Que cet album porte bien son nom. Dernier disque de Tommy Victor en tandem avec le batteur originel Ted Parsons, dernier avec Paul
Raven à la basse (
Killing Joke, décédé depuis d'une crise cardiaque dans son sommeil en 2007), et fin de leur contrat avec la major
Epic. La carrière de
Prong, débutée en 1986 à
New York, a été coupée en deux, c'est en 1997 après l'album qui nous intéresse ici que le coup de hache est tombé. Après un hiatus qui a duré jusqu'à la reformation en 2002,
Prong n'a plus jamais été le même. La question est : qu'est-ce qui a merdé ?
En 1995, tout va bien pour
Prong. "
Cleansing", leur quatrième LP, s'est bien vendu et ils ont tourné avec notamment
Sepultura et
Pantera aux states. Pensez donc, ils parviennent enfin à garder la troisième pointe du trident, à savoir leur bassiste. Après le pilier Mike Kirkland de 1986 à 1990, puis l'excellent Troy
Gregory sur "
Prove You Wrong", Paul
Raven (ex-killing Joke) se révèlera une pièce qui semble coller parfaitement avec la batterie de Ted Parsons et la guitare de Tommy Victor. Paul avait apporté avec lui le programmeur, nappeur de synthés et façonneur de samples John Bechdel avec lequel il avait joué dans
Killing Joke et
Murder Inc, transformant le combo en quatuor. Au sortir de la tournée de "
Cleansing", le van est mis au garage, et ils préparent leur cinquième album, avec l'intention de vraiment faire participer tout le monde à son élaboration.
Avant le début de l'enregistrement, avec le départ de John Bechdel,
Prong se retrouve à trois, avec en membre additionnel Charlie Clouser (
Nine Inch Nails) pour la partie programmation et samples.
Un an plus tard. A peine "
Rude Awakening" sorti, la major
Epic les lâche et casse leur contrat après sept ans de bons et loyaux services. Peu après, juste avant le démarrage de la tournée, Paul
Raven quitte le groupe, ce qui entraine un bouleversement du line-up : la basse est confiée successivement à Rob Blasko et Frank Cavanagh, et un guitariste de support s'ajoute, avec l'arrivée de Mike Riggs. Coup de théâtre final, le batteur pilier Ted Parsons quitte aussi le navire, Il est remplacé par John
Tempesta (ex
Exodus, ex-
Testament, ex-
White Zombie). Le groupe finit par se séparer, Tommy Victor arrivant chez Dantzig, pendant que Ted Parsons rejoindra Justin Brodrick dans
Godflesh et
Jesu.
Alors je repose la question : qu'est ce qui a merdé ? Ou qui ? Ou Quoi ? Et quand ? J'ai fait appel à un enquêteur des bas-fonds du thrash, dépeceur de vidéos, excaveur d'interviews, dont je tairai le nom. C'est un vrai cafard, une hyène mais quand il faut trouver du croustillant, il a pas peur de renifler les poubelles, Pedro
Von Schnitz. J'ai son rapport sous les yeux, et c'est pas joli-joli. Tenez : "Paul
Raven, sur cette interview de 1995, ne dit-il pas que l'industriel c'est de la merde et qu'il ne vas pas tripper devant un son de machine à laver (traduction libre et de mauvaise foi de Pedro), alors que l'album à venir est de loin le plus indus de toute la carrière de
Prong ? Comment Tommy Victor a-t-il pris ces défections ? "No one is missing From the past" assène t-il en 1996 après un concert à Düsseldorf, en regrettant le manque d'implication de Paul, admettant que
Prong est un peu maudit, avec un "bad karma". Tommy Victor arbore à cette époque chemises cintrées, coupe courte, petite veste prune, et des grosses lunettes à pois. "
Bon tout ça c'est du vent de bullshit, pas des faits, j'ai viré Pedro
Von Schnitz, enquêteur privé à
Paris, rue de la Petite-Truanderie, on est dans de la chronique de pointe ici, pas des commérages de tabloïds .
Parlons donc de "
Rude Awakening", ça c'est du concret. Le producteur Terry Date (
Soundgarden,
Pantera,...) a eu une grosse influence sur le son, mais cette fois-ci Tommy Victor a co-produit le disque. Les chansons ont été construites à partir de boucles rythmiques et de lignes de chant, plutôt que des guitares. La direction prise par Tommy est clairement moins métal, et sans l'insistance de Terry Date, le résultat aurait été encore plus rock, apparemment.
Ca commence très fort avec "Controller", qui pourrait concourir comme mètre étalon du groove metal à la sauce industrielle : un riff inarrêtable, un peu à la "Roots", et un crescendo inexorable dans la stridence fascinante. Le premier contact est donc une baffe, d'autant plus que la production de Terry Date est monstrueuse. L'habillage sonore est à la fois dense et ample : on retrouve la patte très épaisse et rugueuse de
Prong sur la partie basse/guitares qu'il y avait sur "
Cleansing", avec en plus une ambiance de dingue procurée par les beats, synthés et samples. Ces derniers ont pris une place énorme dans le son, et provoquent un espèce d'effet de surround chaotique et lancinant tout au long de l'opus.
C'est le plus industriel des albums de
Prong et de loin, avec des riffs absolument grinçants ("Controller", "Slicing",), qui essaient de vous crisser aux tympans le plus fort possible.
Prong marche dans les pas de
Nine Inch Nails,
Godflesh,
Killing Joke, ou encore
Ministry avec d'un pas hâté mais répétitif sur "
Dark Signs". Les morceaux sont en majorité assez courts, autour de trois ou quatre minutes maxi. Musicalement, avec une plus grande importance des mélodies et des dissonances, on se rapproche du mood désabusé du LP "
Prove You Wrong" dans une atmosphère de décadence
Mad Max, particulièrement sur le morceau titre "
Rude Awakening".
Il n'y a presque plus de feeling thrash, malgré les riffs fortement saccadés et la saturation musclée, même sur un morceau très brut de décoffrage comme "Mansruin", car il est annihilé par le coté très dansant des beats et des samples. Le désespoir dégouline des refrains, mais sur un rythme dansant presque hip hop ("Without
Hope").
La fin de l'album part un peu en eau de boudin, et avec la certitude acquise que le
Prong thrashy de "
Beg to Differ"a bel et bien disparu. Sur un "Innocence Gone" ou "
Close the Door" au contenu plus faible, presque gnan-gnan, la coupe déborde, et les rythmiques disco-metal-martial-dance commencent à me sortir par les trous de nez. La ficelle utilisée avec brio "
Snap Your Fingers, Snap Your Neck" sur le LP précédent, est réutilisée et ré-usée jusqu'au trognon. "Proud
Division" termine l'album en queue de poisson, me laissant dans l'incrédulité à chaque fois que je l'écoute.
Vocalement, Tommy a encore adouci son grain de voix, soigné sa diction autour de la mélodie et a pris le parti de faire de vraies chansons, où tout est en adéquation avec des textes au contenu plus personnel. Ses riffs sont super efficaces, simples et lourdement syncopés.
Sur beaucoup de morceaux, le beat et l'ambiance des samples bouffe littéralement la batterie ("
Face Value", "Avenue of the Finest") ; Charlie Clouser a beau être seulement crédité comme musicien additionnel, il est en deuxième place sans le son sur le disque. La batterie, elle, est encore plus épurée que sur l'album précédent, d'autant plus que chaque morceau reste avec obstination sur son beat de croisière mid tempo un peu martial, avec peu de breaks et de roulements ("Unfortunately"). Par exemple, toutes les cymbales, charley compris, sont sous-mixées, ne laissant que le couple grosse caisse/ caisse claire en avant. Et quand on connait le punch et la volubilité du jeu de Ted, c'est un crève cœur de l'entendre réduit à se caler tel un robot sur les patterns de boite à rythme et les samples. La basse de
Raven est toujours présente, ronflante et grasse à souhait, mais elle se fond beaucoup, elle aussi, avec les samples.
Alors oui, tout ça sonne énorme, mais
Prong perd l'alchimie rythmique entre les riffs saccadés de Tommy et le groove heurté de la batterie de Ted. Plutôt qu'un groupe, j'ai parfois l'impression d'entendre un album solo de Tommy Victor. C'est comme si un ordinateur avait pondu des beats à la chaîne, avec le
Boss qui pose dessus des riffs, du chant, et le reste du groupe qui se cale derrière en mode service minimum. Il y a treize morceaux (un signe, non ?), et en étant mauvaise langue, je dirais qu'il y aurait aussi bien pu en avoir seize ou vingt-cinq…
Vous l'aurez compris, au vu de mon quasi-réquisitoire, cet album m'a énormément déçu, surtout à l'époque de sa sortie. Ce n'est que plus de vingt-deux ans après que je suis parvenu à l'écouter de manière plus détachée, et à en apprécier ses bons cotés. Cela n'empêche qu'au fur et à mesure de l'écoute, inévitablement, un grondement de mécontentement intérieur enfle de plus en plus, avec des remontées amères à l'arrière goût de trahison. C'est pourtant l'aboutissement logique de la musique de
Prong. Il aurait dû en être l'apothéose, mais la concrétisation de cette dernière étape a divisé, c'est le moins qu'on puisse dire, les fans et le groupe lui-même. Une fois ce point atteint, même après leur retour en 2002,
Prong n'a plus jamais été le même.
J'ai lu et écouté pas mal d'interviews, à la recherche d'indices, sur la raison réelle du split. C'est une omerta corse, le trou noir supermassif de la Voie Lactée, tous les protagonistes évitent le cœur du sujet. Tommy Victor est évasif quant à cette période, et semble en avoir gros sur la patate, plusieurs années après. Il reconnaît qu'une fois que le label a cessé de le suivre, ainsi que les managers, jusqu'à certains membres du groupe, c'est devenu le chaos total. J'ai cru trouver une source miraculeuse avec cette récente interview de plus d'une heure de Ted Parsons, rangé des voitures et méconnaissable en format troll du grand Nord (il habite maintenant en Norvège). Mais lui aussi évite la cicatrice douloureuse, regrettant que tout le monde a un peu mis son grain de sel. Mais bon, il lâche en rigolant que la meilleure période de
Prong était celle des débuts, "
Primitive Origins" et "
Force Fed" quand ils jouaient avec Mike Kirkland comme bassiste, qui avait cette voix "thunderous".
Ben oui. Divergences musicales, pourquoi chercher ailleurs ?
J'aime beaucoup cette chronique, bravo et merci. Moi, je n'ai pas du tout le même ressenti que toi, à l'écoute de cet album. Je l'adore. C'est typiquement ce qui me fait tripper, avec Prong. C'est que par moments, t'es genre en train de faire tes courses et t'as besoin de headbanger, entre deux rayons, et tu ne sais pas quel est le groove que t'as en tête. Et quand la mémoire te revient : c'est Prong. Et après ça, plus moyen de s'en débarrasser. Rude Awakening et Face Value me hantent tout le temps. Les trois derniers de l'album groovent à mort ! C'est clairement mon Prong préféré. Par contre, d'accord avec toi : ils n'ont plus jamais fait aussi bien. La section rythmique Paul Raven - Ted Parsons demeure inégalée...
Merci Coroner,
Je comprends aussi que ça puisse plaire énormément à certains. Si Prong avait commencé par celui là avant de se trashiser, je n'aurais pas eu cette sensation aussi négative.
Concernant la section rythmique, j'ai justement quelques regrets, car si Ted Parsons avait fait des parties style "Beg to Differ" ou "Prove You Wrong ", on aurait eu quelque chose de bien plus dynamique.
J'adore cette chronique, perso l'album m'a beaucoup plu, et si on en parle encore 27 après sa sortie, c'est qu'il nous a quand même bien marqué malgré le changement stylistique opéré par ses géniteurs
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