Autant le confesser tout de suite, je ne suis pas un grand fan de
Blut Aus Nord. Autant j’ai toujours respecté le groupe, sa musique si particulière et sa démarche d’explorer toujours plus avant une dimension sonore avant-gardiste et singulière aux frontières mouvantes , autant j’ai toujours eu du mal à m’immerger pleinement dans l’univers du combo normand, trop hermétique, opaque et ésotérique à mon goût pour laisser filtrer la lumière indispensable à la Révélation. Et c’est pourquoi
Blut aus Nord est toujours resté une énigme pour moi, sorte d’idole mi vénérée mi abhorrée, étoile perdue dans l’immensité vide du ciel dont l’aveuglant scintillement ne parvient à percer que partiellement, par intermittences sporadiques, la voûte grise des nuages. L’art de Vindsval m’a donc toujours semblé pour le moins déroutant, parfois même frustrant, semblant se complaire à me refuser l’initiation à ses sombres arcanes et à me ramener brutalement à la pesante gravité terrestre dans les rares moments où je pensais être à même de m'élever et de palper son essence divine. Néanmoins, s’il y a bien une partie de l’oeuvre du combo que je suis le plus à même d’apprécier, c’est la trilogie
Memoria Vetusta commencée en 1996 avec Fathers of the Icy Age, puisqu’elle met en musique un black metal, froid, agressif, épique et mélancolique à l’empreinte unique.
Ce nouvel opus est donc la suite du Dialogue with the Stars sorti en 2009, continuité qui se lit jusque dans le motif de la pochette, offrant encore un superbe paysage à l’aura fantastique. On sent d’emblée l’influence nordique souffler comme un blizzard glacial sur les 48 minutes de cette nouvelle oeuvre de
Blut aus Nord qui, pour le coup, n’a pas usurpé son pseudonyme :
Memoria Vetusta III – Saturnian Poetry se compose d’un prélude et de six longues fresques épiques et progressives littéralement portées par des guitares au feeling norvégien. Après un prélude atmosphérique et sombre uniquement composé au clavier, Paien déboule fièrement, tous blasts dehors, déroulant des riffs à la forte coloration black mais toujours marqués du sceau maudit de
Blut aus Nord dans leurs sonorités tordues, complexes et dissonantes. C’est d’ailleurs ce qui fait la particularité de l’entité française, malgré des influences présentes, on reconnaît immédiatement l’identité sonore du combo, comme sur toutes ses réalisations, notamment via ce grain de guitares si particulier et la voix bestiale et haineuse de Vindsval.
Memoria Vetusta est tout sauf minimaliste, il y a une recherche musicale importante derrière ce tapis de grattes mouvant et chaque titre, s’étalant de 6,20 à 8,57 minutes, semble vivre et évoluer par et pour lui-même au grès de l’inspiration bouillonnante du compositeur. Les humeurs changent, les rythmes et les ambiances alternent, entre passages lents et contemplatifs alanguis par des nappes de claviers discrètes, arpèges apaisants (Forhirst), parties instrumentales plus guerrières et tapageuses (d’une manière générale, la prestation de W. D. Feld est très bonne, variant entre double pédale, blasts et roulements. On constatera d’ailleurs que, dans l’ensemble, ce troisième volet est plus agressif et moins introspectif que le précédent), et inspirations plus tortueuses. Des chœurs clairs, épiques et sauvages viennent conférer à l’ensemble une touche païenne et mélancolique, et le tout reste toujours inspiré, impalpable, d’une fluidité étonnante malgré sa complexité riffesque, pour un art que l’on pourrait presque qualifier de progressif ; car plus que jamais, les Caennais semblent se complaire dans les contrastes, nous traînant dans les profondeurs abyssales et souterraines d’une musique bruitiste et suffocante pour mieux nous élever l’instant d’après dans des hauteurs rarement atteintes par le groupe (le début de Metaphor of the
Moon, extrêmement dissonant avec ces riffs presque déstructurés, qui tranche radicalement avec ce leitmotiv aérien porté par ce riff épique et majestueux et ces choeurs habités).
Tellus Mater sonne comme une épopée mélodique aux accents oniriques et noirs, déchirée entre riffs distordus et sourds et passages célestes transcendés par ces notes mélodiques qui viennent illuminer l’opacité des guitares comme une pluie d’étoiles aux relents de post rock inspiré. Henosis, quant à lui, conjugue habilement violence et mélancolie, haine et fureur avec un sentiment plus apaisé et poignant apporté par certains riffs roulants et hypnotiques ainsi que ces chœurs clairs, très présents sur l’opus. Le travail sur les guitares est assez phénoménal, les six cordes tissant un enchevêtrement de riffs parfois déroutants, tantôt directs, tantôt plus tortueux, mais toujours d’une complexité propre à
Blut aus Nord, et qui, à force d’écoutes, parviennent à former un tout homogène et captivant.
Pour conclure,
Memoria Vetusta III – Saturnian Poetry reste une œuvre atypique qu’il est difficile de rapprocher d’un autre groupe, mais qui s’inscrit comme la suite logique de
Memoria Vetusta II – Dialogue with the Stars dans un black sombre, torturé, à la fois mélodique, épique et brutal, s’inspirant évidemment de la scène norvégienne, mais sonnant de façon très personnelle. Néanmoins, cette dernière réalisation reste, comme l’ensemble de l’œuvre de
Blut aus Nord, plutôt difficile d’accès, et rebutera les amateurs de black épique aux mélodies faciles de par son aspect écorché et la noirceur de certaines de ses sonorités tordues et angoissantes qui ne révèleront leur magie qu’aux auditeurs les plus patients et persévérants.
Le constat est là,
Blut aus Nord reste
Blut aus Nord quoi qu’il entreprenne, et même quand il aspire aux hauteurs les plus pures et immaculées, il semble se rogner volontairement les ailes comme s’il avait peur de voler trop haut et de s’approcher trop près du soleil : car si cet album est incontestablement l’un des plus mélodiques de la formation et comporte de nombreux passages aériens, paradoxalement, cette noirceur rampante et asphyxiante qui est une des marques de fabrique du groupe depuis toujours empêche
Blut aus Nord de prendre réellement son envol et de nous emmener totalement dans son périple onirique. Qu’on se le dise, on ne s’émancipe jamais totalement des ténèbres.
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