement huilée depuis "
Through the
Ashes of
Empire" sans apporter un quelconque plus à l’œuvre globale du groupe, là où "
The Blackening" transcendait complètement la musique du combo. L’album satisfera sans problème les (très) nombreux fans des albums précédents, mais il ne manquera pas de laisser une sensation légèrement désagréable dans la bouche…celle de s’attendre à l’excellence alors que l’on ne nous sert que du très bon…Retour de manivelle d’un groupe nous ayant appris à devenir exigeant avec eux-mêmes…il fallait bien que cela se paie, même légèrement, un jour ou l’autre…
Edit: C'est quoi si ce n'est pas de l'évolution ni de l'expérimentation ?!
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