« Je n’ai pas envie d’asservir ma musique »
Le message est clair. Définitif. Incisif. Robb Flynn le dit, l’avoue et le clame : l’évolution récente de
Machine Head doit tout à l’inspiration de son géniteur et n’a jamais été planifié, pensé ou envisagé pour un quelconque ou éventuel succès commercial. Le quatuor a toujours été honnête envers lui-même, que ce soit dans la controverse ("
The Burning Red") ou dans l’excellence ("
The Blackening"), voir même l’indifférence ("
Supercharger"). Robb, désormais dernier membre originel avec le départ d’Adam Duce pour une énième querelle liée à l’alcool (la violence ayant visiblement été trop forte pour un retour en arrière cette fois-ci), dit plus ouvertement que jamais qu’il est libre et que personne ne lui dictera ce qu’il doit faire, composer ou chanter. Ni label, ni manager, ni fans. Si Phil Demmel prend de plus en plus d’épaisseur dans l’écriture, particulièrement sur les phases solistes, c’est bien Robb qui est crédité sur chacun de ces douze nouveaux titres et qui, plus que jamais, domine de son empreinte et de sa prestance cette huitième offrande.
Il faut dire que succéder à "
The Blackening" avait été un défi que n’était pas parvenu à relever un "Unto the
Locust" excellent mais qui ne pouvait que souffrir d’une comparaison encore trop proche avec la perfection de son prédécesseur. Finalement très ressemblant, peut-être même plus mélodique encore, l’album avait marqué une sensible déception pour ceux qui attendaient une nouvelle révolution. De ce fait, l’appréhension que porte "
Bloodstone & Diamonds" en lui est grande. Premier album sur un label autre que Roadrunner (de plus chez
Nuclear Blast), un titre étrangement clinquant pour le groupe et surtout un artwork qui ne laissait pas présager une grande recherche graphique tant il ne présente que les éléments indiscutables connus de tous depuis vingt ans. Alors quoi ? Surtout lorsque Robb se laisse aller à dire que
Machine Head va se découvrir des orientations symphoniques nouvelles plus classieuses que jamais…avions-nous bien entendu ? Ou alors était-ce l’étape logique et inévitable d’une évolution entamée dès "
Through the
Ashes of
Empire" ?
La réponse prend la forme du titre d’ouverture, "
Now We Die", déjà représenté par un clip absolument superbe et impressionnant esthétiquement parlant (
Nuclear Blast met clairement le paquet sur la promo des américains). Une introduction faite par un quartette à cordes, un cri de Robb hurlant le nom du morceau, un riff mid tempo accompagné de la batterie explosive de Dave McClain et nous voici face au
Machine Head nouveau. Nouveau, vraiment ? Là est la question puisque, outre les quelques (légères) incursions symphoniques sur le sublime refrain et sur le break, c’est face à un
Machine Head connu que nous sommes, un
Machine Head qui compose un titre de sept minutes avec le plus grand naturel du monde, armé d’une production en béton armé, de riffs surpuissants, de soli très techniques (merci Phil) et d’une emphase lyrique permettant à ce refrain d’être déjà un très grand moment. Robb, maitrisant de mieux en mieux sa voix, la module à loisir entre cris rauques, chant clair ou plus narratif sans forcément se cantonner au seul refrain en clair.
Alors oui, des éléments nouveaux intègrent la musique des américains mais ils ne changent finalement ni la découverte du morceau ni son écoute et paraissent si naturels qu’ils semblent avoir toujours été là.
Machine Head est arrivé à un tel niveau de maitrise qu’ils éprouvent naturellement plus de difficulté à surprendre, étant désormais les maitres incontestés de leur style (quel style d’ailleurs ?). A l’instar d’une icône, Robb et sa bande font défiler les titres avec une excellence d’interprétation frisant l’hérésie mais flirtant parfois avec le convenu, partagé entre les moments de pure folie avec d’autres plus traditionnels. Se pose alors une seconde question. Pour la première fois depuis "
Supercharger", un disque possède douze titres, soixante et onze minutes et ce malgré des titres dépassant allègrement les six, sept ou huit minutes. Le vocaliste s’est tellement laissé aller qu’il n’a peut-être pas fait un tri nécessaire vis-à-vis de certaines chansons, tant la disparité est parfois grande.
Comment comparer la musicalité impressionnante d’un "Sail into the Black" avec l’aspect tout de même très redondant de "
Beneath the Silt" monolithique et peu intéressant ? Le groupe franchi un palier ultime avec ce premier titre en deux parties, débutant sur des voix graves et abyssales, une mélodie acoustique montant doucement en puissance et un texte prenant la forme d’une prière. Puis ce riff, cet écrasement, cette puissance débordante écrasant tout, littéralement, détruisant l’auditeur par sa force et sa (relative) simplicité éclatant comme une bombe, tels les pas d’un géant résonnant au loin. Ne pas évoquer "Ghosts
Will Haunt My
Bones" serait également une injure puisque il s’agit surement de l’un des titres les plus beaux écrits par le groupe, basé autour d’une mélodie devenant de plus en plus typiques chez le groupe (à la "Be Still and Now" ou "
Now I Lay Thee Down") mais ici à un niveau encore supérieure. Robb n’a peut-être jamais aussi bien chanté dans l’émotion qu’il dégage et la théâtralité ressortant du titre.
Le problème, c’est que presque chaque morceau est susceptible de renvoyer à une composition précédente, récente ou plus ancienne, et qu’il manque à "
Bloodstone & Diamonds" une dose de folie, de spontanéité et de rage haineuse qui furent les ingrédients du groupe depuis ses débuts.
Machine Head n’est plus là pour mordre mais plutôt pour montrer l’étendue de son aura et de sa splendeur. En atteste un "
Killers & Kings" bien moins virulent qu’un "Beautiful
Morning" ou "
Imperium" bien qu’il soit sur un modèle similaire.
Cette nouvelle donne fera des heureux comme des malheureux. "In Comes the Flood" laisse de nouveau la place à des arrangements symphoniques mais l’ambiance est bien plus ténébreuse que sur "
Now We Die". Le refrain, aux chœurs caractéristiques (avant chantés par Duce d’ailleurs…), laisse éclater une mélancolie très rare chez les américains alors que les couplets se montrent sans concession et que le solo dévoile une identité rock encore jamais exploitée jusqu'ici. Nous aurons également un "Damage
Inside" uniquement vocal, de trois minutes, sans rien d’autre que le chant clair de Robb…étrange, plutôt réussi mais pourtant pas un moment aussi unique que ne l’était la formidable conclusion de "
The Burning Red". Que penser de "Imaginal Cells", juste narratif mais rappelant complètement "Real
Eyes, Realize, Real
Lies" (ou encore certains titres de
Megadeth utilisant le même procédé) ou d’un "
Game Over" réchauffé et sans aucune âme ? Il restera toujours un énorme "
Eyes of the
Dead" (qui a dit "Aesthetics of
Hate" ?), technique et destructeur et propre à faire bouger les foules sur les planches mais possédant toujours cet arrière-gout de déjà entendu.
Que l’on ne se méprenne pas, "
Bloodstone & Diamonds" est un disque réalisé de main de maitre mais peut-être avec une trop grande suffisance, d’un groupe si certain de sa force de frappe qu’il aura finalement plus travaillé les arrangements et l’enrobage plutôt que les fondations et les structures. Ce huitième album ne respire finalement pas la liberté mais plutôt une trop grande réflexion, un travail si minutieux qu’il fut vidé de toute sa fraicheur, de sa spontanéité nouvelle, tant et si bien que l’on semble déjà connaitre l’album depuis des années après juste une dizaine d’écoutes. Certains diront que
Machine Head a renié ses fondamentaux, d’autres qu’il s’agit d’une évolution naturelle mais il est certain que les américains ont atteint un point où il leur faudra désormais vraiment apporter de la nouveauté, et non simplement une vision juste plus progressive de sa musique. Car avec trois albums finalement relativement proches les uns des autres, du moins dans le fond, la sensation de tourner en rond commence à se faire sentir et il ne faudrait pas que le groupe s’enferme de nouveaux dans les démons du passé. Espérons qu’il en sera autrement et que la surprise sera de taille équivalente à celle du passé…nous savons désormais qu’ils sont capables de tous.
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