En 1998,
Blind Guardian a sorti un monument. Un album parfait, de ceux qui resteront à jamais gravés dans l'histoire du metal et surtout dans les mémoires. Alors que les scènes power metal et metal symphonique étaient en pleine ascension en Europe (
Stratovarius,
Nightwish,
Rhapsody, vite suivis par
Freedom Call,
Sonata Arctica ou
Dark Moor pour ne citer que les bons élèves), ces groupes étant souvent taxés de kitsch à vouloir trop employer synthés, orchestres symphoniques, voix d'opéra ou thématiques héroïc fantasy (en ce qui me concerne je suis partagé vis-à-vis de ces critiques, certains groupes de cette vague nous ayant offert de très belles choses),
Blind Guardian allait mettre tout le monde d'accord en sortant cet album épique sans être cliché, ambitieux sans être indigeste, et surtout d'une richesse et d'une qualité de composition rare dans le monde du metal.
Blind Guardian avait déjà amorcé son changement de cap sur
Imaginations from the Other Side : faisant suite à un
Somewhere Far Beyond qui reste leur sommet en matière de speed metal relativement direct et dépouillé (bien que les qualités de composition qu'on leur connaît étaient déjà présentes depuis
Tales from the Twilight World), on y voyait la généralisation des choeurs massifs, des passages acoustiques et un son clair contrastant avec les guitares saturées plus massives que jamais, des synthés... et un Hansi Kürsch qui diversifiait de plus en plus ses registres vocaux, le mix de l'album mettait en relief cette richesse musicale jusqu'à devenir étouffant.
NIME va encore plus loin dans cette optique : les simili-orchestrations au synthé sont encore plus présentes, de même que les choeurs Queeniens secondant un Hansi Kürsch plus virtuose que jamais, les claviers, les guitares acoustiques, sans compter les bruitages et effets de mixage en tous genres qui dynamisent certaines compos. Les rythmiques de guitare sont en retrait et ont généralement un son très propre, faisant de la place aux guitares lead, omniprésentes, tissant leurs mélodies tout le long des morceaux. Thomen Stauch délivre une prestation virtuose à la batterie. Quant à la basse, elle est, comme toujours, très discrète (ceci n'est pas un euphémisme). La production, elle, est à la hauteur et donne une grande puissance à l'ensemble. Les membres du groupe ont travaillé comme des malades pour composer et enregistrer cet album (l'enregistrement a duré plus de 8 mois), et ça s'entend, chaque chanson étant d'une richesse incroyable.
De nombreux plans s'y succèdent, cassant la structure couplet-refrain traditionnelle (c'est l'une des marques de fabrique du groupe), variant les ambiances avec des transitions parfois brutales ("
Noldor (
Dead Winter Reign)", "
Blood Tears ou "
Nightfall" dans lesquels les passages mélancoliques sont brutalement brisées par l'entrée de guitares saturées et de la voix la plus puissante d'Hansi, ou au contraire "The
Curse of
Feanor", dont le riff speedé s'interrompt soudainement pour faire place à un chant plus plaintif). On ne tombe ainsi jamais dans la monotonie, d'autant que la variété d'ambiances et la modulation de la voix d'Hansi, toujours appliqué à charger son chant d'émotion et de la personnalité des différents personnages qu'il "incarne", nous immerge d'autant plus dans le concept de l'album. Mais là où l'album est réellement bluffant, c'est au niveau des mélodies : majoritairement d'influence médiévale ("
Nightfall" et sa flûte introductive, le quasi-festif "
Mirror Mirror", etc.), parfois surprenantes (notamment sur "
Noldor"), elles sont en tout cas toujours fortes, collent au cerveau très rapidement sans pour autant apparaître cliché (un reproche souvent fait aux groupes de power/sympho et à tous ceux qui utilisent ce genre de mélodies en général) et nous font entrer de plain-pied dans cet univers fantasy qui n'a pas grand chose de joyeux... Les lignes de chant restent néanmoins le point fort de l'album, en particulier sur les refrains, tous excellents, ceux de "
Nightfall", "
Mirror Mirror", "
Noldor", "Time Stand Still" et "A
Dark Passage" étant simplement inoubliables. Et que dire du pont de "Into the Storm" ("What can I hope, how can I hide the
Silmarils...")?
Ce qui frappe encore plus que les mélodies elles-mêmes, c'est la manière dont elles se complètent et la richesse de l'ensemble : chant, choeurs, guitares, claviers, "orchestrations" et instrumentations en tous genre s’enchevêtrent dans des harmonies souvent très riches, qui se révèlent au fil des écoutes et qui renouvellent inlassablement le plaisir d'écoute, mais qui restent parfaitement intelligibles, tout se complétant et s'enchaînant naturellement. Là où sur l'album suivant,
A Night at the Opera, on peut reprocher un aspect "too much" dans cet enchevêtrement de mélodies, ici tout est parfaitement maîtrisé : ça ne part pas dans tous les sens, la recherche de la subtilité primant sur l'envie d'en mettre plein les oreilles, les compos restent aérées et le mix met en relief ces subtilités tout en équilibrant l'ensemble.
Blind Guardian fait, en cela, preuve d'une maturité hallucinante en terme de composition et parvient à nous évoquer l'univers de Tolkien sans jamais tomber dans le kitsch plus ou moins assumé des
Rhapsody et consorts. Aucun morceau n'est à jeter ou plus faible que les autres, car toutes ont quelque chose de mémorable et drainent des émotions fortes : que ce soit "
Nightfall" où Hansi et les choeurs dialoguent sur une musique alternant calme mélancolique et montées en puissance, la tuerie introductive "Into the Storm" tout en riffs et où le chant d'Hansi nous saisit à la gorge, l'ultra-épique "Time Stand Still (at the Iron Hill)" dans lequel chant surpuissant, guitare lead virtuose, "orchestrations" très importantes et batterie déchaînée sont dans une parfaite osmose (le solo est anthologique), le tube absolu "
Mirror Mirror", dans lequel cette même lead est encore plus inspirée que des lignes de chant pourtant géniales (encore un putain de solo, dans lequel la guitare et les orchestrations synthétiques dialoguent), "
Thorns" dans lequel guitares électriques et acoustiques se succèdent et se complètent, ou encore le sublime final "A
Dark Passage" qui, à la fin de l'album, parvient encore à surprendre par son côté symphonique prononcé, le sommet de l'album selon moi.
Le titre le moins remarquable est celui intégralement au piano "The
Eldar", néanmoins très réussi et encore une fois chargé d'émotions. Vient finalement le concept. Je vous l'avoue, je n'ai jamais lu le Silmarillion, et les paroles, assez absconses pour les non-initiés, n'aident pas beaucoup. Pourtant les ambiances développées sont tellement fortes et l'aspect narratif de l'album tellement poussé, avec ces interludes narratifs et musicaux entre les morceaux qui renforcent la cohésion de l'album, et surtout un Hansi dont l’interprétation peut être qualifiée de théâtrale, qu'on a tout de même l'impression de vivre cette histoire. C'est le plus bel hommage qu'on pouvait faire à Tolkien que de donner ainsi vie à son oeuvre...
Au final, malgré son compteur qui dépasse les 60 minutes, on ne s'ennuie jamais à l'écoute de cet album, on est bien plus souvent scotché par sa richesse et la quantité d'émotions qu'il draine. Le 20/20 me semble parfaitement justifié pour un tel chef d'oeuvre et je serai bien incapable de lui trouver ne serait-ce qu'un seul défaut. Pourtant, dieu sait combien de fois je l'ai écouté! NIME est d'une telle richesse qu'après des centaines d'écoutes il peut encore vous surprendre. Et à chaque écoute, le voyage est toujours aussi intense. A vous de voir si vous voulez entrer dans la danse...
Petite remarque, j'aime bien ton clin d'oeil avec cette phrase :
"NIME est d'une telle richesse qu'après des centaines d'écoutes il peut encore vous surprendre."
Tu l'as reprise du phrase de Gandalf: "Et quand on croit avoir tout appris des Hobbits, ils peuvent encore nous surprendre" (je ne suis pas sur si je l'ai écrie correctement).
Album exeptionnel. Même The Eldar est énorme comme l'album.
Un chef d'oeuvre, bien qu'il soit maintenant sur un pied d'égalité avec les six derniers albums de bg dont je suis maintenant fan convaincu.
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