Parmi les choses que je préfère dans le monde, il y a la cuisine à la graisse de canard, les tempêtes force 11, les fermières en salopette à forte poitrine, et
Prong. J'ai donc été surpris que peu de leurs albums aient été chroniqués sur notre paquebot de l'Esprit Metallique, les manquants étant particulièrement ceux de leur période faste entre 1988 et 1995. Je me faisais fort de concocter une intégrale de chroniques des albums du XXème siècle de
Prong, reliés dans une couverture en cuir de marmotte doré à l'or fin. Mais j'avais bien envie aussi de pourrir "
Power of the Damager", le forfait, la trahison, le naufrage artistique qui a bien failli planter le retour des américains en 2007. Cruel dilemme.
Retenant ma mesquinerie jubilatoire, je me suis dit : si je ne devais chroniquer qu'un album, sur une île déserte, lequel choisir ? Chroniquer étant une mission, un sacerdoce, dont le but est de donner envie d'écouter de la musique, de faire découvrir des albums, le choix de l'heureux élu était clair : "
Cleansing".
Si
Prong n'a pas révolutionné le metal, il a été un des premiers à injecter une sérieuse dose de groove dans leurs riffs, à l'instar de groupes comme
Faith No More ou
Pantera. Pratiquant un Thrash/hardcore industriel rêche et hirsute à l'époque de leur premier (véritable) album "
Force Fed", ils ont évolué en l'an de grâce 1990 sur "
Beg to Differ" vers ce qu'on nommera plus tard aux US le" Groove
Metal". Puis ils ont surpris leur monde en 1991 avec un metal industriel plus expérimental et personnel sur le très réussi "
Prove You Wrong".
Le groupe, formé depuis leurs débuts autour du Guitariste chanteur Tommy Victor et du batteur Ted Parsons, avait eu deux excellents manieurs de Quatre Cordes successifs, dont on se demande encore pourquoi ils sont partis. Une fois de plus,
Prong a changé de bassiste avec l'arrivée de
Raven (
Killing Joke, escusez du peu), et est passé au format quatuor avec l'adjonction d'un programmeur. Nous voilà en
1994, et au vu des différences énormes entre chaque opus du groupe, bien malin celui qui aurait par divination deviné la direction que les New Yorkais prendraient sur celui-ci.
Le ton est donné des les premières mesures de "Another Worldly
Device" : Direction dans ta gueule. Un riff massif comme un parpaing de 14, qu'une batterie sèche et souple fait groover sa mère, dès son entrée. Un solo un peu crade qui passe comme une lettre a la poste.
Prong a lâché du lest pour être encore plus lourd, ça pète a la figure avec une production brute et âpre taillée sur mesure par Terry Date, producteur de
Pantera,
Deftones et
Soundgarden. Ted parsons a épuré ses parties de batterie au maximum.
Plus de parties de toms tribales, de caisses claires syncopées, plus de roulements a rallonge. De la rythmique pure, une colonne vertébrale musicale de frappes métronomiques.
Mais qui dit metal épuré n'empêche pas pour autant de dérouter l'auditeur.
Prong se fait dansant limite disco metal sur "whose fist is it anyway", avec son Charley a contre-temps, une recette qui sera reproduite sur l'album suivant, "
Rude Awakening". Derrière on entend des samples indus, et le morceau se parsème de Slide après un solo presque bluesy. Perdu ? Même pas, car c'est fluide, et tous les ingrédients se mélangent sans faire de grumeaux.
Cette veine un peu dansante se retrouve dans "
Snap Your Fingers, Snap Your Neck", avec une rythmique binaire et une basse funk, sur lesquels les gros riffs de Tommy viennent mettre un peu de plomb fondu. Le refrain, taillé pour la scène, fait encore headbanguer les foules de nos jours.
Alors qu'on se demande si
Prong ne va pas finir par nous faire du CloClo
Metal, le riff frénétique de "Cut Rate" remet les pendules à l'heure et montre que le père Tommy a des poignets en béton armé. Je vous le conseille chaudement pour vous exercer aux allers et retours (à la guitare, bande de gros dégoutants). A la batterie aussi, la rythmique en roulements qui tourne en boucle en intro vous fera chauffer les articulations.
"
Broken Peace" est malsain et mesquin avec sa guitare rampante,tout en colère rentrée, un peu répétitif, mais diablement efficace. "One Outnumbered", "
Out Of This
Misery", et "No
Question" continuent dans ce groove monolithique et enluminé de quelques passages mélodiques tortueux.
Heureusement, le groupe n'abuse pas trop de la recette miracle qu'il a trouvé sur cet opus, et part dans un "Not Of This
Earth" psychédélique aux effets de guitare aquatiques, où, une fois n'est pas coutume, les chant de Tommy Victor donne le La. Son chant caractéristique, si brut de décoffrage, n'a jamais été aussi bon que sur cet album, posé, bien placé, convaincant.
Pas de fioriture ni d'esbroufe, juste les vocaux qui collent à la musique sombre de
Prong.
Sombre, "
Home Rule" l'est, comme un dépressif en bad trip, qui tourne en rond sur un riff simplissime qui varie tantôt vers le dissonant, tantôt vers l'écrasant. "Sublime" semble faussement positiviste, ironique.
L'album se conclût sur l'excellent "Test", avec toujours son lot de riffs lourds (décidément, tout est lourd dans cet album), et son refrain scandant "...this is only a test", pour bien s'imprimer dans le ciboulot.
De la discographie de
Prong, "
Cleansing" est le plus lourd (oui, encore), âpre, méchant, étouffant. Le plus direct aussi : une idée un morceau, deux trois riffs, quelques variations. Le plus mid-tempo aussi, en ayant des rythmiques très basiques, mais tournées vers l'efficacité maximale. J'avais eu une micro déception à l'époque sur le jeu de batterie de Ted Parsons, moins technique qu'avant : mais c'est ce qu'il fallait sur cette musique. La basse de
Raven, comme pour les précédents albums de
Prong est bien mise en valeur et complémentaire du jeu de Tommy Victor. L'apport du programmeur est plus discret, en fond, mais apporte une bonne part de l'ambiance indus très noire qui baigne ces morceaux.
A l'écoute de cet album, je me demande qu'est ce qui fait qu'il est bien au dessus des autres, et à milles lieues des albums suivants : des vraies bonnes chansons, pas juste un empilement de riffs.
Prong était au sommet de son art, et ce "
Cleansing" est pour moi un des tous meilleurs albums des années 90, à coté du "
Blind" de
Korn, du "Chaos AD" de
Sepultura, et du "
Adrenaline" des
Deftones. Ce qui manque pour en faire un album mythique qui vaut vraiment un 20/20, c'est plein de petits détails ajoutés, et d'être un demi cran en dessous du génie. Ca vaut quand même un gros 19.
C'est comme la cuisine à la graisse de canard : c'est lourd, mais qu'est ce que c'est bon.
Merci pour cette excellente chronique, c'est vrai que ça manquait sur SOM ! Tommy Victor est vraiment un génie incompris : même le taciturne Glenn Danzig l'adore, c'est dire... Cleansing est le disque le plus connu de Prong, et leur meilleure vente : j'ai une préférence pour "Beg to Differ", au son plus sec, mais c'est une question de goût. Par contre, je trouve qu'ils ont toujours eu des pochettes moches - à part celle de "Beg to Differ", dessinée par le très culte Pushead : je me demande si ça n'a pas joué un peu dans leur insuccès. Aujourd'hui, Prong n'a toujours pas la reconnaissance qu'il mériterait, alors qu'il continue à sortir des albums fantastiques (avec un Tommy qui a appris à chanter mais des visuels toujours aussi peu attractifs, une marque de fabrique !).
Que de souvenirs en concert cette album. Merci d'avoir comblé ce vide inadmissible par cette bonne chronique.
Merci pour votre soutien, et ça fait plaisir de voir cet album aussi apprécié par les connaisseurs ! Tout à fait d'accord avec Fishbelly, pour l'influence qu'a eu Prong sur la scène metal et neo en particulier. Quand on écoute l'album "Beg To Differ", c'est flagrant... et ça fera une prochaine chronique !
Merci pour cette excellente chronique, qui lui fait honneur à cet album encore trop sous-estimé, qui me fit entrer en 1994 dans l'univers Thrashy et Indus de Prong.
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