Liste des groupes Thrash Metal Prong Force Fed

Dans cette première moitié funeste du XXIème siècle, les recherches archéologiques n'en finissent pas de révéler des pans de notre histoire enfouis sous de nombreuses couches antédiluviennes. Ainsi, hier, je suis retombé sur ma cassette de "Force Fed" de Prong, édition avec artwork de gavage bicolore vert. A la datation Carbone 14, les scientifiques l'évaluent remontant à un achat en 1990, à Paris, dans un hypermarché culturel et musical de la rue de Champs Elysées, aujourd'hui disparu. Mais elle aurait été produite quelques années avant, vers 1988 ou 1989, sans qu'on puisse le prouver avec certitude.
La cassette, totalement noire, semble en état de fonctionner, et il se trouve que je sais où il y a un appareil en état de la lire. Dans une Lada échouée sur le rivage à un kilomètre d'ici, dégueulée d'un Cargo de Nuit un soir de tempête, et dans ce tank, que dis-je, ce véhicule, il y avait... un autoradio. J'ai bien dans mon atelier une batterie de voiture qui sert à avoir un peu de lumière, les soirs de tempête, ou à ranimer les mouettes mourrantes gazolées par un dégazage de Cargo de Nuit. J'aime les mouettes.

C'est un témoignage d'un âge où a été tentée la génèse musicale entre du New York hardcore, de l'industriel, de la noise, et du thrash. Un âge avant leur mythique deuxième album "Beg to Differ", qui a été une influence citée par énormément de groupes, du groove metal comme du neo, et qu'on retrouve jusque dans le metal moderne d'aujourd'hui (pléonasme).
Les trois New Yorkais, Tommy Victor (guitare, chant), Mike Kirkland (basse), et Ted Parsons (batterie, ex-Swans), après une "Demo '86", ont pondu un premier EP très hardcore "Primitive Origins" en 1987, et enchaîné avec une "4 Songs Demo '87", qui sera le socle de leur album à venir. Ce dernier est enregistré en novembre 1988 aux Baby Monter Studios et sort début 1989.

Petit disclaimer avant de vous jeter sur "Force Fed" : ne vous attendez pas à entendre le thrash indus syncopé et taillé au cordeau dont le groupe est coutumier. Deuxième avertissement : la "production" est pour le moins brute et inégale (d'aucuns diront son pourri), et le son de guitare de Tommy Victor très saturé et agressif tient plus de la tronçonneuse préhistorique que d'autre chose. Les éléments qui forgeront la musique de Prong sont ici assemblés en mode Neanderthal : des cavalcades hardcore ("Freezer Burn"… et les trois quart des morceaux ), des riffs thrash saccadés où Tommy Victor fait montre d'une dextérité tranchante en allers-retours au poignet ("Forgery"), et des dissonances penchant tantôt vers l'industriel ("Look Up At the Sun") et tantôt vers une noise extrême (l'instrumental "The Coliseum"). L'ambiance est glauque, louche et borgne ("Primitive Origins", "Force Fed"), avec des mélodies trainantes et tortueuses. Cela est encore renforcé par les parties vocales partagées par Tommy et le bassiste Mike, qui sont dignes d'une joute de trolls un soir de beuverie. Grosses gueulantes éraillées, chant parlé désespéré, l'humain tout juste extrait de l'animalité semble s'exprimer et se débattre dans des émotions qu'il ne comprend pas le les éructe à la face du monde.

On trouve par moments ce coté ultra efficace qui fera son succès plus tard, avec des riffs immédiatement mémorisables (le groovy et supersonique "Decay", "It's Been Decided", "Senseless Abuse"). La batterie de Ted Parsons insuffle un groove audacieux à beaucoup de passages, avec un jeu de toms souvent tribal, et impose des structures imprévisibles aux compositions. Il trouve aussi le moyen de mettre un toucher jazzy ou typiquement rock sur des riffs hachés menus, avant de partir dans un sprint échevelé. La basse de Mike Kirkland a un son assez gras et sale qui n'est pas sans me rappeler celui du regretté Pete Steele, à l'époque dans Carnivore, en beaucoup moins extrême bien sûr, d'autant plus que la guitare de Tommy Victor écrase tout sur son passage. Pour les gourmands, la version CD de l'album comporte deux bonus, dont "Third from the Sun", une superbe reprise de Chrome dont l'influence fantômatique plane sur l'alchimie que Prong réalise ici.

"Force Fed" est un album difficile d'accès, éprouvant, qui est finalement très expérimental, empirique, jetant avec brutalité des éléments disparates les uns contre les autres, sans chercher à plaire ou à se conformer à un style. Pour le fan du groupe, il faudra presque faire abstraction de ce que Prong fera après, et… être indulgent pour le son si âpre de cet album, qui n'est pas sans charme, et pour les autres, c'est une curiosité à coté de laquelle il serait dommage de passer.