« Accès refusé. Demande vérification du produit exposé »
Un labyrinthe de confluents. Le tableau qui pourrait résumer la carrière de Kristoffer Rygg, alias Garm. Pendant plus de 13 ans, l'homme n'a cessé de déconstruire son propre portrait d'artiste, ne préservant qu'un mince fil conducteur entre ses différentes oeuvres. Frontman d'
Arcturus, il remodela son groupe culte de la scène black symphonique en une sorte d'entité conceptuelle au visages hérités du baroque italien et de la tragédie, enduits d'un metal expérimental bordé d'électro, pour emmener par la suite son croiseur vers des contrées cosmiques.
Impossible de tenir en place.
Ulver en est le témoignage le plus parlant. Ceux ayant mis pied dans les marécages du Black
Metal scandinave des débuts 90 n'auraient pu passer à côté de ses premières oeuvres.
Bergtatt signait une alliance abstraite avec
Satyricon et
Enslaved, Kvelssjanger s'attaquait au folklore norvégien dans toute sa simplicité acoustique et enfin
Nattens Madrigal, recueil du black metal le plus raw et le plus agressif, aidé d'un talent d'arrangements d'harmonies remarquable.
Toujours suppôt d'une thématique anti-chrétienne, le virage à 180° commençait à prendre forme, sur Themes for William
Blake, double album d'electro reniflant encore son héritage culturel. Le black metal n'existait cependant déjà plus. Et voici 2000, voici les barrières définitivement brisées, voici un
Ulver incasable.
« Accès autorisé. Etranger, soyez le bienvenue dans notre cité. Auditeur, tu y es acteur. Et sera ton destin de t'y fondre ou de t'y écrouler... »
Perdition City arbore fièrement son en-tête « Music for an interior film ». Tel est le but, créer des séquences imagées, créer des émotions chez l'auditeur et lui donner la matière pour en réaliser un métrage cérébral.
Ulver se permet toute les incursions, draguant langoureusement
Amon Tobin pour son électro travaillée comme Can pour ses recherches concrètes sur le son.
Perdition City se veut être un recueil d'atmosphères froides, le vecteur d'un spleen urbain gris et déshumanisé, le stress d'une cohue morose, une sculpture de la machine pseudo-humaine embarquée dans un système hégémonique.
Perdition City se pare d'une aura jazzy semblant résonner depuis les bas-fonds de la ville. Saxophone, cuivres et swing frustré apparaissent comme des sources de chaleur et de chair désormais amères, oubliée des rouages calculés et sur-rationnels du dispositif. Ces derniers sont placés dans le décor par une électro glaciale, complexe et sèche, incroyablement évolutive tels les
Lost in Moments ou
Dead City Centre. Deux socles en béton, carré et froids, illustrant à merveille d'aura du disque.
Ulver s'attaque au paradoxe de l'homme urbain, la proximité amenant à l'enfermement et à la schizophrénie. Cette facette y est retranscrite de manière miraculeuse sur le noisy et hypnotique We Are the
Dead, l'homme désabusé et insomniaque cherchant les fantômes d'une foule qui le terrorise.
Perdition City est aussi une étrange promenade ou les néons opulents attrapent une teinte grisâtre, où les lumières stroboscopiques de slogans faussaires animent la matière inerte de cette forêt de béton et d'acier, où une âme arpente les ruelles faites de corruption et de mines déconfites, armée d'un recul sobre et pourtant désespérément isolée. La machine tourne et grince, ses artifices dessinent la silhouette d'un idéal, un messie manufacturé que nous sommes tous formatés à suivre.
Par moment, des clins d'oeil apparaissent. Tomorrow
Never Knows s'adresserait directement aux Beatles? En dehors de la proximité avec son homologue précurseur de l'électro, cette pièce est surtout une gigantesque usine ultra moderne auto-fonctionnelle, de par ses airs de Photek groggy et de ce foutu stress, cet effroi omnipotent qu'elle entretient cyniquement. Quant à The Future Sound of Music, quel plus bel hommage pourrait-on faire à ce duo fédérateur qu'est The Future Sound of
London? Lui même, sur son
Dead Cities, traitait d'une thématique non éloignée. Et
Ulver, après avoir dessiné un refuge idyllique au beau milieu de son charnier mécanique, prend soudain un malin plaisir à le massacrer, à le persécuter en y faisant hurler de douleur une distorsion modulée, humiliée pernicieusement par un vocoder totalitaire, comme pour mieux figurer une oasis de paix écrasée sous les chenille meurtrières de l'appareil...
Et ce final,
Nowhere/
Catastrophe est une sorte d'érotisme nihiliste, puant la destruction de l'identité par la machine, du nettoyage de personnalité.« Quelque part entre le plaisir et la peur »,
Perdition City jouit de son pouvoir accablant sur une note grandiloquente et un air de Soul cyber-punk.
« Alerte. Intru détecté. Mesures de sécurité déployées. Opération imminente »
Un monde il y a entre
Nattens Madrigal et
Perdition City. Mais un fil étrange rapproche les deux oeuvre. Celui d'une profonde misanthropie, d'un profond dégoût de l'humain, la créature s'étant elle même piégée dans un micro-univers qui désormais la gère tel un despote silencieux. Garm nous partage ici ses peurs, ses témoignages par le son et sa haine. Une haine immense et plus que jamais abrasive.
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« Parce que vous êtes des esclaves. La crème de la crème de l'amas organique fonctionnel. Parce que vous avez tout ce que vous désirez. Confort, matériel et l'illusion d'être au dessus de cette masse qui partage le même terrain que vous. Pour ça, vous ne partirez pas. Et vous nous alimenterez car nous pouvons vous assurer une préservation de ces privilèges. Rassurez vous, les valeurs sus-cités ne disparaîtront pas. Elles nous permettent de vous entretenir, vous fournissez un carburant essentiel à notre pouvoir. Après tout, vous l'êtes de votre plein gré, n'est-ce pas?
Le révolutionnaire est lui même un élément essentiel. La division de ces groupes est systémique, opérée par le besoin que nous créons à l'individu. Le désespéré vomit le béton qui construit nos fondations. Ils sont l'ivraie qui justifient notre modèle, les rebuts que vous fuyez obsessionnellement.
Et si ces couleurs commencent à s'effacer, notre nouvelle lentille déformante est désormais en vente. Elle vous promettra richesse et succès. Elle deviendra le standard demain matin.
Séquence terminée. Reprenez votre train train quotidien. Nous veillons sur vous.... »
Encore un album qu'il me reste à découvrir...j'ai vu récemment le dvd d'Ulver et j'ai été soufflé par le lyrisme et la magie de l'album, alliant onirisme à la froideur glaciale.
Merci pour ce texte, je vais tenter de m'y pencher au plus tôt :)
Je te remercie, fieu. Je pense que Perdition City t'accrocheras beaucoup ( je parle à un amateur de JM Jarre je crois, non? ;) )
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