Le cap du troisième album est souvent décisif pour un groupe, à l'image des "
Vain Glory Opera", "
Insanity and
Genius", "Dreamspace" ou même "The Number of the
Beast" et "
Master of Puppets". Il est parfois synonyme de syndrome "ouroboros" (le serpent qui se mord la queue) et condamne des formations à rester dans l'ombre éternellement… Mais, c'est parfois tout l'inverse, en ce qu'il permet à un groupe prometteur de confirmer les espoirs mis en lui avec ses deux premiers efforts en sublimant la recette employée, ou bien permet de sortir du lot en opérant des changements inattendus.
Blind Guardian avec son "
Tales from the Twilight World" de 1990 est du second lot, le virage opéré laissant sur le bord du chemin le côté thrash et le speed épuré pour une musique plus mélodique, travaillée et personnelle. Mais qu'en est-il du quatrième album ? Il a la lourde tâche de succéder à cet opus "révélateur", et dans le cas des Bardes c'est "
Somewhere Far Beyond" qui s'y colle. Avec des noms comme Piet Sielck ou Kai Hansen dans les parages, déjà présents sur les albums précédents, le quatuor sait s'entourer. Et le succès atteint paye par une signature chez
Virgin, qui assurera au groupe un rayonnement international encore plus étendu. En témoigne l'album
Live "
Tokyo Tales" paru juste un an après.
"
Somewhere Far Beyond" est la suite logique de "
Tales from the Twilight World", continuant dans cette brèche mélodique au milieu du heavy speed ouverte par justement Kai Hansen et ses consorts, qui mènera vers ce qui est appelé aujourd'hui le power metal, ce descendant du heavy speed abordé avec un côté mélodique et parfois épique plus appuyé, poussant par la suite jusqu'à l'utilisation de claviers ou d'orchestres… J'en viens donc à un des points intéressants de cet album, en ce que le groupe s'est essayé à quelques parties orchestrales, chose peu commune encore à l'époque. Et le résultat sur l'épique "Theater of
Pain" est bluffant. Les sons des cuivres et les violons se retrouvent imbriqués avec ceux des guitares électriques, sans avoir cette impression de superposition qui peut survenir. Le tout est très réussi, mais le groupe ne souhaite pas prendre cette direction orchestrale/symphonique (pour le moment), et ne reviendra dans ces eaux que bien plus tard, en 2002 avec la mythique "
And Then There Was Silence", puis en 2010 avec plusieurs chansons de l'album "
At the Edge of Time". J'ai précisé "pour le moment" car, quand j'écris ces lignes, un album orchestral serait dans les prochains projets du groupe…
Bref, mis à part cette incartade, le groupe nous gratifie de plusieurs brûlots speed dont il a le secret, désormais avec une qualité de composition et un niveau technique encore plus élevé que sur ses albums précédents. Que ce soit avec "Time What Is Time", "
Journey Through the
Dark", "The Quest for
Tanelorn" ou "
Ashes to
Ashes", le groupe développe une musique relevant du speed metal de ses débuts, avec des passages endiablés où la guitare lead d'André Olbrich se déchaîne sur des rythmiques rugueuses et tranchantes de Marcus Siepen (curieusement crédité sous le pseudo "
Magnus" sur cet album…), le tout sur des parties de batterie rapides à en perdre la tête. Le chant d'Hansi Kürsch s'y fait hargneux et agressif, et ne semble plus manquer de puissance comme ça pouvait être le cas auparavant. Toujours sur ces mêmes bombinettes, mais également sur l'album dans sa globalité, on notera l'utilisation de plus en plus fréquente de chœurs, non seulement pour les refrains mais aussi pour accentuer certaines parties d'Hansi Kürsch, et parfois donner une dimension épique, ce qui va bien avec les thèmes abordés. Sur "The Quest for
Tanelorn" par exemple, le rythme se calme et les instruments s'effacent pour laisser place à un refrain mémorable. Cependant, l'accalmie est de courte durée et on retrouve des passages où les guitares lead partent dans des plans interminables, relançant la cavalcade, avec en prime un solo de Kai Hansen jouissif comme il n'en compose plus depuis des années... Même recette pour "
Journey Through the
Dark" qui vous fera perdre votre souffle mais où Hansi, lui, tient le coup admirablement.
L'une des chansons que l'on retiendra absolument de cet album, c'est le mythe "The Bard's Song - In the
Forest". La chanson qui permet à Hansi de faire une pause pendant les concerts car désormais reprise par le public à chaque fois, qui fait partie de leurs plus belles ballades au même rang que les "
Lord of the Rings" ou "
A Past and Future Secret". Une mélodie entraînante à la gratte acoustique de Siepen et Olbrich, suivie par la voix claire de Kürsch, et le reste ne s'explique pas, l'alchimie est incroyable, l'auditeur est comme emporté à l'écoute de cette pépite. L'autre chanson de l'album se rapprochant d'une ballade, "Spread Your
Wings", qui est pourtant loin d'être mauvaise, avec sa jolie ligne directrice au piano, est malheureusement dans l'ombre de La Chanson du Barde.
Le titre éponyme de ce "
Somewhere Far Beyond", quant à lui, est un mélange, une synthèse de ce que le groupe sait faire, un morceau complexe aux changements de rythmes et passages lead mélodiques nombreux, au même titre que "Time What Is Time". On y retrouve une ambiance épique, portée par ces chœurs entraînants, cette batterie martelante et ces guitares vigoureuses. Et toujours le timbre si spécial de la voix claire d'Hansi qui se déploie notamment lors des pré-refrains plus calmes, tandis que le reste du temps c'est son chant crié et hargneux qui domine pour le plus grand bonheur de nos oreilles. A noter le passage de cornemuse qui s'invite au milieu du morceau et qui renforce le côté unique de la piste sur cet album.
Avec des titres à la fois directs et frappants, dans le meilleur de ce qui se faisait en heavy speed à l'époque de l'autre côté du Rhin, un sens de la composition qui parait inépuisable avec ces structures aux rythmes et mélodies multiples (et puis tous ces passages lead à tomber), mais aussi un talent certain pour les passages plus calmes et les ballades,
Blind Guardian offre avec "
Somewhere Far Beyond" un album qui confirme leur succès et fera décoller le groupe. Même s'il peut dans son ensemble montrer quelques petites faiblesses, comme le fait que plusieurs chansons soient semblables dans leur construction avec cette alternance couplet/passage lead ou solo, c'est vraiment sur cet album que le groupe à trouvé et affirmé son identité. Que ce soit le chant ou bien les instruments, chacun trouve ici le son qui fera dans les années à suivre de
Blind Guardian un groupe unique et incontournable de la scène allemande. La production peut également paraître un peu fade par moments, manquant de relief et de force (chose amplement corrigée avec l'album suivant), mais la qualité de composition et d'interprétation déjà très haute compense ce point aisément.
Ce "
Somewhere Far Beyond" est vraiment l'album de la confirmation, regroupant tous les ingrédients qui feront la réussite des quatre bardes teutons. Et ce, de manière encore parfois timide ou disparate, mais tout est là et, en tout cas, le groupe est désormais identifiable au milieu de la masse et ne cessera à chaque nouvel album de se remettre en question et d'évoluer. Une des clés d'une reconnaissance durable.
16/20.
Mais je maintiens que même les autres chansons n'ont pas pris de rides :)
Quand on parle de Blind Guardian, mon cœur vacille entre les morceaux speed comme sur cet album et les dernières productions plus orchestrales et variées, comme sur "At The Edge Of Time" que j'ai adoré.
Je ne sais pas ce qui se passe avec Blind Guardian, mais j'ai du mal à apprécier.
J'en suis à ma 4e écoute ( une écoute pour les 4 premiers albums ) et je n'adhère pas.
Pourtant dans le meme style, j'adore Edguy, Gamma Ray ou Hammerfa:ll )
En attendant le 5e, je mets
16/20
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