Pilier de la scène black française, cela fait maintenant plus de quinze années que l’entité
Blut Aus Nord a vu le jour. Aussi mystérieuse qu’intrigante, reposant principalement sur les épaules d’un homme prénommé Vindsval, la musique de BAN a toujours été en perpétuelle évolution : depuis les premiers opus symphoniques voyageant aux confins des terres glacées du nord (Ultima Thulee,
Memoria Vetusta 1) aux recherches sonores industrielles, nul ne savait vers quelle prochaine direction allait se tourner le trio.
Récupéré courant 2010 par le petit label
Debemur Morti Productions, BAN entre de nouveau en activité, avec un What
Once Was…Liber I produit uniquement sur support vinyle, ainsi que quelques rééditions, dont celle qui nous intéresse ici.
C’est donc un deuxième disque qui vient se greffer au premier, découpé en trois chapitres (Chapter 7, Chapter 7, et…Chapter 7).
Petit rappel pour ceux qui auraient manqué un épisode.
The Mystical Beast of Rebellion voit le jour en 2002 après un
Memoria Vetusta premier du nom, posant les bases d’un Black
Metal éthéré et progressif, à l’aura mystérieuse et profonde, s’éloignant quelque peu de
Burzum et consorts en proposant une œuvre magistrale et intemporelle. TMBOR tranchait radicalement, composant le premier volet d’une tryptique d'albums aux frontières du black et des expérimentations industrielles avec
The Work Which Transforms God et MoRT. Minimaliste, délivrant un déluge de blasts réglés comme un mécanisme d’horlogerie, guitares dissonantes et grinçantes, le Black de BAN se voulut alors synonyme de décadence totale, marchant dans les pas (mais à sa manière) d’un
Darkthrone par cette profonde misanthropie et cette volonté de puiser jusqu’au bout dans l’art le plus noir qui soit (on pouvait lire dans le livret, de couleur uniformément noire ces quelques mots : This is the decadent work of another non-musical art).
Musicalement, on reste dans la continuité du disque 1. Sauf qu’ici, exit les blasts mécaniques. Tout n’est que dissonances, guitares désaccordées et fausses, à peine si l'on peut entendre ces quelques plaintes et cris black, ressemblant plus à un monologue (l’effroyable MoRT n’est pas loin…) qu’à un chant. Tout l’édifice de TBOR, bâti pierre par pierre repose sur ces sonorités labyrinthiques sans queue ni têtes, de cette déconstruction de toute forme de musicalité jusqu’à arriver à un indescriptible chaos sonore. Et ce sur cinq, dix, minutes de travail de sappe, éprouvant mentalement, de cette philosophie jusqu’au-boutiste de BAN. Ce genre d’expérimentations demande une concentration absolue, un lâcher-prise de tous nos repères en matière de structures musicales. Il n’y a pas d’autres choix : soit sombrer dans l’incompréhension totale face à cette mixture infâme formée de ces nappes fantomatiques qui cheminent vers on ne sait quelle obscure destination; soit sombrer… dans l’univers de BAN.
Cependant, les années ont passé, l’expérience s’est accumulée. Et l’on sera surpris, au détour du Chapitre 7 (le deuxième, je sais, il faut suivre), de croiser ces discrètes sonorités bouddhistes présentes sur le chef-d’œuvre
Memoria Vetusta II et sur l’EP
Thematic Emanation of Archetypal Multiplicity (
Level-3). De savourer, après la crasse du premier chapitre, quelque envolée harmonique se cachant certes derrière un mur bruitiste et opaque, mais ô combien savoureux et délectable ! Un bien faible repos avant de replonger dans le grain âpre et obscur de la troisième partie, longue pièce de vingt minutes qui annihile toute forme de lumière, répétant inlassablement ses gammes malsaines puant le souffre et la mort.
On pourrait se demander si une telle réédition ne serait pas juste un simple opportunisme commercial. Dur à croire.
Pas quand on se nomme
Blut Aus Nord.
Pas quand on sort des pièces magistrales comme celles citées ci-dessus.
Pas quand on a cette volonté de rester insaisissable jusqu’au bout, quitte à ne sortir un projet parallèle qu’en support vinyle, ou rester dans l’ombre des projecteurs braqués sur une scène Black
Metal qui connait des hauts et des bas, succombant bien malgré elle aux charmes confortables d’une production plus commerciale et facile. Et puis peut-on blâmer un petit label underground, prônant le BM comme une démarche Artistique (dixit
Void, créateur du label) de vouloir faire de BAN l’une de ces rampes de lancement, aux côtés de
Xasthur ou
Archgoat ?
Cette réédition ne serait-elle pas finalement l’occasion pour Vindsval de faire le point ? De regarder an arrière, prendre du recul pour faire une sorte de synthèse de tous les travaux accomplis jusqu’ici ? Les regards sont maintenant tournés vers le futur, avec le projet 777 (tiens tiens…), et bien d’autres possibilités : les nombreuses voies musicales ouvertes à une entité se foutant depuis bien longtemps des conventions et cases dans lesquelles on chercherait à l’incruster sont là pour nous le prouver.
«Elle deviendra le temple de la Bête
Cette vie qui laisse filer le temps.
Dans un chaos paisible
Elle sculpte l’Univers
Chef d’œuvre fugace
Puis oublie,
L’espace d’un instant
Qui suffira à édifier l’Infini
Puis le néant. »
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