Être fan d'un groupe rend parfois aveugle, mais avec le temps, je dirais que ça rend exigeant, et éventuellement cruellement nostalgique et désabusé. En lisant les chroniques de confrères professionnels, j'ai l'impression qu'on a pas entendu le même "
State of Emergency". Raison de plus pour en parler...
Enfant du thrash, du hardcore et de l'industriel, pionnier du groove metal, le groupe créé autour du guitariste-chanteur Tommy Victor, accompagné du groovemaster Ted Parsons et de Mike Kirkland à la basse, s'est extirpé de la scène New Yorkaise pour devenir un des espoirs du métal à la fin des années 80. Après son deuxième album "
Beg to Differ", sorti sur la major
Epic, le trio a changé plusieurs fois de bassiste, avec l'arrivée de Troy
Gregory , puis Paul
Raven (
Killing Joke). Juste après son cinquième LP "
Rude Awakening", le groupe splitta, et plus rien ne fut pareil. Ted Parsons et son jeu explosif ne revinrent jamais, et le line-up du groupe a été d'une instabilité chronique depuis lors.
Lorsque le dernier EP de
Prong "
Age of Defiance" est sorti, en 2019, Tommy Victor avouait qu'il ne savait pas, vu la conjecture, s'il aurait la motivation pour enregistrer d'autres albums à l'avenir. Il faut croire que ça s'est arrangé, puisque nous voici en présence du treizième LP du trident, nommé "
State of Emergency". Tommy le présente comme un album pour les fans, qui reprend toutes les influences présentes dans
Prong. Je ne demanderais qu'à le croire, mais en regardant les albums sortis depuis plus de vingt ans, ce n'est pas le miracle de l'alchimie retrouvée que j'espérais...
Après le départ d'Art Cruz pour
Lamb Of God, la valse des batteurs a repris, et depuis 2022, Aaron Rossi n'est plus aux baguettes, et a été remplacé par
Griffin Mc Carthy juste avant de partir en tournée : jeune, presque fluet, il est très complet, et a une frite et un groove qui ne sont pas sans me rappeler un certain Ted Parsons.
La période du COVID a provoqué une grosse période de doute quant à la carrière du groupe, mais les affaires ont repris avec les tournées. Depuis
Los Angeles où il habitait, il a fait le choix de revenir là où il avait grandi, à
New York. Ayant retrouvé un deal avec
Napalm / SPV, Tommy Victor a commencé seul l'écriture des dix compositions (et pas une de plus !) du nouvel album en juin 2022, et l'enregistrement a débuté en août de la même année dans le studio de Steve Evetts, qui a aussi produit le disque.
J'attendais une catastrophe industrielle, c'est le cas de dire, au vu des singles assez quelconques sortis depuis le début de l'année, et comme une prophétie auto-réalisatrice, la première écoute a été fortement décevante.
Premier choc, la Non-
Existence de la basse dans le son concocté par Steve Evetts. Enfin elle est présente, comme un ronronnement de matou de salon sur certaines fréquences rescapées par tout ce qui n'a pas été écrasé par la guitare. Pourtant en l'absence du titulaire
Jason Christopher, c'est Steve lui-même qui a tracké les parties de basse : pratique, j'en conviens, mais il a dû avoir des scrupules à se mettre en avant dans le mix. J'exagère, on peut la discerner, en faisant appel au pouvoir de concentration d'un bonze tibétain, mais je vous mets au défi de chantonner une ligne de basse du dernier
Prong...
Le son de gratte de Tommy Victor est assez énorme, et me rappelle celui qu'il avait sur "
Beg to Differ", mais boosté à fond.
Avec des riffs du tout venant
destinés aux aficionados de la période dorée de "
Beg to Differ" et "
Cleansing " empilés sans véritable progression mélodique, on frôle souvent l'indigence. Le single "
Breaking Point" recycle ainsi des riffs les classiques du groupe "Not of This
Earth", et comme dirait Rocco Siffredi, plus c'est glos, mieux ça passe, on se fait avoir à force de rejouer les pistes. Et le fan du groupe à ses débuts alors que Tommy travaillait au CBGB, on l'oublie ? Ça tombe bien, le retour de Tommy à
New York a ramené une lampée de hardcore. Cela donne une chanson assez littérale "Back (NYC)" très énergique, une des bonnes surprises de l'album, et "Lights Turns Black " qui fleurent bon le Skyline sous un ciel gris bitume, avec tous les tics du genre. Je n'ai pas l'impression que Tommy se soit arraché les cheveux sur des choix cornéliens, ça ressemble à des premiers jets de compos, avec les structures de base, même si ça a été retravaillé, et enregistré dans les règles de l'art.
Il aura fallu attendre la moitié de l'opus pour avoir enfin quelques vraies chansons qui suivent une direction claire et essaient de communiquer une émotion, fût-elle industrielle sur les très bons "
Obeisance" et "Compliant" qui prouvent (you wrong ? Uh uh) que décidément c'est avec les dissonances que
Prong a le plus de choses à dire.
Aussi, dans chaque morceau, il y a quand même quelques bons riffs, comme l'astucieux répétoir de glissés de "
State of Emergency", avec derrière une ressortie du charley en double croche survitaminé de "
Beg to Differ".
On sent tout de même qu'il y en avait un qui a tout essayé : le batteur
Griffin Mc Carthy s'écharpe à tout moment (trop, même) avec force breaks sur les riffs, essayant de trouver des rythmiques un peu tordues sur d'autres pour relever le niveau. Je l'imagine dans sa cabine de batterie en studio, investi sans le savoir d'une mission... Sauver le soldat Tommy.
Le chant n'a jamais été le point fort de Tommy Victor, mais je ne me souviens pas l'avoir entendu aussi peu concerné par ce qu'il chante. Même le placement de la voix est paresseux sur la quasi intégralité du disque.Le tableau n'aurait pas été complet sans la-reprise-qu'on -a-pas-vu-venir-et-qu'on-fait-quand-même, "Working Man" de
Rush, qui est un poil poussive et finit l'album sur un classique bordel croissant de fin de concert.
Passé une première écoute dominée par le dépit et la désillusion, je dois dire que les réécoutes bénéficient à "
State of Emergency". Ça fait le café, comme on dit, mais les cris de Tommy ânonnés avec la conviction de manifestants en fin de mouvement plombent la note finale, car on ne peut pas tricher avec sa voix, et le manque d'âme est flagrant, si on compare ce disque à d'autres de
Prong, ne serait-ce que le très correct dernier LP "
Zero Days"(2019). Bref c'est pas ouf, comme dirait mon neveu. Ça fait le café, mais c'est pas ouf.
Mais inexplicablement, beaucoup de ces riffs trop simples rentrent dans la tête, et donnent envie d'y retourner, et cette débauche d'énergie bête et méchante finit par devenir jouissive.
Si une AI "performante" arrive un jour à pouvoir générer un nouvel album de
Prong, elle pondrait sûrement "
State of Emergency". Je vous parlais plus haut de composition en premier jet, eh bien sachez que ceci est une chronique premier jet, à peine retouchée. Voilà,
Prong étant mon groupe préféré, j'ai été assez contrarié, et moi aussi je peux faire du service minimum.
Il n'empêche que cet album vite emballé est efficace, et a fini par remonter dans mon estime à force de le repasser, que voulez-vous, l'oreille est faible, et
Prong c'est définitivement ma came, ma madeleine de Proust, j'ai acheté l'album direct à sa sortie. Sans regret, finalement.
Prong m'a toujours fait un effet bizarre. Premières écoutes, mwouais... Et puis, je me retrouve à headbanger pendant que je fais mes courses pour me rendre compte que c'est un riff de Prong qui revient me hanterc, pour ne jamais me quitter. Donc, cette remarque de ta part fait un solide argument pour moi. Je file l'acheter. Merci pour cette belle chronique en premier jet.
Pour moi ça a été exactement la même chose, les riffs qui me reviennent pendant les courses, ah ! Ah ! Mine de rien, il fait son chemin...
Merci pour ton commentaire, et content que ça t'ait donné envie de l'acheter !
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