Prétendre qu’une œuvre sera celle de l’année ou de la décennie avant même qu’une seule partie, aussi infime soit-elle, soit révélée, est un risque immense auquel il faut toujours faire attention. Savoir raison garder, intransigeance respectée et surtout ne pas s’avancer sur quelque chose dont on ne sait encore rien.
Pourtant, des artistes attisent ces effets pour la simple et bonne raison qu’ils ne déçoivent que très rarement, qu’ils conservent un niveau de qualité et d’exigence si haut après de nombreuses années que les voir ne serait-ce qu’en-dessous de leur niveau habituel apparaît comme une hérésie.
Une fois n’est pas coutume, les Germaniques de
Blind Guardian ont su faire patienter les fans. Quatre ans et demi d’attente depuis "
At the Edge of Time", vu comme exceptionnel chez certains et gageure d’un style unique depuis vingt-cinq ans. Quatre ans et demi de rumeurs, d’interrogations et de nouveautés offertes au compte-gouttes par Hansi et André eux-mêmes, laissant entrevoir une œuvre plus grande et grandiloquente que tout ce qu’ils avaient jamais réalisé jusqu’à aujourd’hui.
Il ne va pas sans dire que
Blind Guardian n’a pas fait les choses à moitié du côté des moyens, puisque ce dixième album a été réalisé en collaboration avec pas moins de deux orchestres (Prague et Budapest) ainsi qu’une chorale professionnelle (celle de
Boston) et que plus d’une centaine de musiciens parsèment et interviennent sur "
Beyond the Red Mirror".
Conceptuellement, ce disque n’est également pas comme les autres puisqu’il trace un lien étroit avec "
Imaginations from the Other Side", particulièrement "
Bright Eyes", et qu’il participe à élargir encore un peu plus la mythologie des personnages créés par Hansi, qu’ils soient humains ou métaphoriques (le temps, le vide, l’élu, l’espace, la peur). De plus, le line-up semble toujours aussi soudé et Barend Courbois enregistre pour la seconde fois consécutive la basse sur un disque en tant que musicien de session et futur musicien
Live. Bref, tous les éléments sont réunis pour signer LE chef d’œuvre que tous attendent. Mais dans quelle direction ?
Si l’on occulte les premiers disques, vestiges d’un univers et d’une personnalité aujourd’hui évanouie et lointaine, les trois derniers albums studios prirent trois directions complètement différentes. "
A Night at the Opera" était complexe à l’extrême, d’une technicité affolante et suffocant pour certains. Puis arriva "
A Twist in the Myth" qui était bien plus direct et power mais décevra d’autres pour cette identité qui s’étiolait au profit du heavy allemand. Et enfin "
At the Edge of Time", partagé entre plusieurs pièces épiques et symphoniques dantesques et morceaux purement heavy qui lui permettaient d’être hétérogène et varié pour ainsi plaire à beaucoup. Donc, vers quel chemin va donc se diriger "
Beyond the Red Mirror" ? Et bien, au grand dam de certains (pas le mien, soyez-en sûr), c’est plutôt vers "
A Night at the Opera" que l’album va pencher, sans pour autant n’être qu’un vulgaire plagiat. Nous parlerons plutôt de direction artistique.
"The Ninth Wave" surprend dès les premières mesures. Jamais les chœurs n’avaient été aussi solennels, n’avaient sonné aussi gros, aussi imposants, aussi mystiques et d’une beauté saisissante. Il n’est même pas exagéré de dire que jamais un groupe n’avait fait une chorale ainsi jusqu’à aujourd’hui.
Blind Guardian ne recule devant rien puisqu’il va progressivement apporter de l’épaisseur sur cette féérie musicale d’abord par l’introduction surprenante de samples électroniques (une première également), de la voix ténébreuse d’un Hansi toujours unique et de nappes de guitares sombres à souhait. Apparaissent déjà des symphonies parsemant les arrangements, d’une grande finesse, laissant sous-entendre qu’un très grand moment nous attendait. Le morceau va ainsi se décanter en gardant une propension bien plus sombre que d’habitude, notamment sur les riffs et l’accordage des guitares. Mais inutile d’aller plus loin sans le point le plus fâcheux qui, tel une ombre, reviendra sur l’intégralité du disque : La production. Cela semble impossible, d’abord venant d’un groupe aussi pointilleux que les Allemands et ensuite d’un producteur comme Charlie Bauerfeind (qui bosse avec le groupe depuis vingt ans) mais le constat est implacable : le mixage est un massacre et confère à la production un aspect aseptisé, confiné et étouffé indigne d’une telle œuvre. Tout semble avoir été fait pour les arrangements, les chœurs et les lignes vocales, tant et si bien que l’instrumentation metal est complètement en retrait, entre des guitares sans panache, sans puissance ni impact, une basse inaudible et surtout une batterie complètement noyée autour des autres percussions (discerner les toms du tom basse est quasi impossible, les cymbales sont inexistantes).
Ce qui est le plus malheureux dans l’histoire, c’est que
Blind Guardian vient de nous gratifier d’une œuvre de très haute volée, rappelant dans sa complexité vocale l’opus de 2002, et reprenant sa marche en avant après un "
At the Edge of Time" flamboyant mais parfois un peu passif. Il suffit de se pencher sur le sublime "Prophecies" (rappel de "
Battlefield" ?) aux lignes vocales magnifiques et d’une créativité impressionnante. On ressent, tout le long de l’album, que la musique suit le concept établi, que les lignes vocales ont été créées en fonction des paroles et non l’inverse, faisant que le groupe n’a pas cherché à créer des refrains traditionnels ou des structures passéistes. "
At the Edge of Time" (le morceau) est également une merveilleuse réussite, aux arrangements symphoniques dignes d’une bande originale virevoltante et épique, pêchant dans cette incapacité à mordre lorsque les riffs arrivent. Il en est de même avec "The Throne", pièce ambitieuse et très riche, aux multiples lignes vocales soignées à l’extrême, Hansi étant toujours un merveilleux conteur et jouant de toutes ses capacités vocales, particulièrement pour créer une dimension épique sur le pré-refrain qui se révèle l’un des plus beaux moments du disque. Sublime moment également que ce "Miracle
Machine", malheureusement trop court, à l’inspiration de Freddy Mercury toujours aussi palpable. Un piano-voix merveilleux de sensibilité et de grâce, au refrain suspendant l’espace et le temps.
On retiendra également un "Sacred Mind" plus étrange dans sa structure, expérimental presque à l’inverse d’un radical "
Ashes of
Eternity" qui ravive les flammes d’un pur power metal puissant et tranchant (Hansi n’avait plus été si brut depuis longtemps), écrasant dans son fond mais manquant malheureusement de l’impact d’une véritable production.
C’est donc clairement amer que nous ressortons des multiples écoutes de "
Beyond the Red Mirror", exceptionnel musicalement et probablement le meilleur disque depuis "
A Night at the Opera", mais souffrant de manière incompréhensible de la pire production et du pire mixage qu’ils aient jamais eus de leur carrière (déjà que l’on avait des doutes sur "
A Twist in the Myth"…). A coup sûr, l’album gagnerait, dans les mois à venir et avec le recul nécessaire, à disposer d'un nouveau mastering, afin de lui donner l’ampleur sonore nécessaire. Un petit focus sur l’objet permet également de mieux comprendre la frustration, tant l’édition limitée earbook est merveilleusement illustrée, chaque titre ayant son illustration (les deux covers étant loin d’être les plus réussies), les textes étant accompagnés de notes permettant de comprendre le concept et de mieux appréhender la musique. Il n’est pas un album facile. Il demande du temps et est exigeant. "
Beyond the Red Mirror" ne se laisse pas apprivoiser après une écoute et demie et, ce serait trahir son talent ou ne pas comprendre la démarche artistique que de purement et simplement remiser l’album au placard. Espérons une nouvelle édition dans les mois à venir…et une seconde jeunesse sur scène où, cette fois-ci, les morceaux pourront rayonner de mille feux pour montrer toute leur flamboyance !
@Amon et Eternalis : "Après, c'est sur que ça doit être un véritable casse tête à mixer/masteriser mais c'est aussi pour ça qu'on prend des pros."
Oui, tout à fait, et effectivement, des albums symphoniques ont une partie Metal bien puissante (Death Cult Armageddon…), donc c'est possible oui.
Néanmoins, le meilleur des pros n'a pas le pouvoir de changer les règles naturelles de l'acoustique, auxquelles tout ingénieur du son est confronté.
Si on veut faire sonner les arrangements d'une façon belle à l'oreille, mais qui selon les règles inévitables de l'acoustique fait que les guitares en pâtissent, il faut accepter l'idée que c'est la condition pour que les arrangements sonnent comme ça, avec cette couleur et cette puissance.
Si on ne veut pas que la partie Metal en pâtisse, il faut les régler autrement, et la couleur changera, et peut être qu'elle ne conviendra plus aux géniteurs de l'album.
Peut être que le rendu audio de l'enregistrement de l'orchestre fait qu'il n'est pas possible de faire autrement, et qu'il aurait fallu ré-enregistrer, mais ça coûte cher, si on a pas le budget on se débrouille avec ce que l'on a, même si on s'appelle Blind Guardian.
Et peut être tout simplement qu'ils ont été tout à coup frappés de sénilité, que papy bontempi bourzoum s'est amusé à les troller devant les fenêtres du studio pendant tout le mixage et ça les a perturbé, ou peut être qu'ils sont tout simplement cons :D, ou peut être que leurs attentes ne sont pas les nôtres et qu'il y a désormais un fossé.
En tout cas, j'ai écouté le trailer, le son au moins de la batterie m'a un peu rappelé celui de Imaginations from the other side. Qui est effectivement un peu, euh, faiblard, bien que ça ne me gêne pas plus que ça.
Merci à swit35 d'avoir récupéré mon commentaire depuis les tréfonds de la toile. À la tienne ! :)
Edit : tiens, le bug recommence.
J'accroche bien la plupart des titres, mais cette production, je n'arrive vraiment pas à m'y faire !
Quel gâchis venant d'un groupe comme Blind Guardian!
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