En ces temps reculés de l'aube des nineties, le continent du
Metal était en ébullition, après des années d'intégrisme musical , où les peuplades de thrasheurs, speedmetaleux, hardcoreux, glamouses, hardos se regardaient en chiens de faïence et fourbissaient leurs armes chacun de leur coté.
Chaque prêcheur priait à sa chapelle, la plupart des groupes suivaient les rails de leur style. Le Heavy et le Speed étaient en voie de ringardisation, les mastodontes du thrash commençaient à tourner en rond, et la tendance générale était à la multiplication des cultes extrémistes : doom, black, grindcore, death. En parallèle, le territoire de la Glamouserie (oui, ce pays où il était de bon ton d'avoir une plus belle permanente que sa mère et comme pantalon un moule-paquet de couleur fluo) se dissolvait dans sa propre décadence, tous ses représentants étant condamnés à l'horizon des années 90.
Des siècles d'obscurantisme metallique se profilaient à l'horizon, un moyen âge metallique dominé par la course à la barbarie de groupes tous plus violents les uns que les autres.
Pourtant, un renouveau était en cours depuis quelques temps : quelques combos bravèrent l'interdiction de mixité stylistique en mélangeant les genres. Funk et gros rock, comme les
Red Hot Chili Peppers ou Living Color.
Ministry ou Voïvod mêlant industriel et metal.
Faith No More mélangeant Rap, metal, claviers pop et basse slappée avec son "The Real Thing", dont la déflagration ébranla les esprits en 1989. Les frontières musicales jadis si bien défendues se faisaient floues, et les esprits les plus curieux étaient à l'affût des mélanges contre-nature en cours dans les hauts fourneaux ensorcelés.
Une rumeur, un murmure parcourait les contrées d'outre metal : un groupe de New Yorkais , appelé
Prong, était en train de mettre dans un tube à essai du thrash, du hardcore, et de l'industriel. Ses deux premiers essais avaient explosé sans trop faire de dégats dans deux albums confidentiels au son Cro Magnon particulièrement pourri, mais d'où sortaient des fulgurances de talent indéniable. "
Primitive Origins", et "
Force Fed", c'était de la bombe sale, pas maitrisée, mais on y trouvait déjà tous les ingrédients de la recette
Prong.
Prong avait signé sur un gros label, et préparait un nouvel album, qui promettait d'être surprenant. Les fées bienveillantes s'étaient posées sur son berceau, Mark Dodson était à la production, et l'artiste Pushead, célèbre pour ses artworks des meilleurs t-shirts de
Metallica époque
And "
Justice For All", se chargeait de la pochette. La pochette est très réussie, avec son tryptique de tiers de portraits des musiciens, avec le trident stylisé du logo de
Prong en surimpression.
Ce qui ressemble à du thrash tout ce qu'il y a de plus classique aux premières mesures de "
For Dear Life", marque sa différence au fur et à mesure des minutes. La batterie de Ted Parsons est bien loin des standards metal : très rock, marquée par un son de caisse claire reconnaissable entre mille, des toms très tribaux, et des accélerations soudaines bien hardcore (la fin furieuse de "Steady
Decline", par exemple) . Le jeu de guitare de Tommy Victor est massif, saccadé, mais privilégie des accords tordus et dissonnants en plus des classiques power chords, et des solos presques bruitistes et bordéliques. La basse est un peu en retrait, audible surtout quand elle s'écarte du jeu de ses deux compères.
Prong est un
Power Trio, mais fonctionne surtout sur le tandem guitare/batterie.
Et vint le morceau "
Beg to Differ". Avec des riffs simples et imparables , triturés par la batterie d'une manière imprévisible, où Ted Parsons fait parler sa science obscène du contre-temps. Ce morceau devrait être un exercice de style pour tout batteur qui veut faire le tour de ce qu'on peut faire pour enrichir une composition : travail des toms, syncopes grosse caisse/caisse claire, double croches super rapides sur des arpèges mélancoliques, roulements pêchus et détonnants. Tout le kit y passe, et cela illustre à merveille que le batteur n'est pas juste là pour marquer le temps comme une brutasse.
"
Lost and Found" est un morceau groovy qui augure de ce que deviendront le groove metal et le neo metal. "Your Fear" est un peu mélancolique et lourd avec une empreinte très personnelle, dans la veine de ce qu'ils feront en 1991 sur leur futur album "
Prove You Wrong".
Là où tant de groupes se contentent d'empiler les riffs,
Prong multiplie les surprises, et joue avec les conventions : comme sur "Take It In
Hand", qui commence mélodique et triste, groove ensuite sur un riff avec un accord à la con, repart de zéro brutalement dans un style purement hardcore, revient en groove, ralentit dans un breakdown tout en douceur avec un chant clair, dégénère en solo cradingue et finit avec son refrain et ses gros choeurs de mâles NYHC.
L'instrumental indus et tribal "Intermenstrual DSB"est envoûtant avec ses accords tordus, ses petites harmoniques discrètes et sa double grosse caisse soutenue . Puis on a un "Right To
Nothing", un peu convenu, avant que "Prime Cut" joue avec nos nerfs, lourd et indécis.
"Just The Same" et son riff perce oreille plein d'harmoniques clot energiquement cet album, tout en donnant un dernier coup d'accélérateur pour la route.
Dans la plupart des versions de l'abum "
Beg to Differ", on peut trouver en bonus une reprise live de
Chrome, "
Third from the Sun", surperbe hommage de la bande à Tommy Victor à une de ses influences majeures.
Si cet album est culte pour beaucoup de gens, en particulier des guitaristes et des batteurs, il n'est pas exempt de défauts : une production sèche qui manque un peu de lourdeur et de puissance, le chant de Tommy Victor pas totalement assuré, depuis qu'il a essayé de sortir des braillements rugueux de "
Force Fed". La qualité des compos souffre de quelques riffs ou passages dispensables, par-ci, par-là.
N'empêche qu'avec cet album,
Prong fait sortir le thrash des sentiers battus de la Bay
Area ou du thrash allemand à la
Kreator-Sodom, et aura influencé une flopée de groupes dans les années 90 et 2000. Depuis l'audace de précurseurs comme
Prong,
Faith No More, ou d'autres, tous les styles, genres, et sous-genres ont copulé pendant plus de vingt cinq ans. On a mainteant une tétrachiée de sous-chapelles basées sur des mélanges donnés avec des règles et des codes bien précis, où tous les groupes se copient les uns les autres. Mais aussi, bien heureusement, plein de groupes qui n'ont pas peur de sortir du dogme musical pour faire leur petite mixture bizarroïde. Et c'est bien le principal.
Slt JED , un petit commentaire, en espérant que ce ne sera pas le seul pour cet album ,pour te remercier encore une nouvelle fois pour ta Chro’ (je vais prendre un abonnement à force…on doit avoir quelques gouts en communs concernant certains groupes /albums).Pas grand-chose à rajouter ,ou alors je fais une chro’ mais je n’ai pas ta plume. J’avais découvert PRONG avec le titre BEG TO DIFFER à l’époque ou le métal avait encore droit de cité dans les médias télé et j’ai pris une sacrée torgnole dans ma face….pourtant habitué au trash de la bay area ou US en général (et il y a une tripotée de bons skeuds), j’avais trouvé comme tu le dit cette mixité stylistique des genres qui vont pullulés plus tard (Même si PRONG tape à droite à gauche faut pas non plus déconner). En aparté Ted Parsons est un put..de batteur et il enfoncera le clou avec PROVE YOU WRONG.
Merci encore une fois pour cette chronique : eh oui, après Cleansing, c'est l'autre incontournable de Prong ! Je l'avais acheté à sa sortie aussi, c'est peut-être pour cette raison qu'il restera toujours mon préféré... C'était quand même peu commun à l'époque : le metal alternatif, ça n'existait pas. Un mélange de thrash, hardcore et indus, comme tu dis, mais ils étaient aussi beaucoup influencés par le post-punk et la cold-wave des 80's (Killing Joke, Swans, etc.), ça s'entend dans l'aspect froid et répétitif. J'ai racheté récemment la version remasterisée Steamhammer.
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