Chaque nouvelle expérimentation d’
Ulver est un voyage dans des contrées métaphysiques et expérimentales qui vous happent, vous transportent et vous laisse parfois pantois, parfois circonspect mais toujours intrigué.
Inutile d’évoquer la très longue carrière de Garm à travers sa création, tout n’est que changement évolution, révolution, régression et mouvement. Chacun utilisera le terme lui convenant pour la sortie qu’il jugera ainsi, puisqu’
Ulver se moque éperdument des avis, des réactions et des critiques.
Ulver vit, respire et propose, aux grés des envies, des disques souvent radicalement les uns des autres, tous trop éloignés pour que l’on puisse uniquement parler de réaction ou d’opposés. "
Perdition City" avait enterré un certain passé black metal par ses errements industriels, urbains et glacials. "
Shadows of the Sun" s’était voulu plus paisible, protecteur et rassurant dans ses sonorités enveloppantes et chaudes tandis que l’intriguant et insondable "
ATGCLVLSSCAP" n’était qu’une succession hypnotique (à l’instar de sa pochette) de sonorités autant électroniques que naturelles, avec un immense travail de percussion et de progression sonore instrumentale pour une bande son introspective que chacun vivra comme il le souhaite.
Il y a trois ans, "
The Assassination of Julius Caesar" avait énormément surpris par son orientation synthpop 80’, avec un retour à énormément de chant, à des mélodies plus limpides et surtout une accessibilité accrue, tout en conservant ce caractère foncièrement différent évoquant une éternelle chute en avant (le fabuleux "Rolling
Stone" ou le mystique "So Falls the World", d’une pureté quasiment absolue avant de chuter dans des méandres synthétiques catchy). Certains avaient vu là une solution de facilité d’un Garm faisant en partie ce qu’une certaine scène tentait de réinventer. Opportunisme ? C’est bien mal connaitre les norvégiens qui revenaient deux ans plus tard avec un "
Drone Activity" de 4 titres foncièrement opaque, sans vocaux.
Quid de ce "
Flowers of Evil" désormais ?
Dire qu’il est une suite logique de "
The Assassination of Julius Caesar" serait aussi vrai et erroné que "
Blood Inside" était un prolongement cohérent de "
Perdition City". On ressent une même pulsation, un côté charnel, presque sensuel dans les vocaux de Garm et cette même épuration des structures, ici encore très distinctives et matérialisées par des couplets et des refrains. Lorsque "One Last Dance" débute, c’est sur un texte apocalyptique et désertique, aride et sans espoir, mais conté tel un passager étranger à ce monde, simple spectateur d’une désolation environnante. Quelques synthés, un travail sonore tout en couches, une voix d’une clarté étonnante et une batterie électronique qui offre cette dynamique quasiment cold wave. La ligne de chant de chant sert de support à de nombreuses nappes de claviers qui, si elles paraissent évidentes aux premières écoutes, dévoilent au fur et à mesure un travail colossal d’arrangements et de composition. Inutile de penser que l’écoute sera facilement assimilable car le chant est prédominé.
Ulver reste fidèle à ses principes d’intégrité et à son propre paradigme.
Il est parfois plus reconnaissable dans son obscurité que dans cette étrange lumière qui lui colle étonnamment bien à la peau, même si elle semble parfois aussi pale que la mort. Ainsi, le lent et fantomatique "Hour of the
Wolf" s’appuie sur un beat répétitif et cathartique, ponctué de sonorités oppressantes mais constamment rassuré par ces vocaux lumineux, presque christiques, qui semblent nous appeler, nous guider tel un messie. On pense potentiellement à un "
Angelus Novus" sur ce titre, à l’inverse d’un "
Machine Guns and Peacock Feathers" qui va venir critiquer de façon acerbe notre façon d’utiliser la technologie et la virtualité de nos vies. Musicalement, c’est face à une pop mélodique presque dansante que nous nous retrouvons. Mais la sauce prend. Toujours. Irrémédiablement. Certains diront que Garm touche au génie avec tout ce qu’il tente, d’autres qu’il est surcoté mais force est d’admettre que cette constante mise en danger, cet éclectisme de chaque instant s’inscrit toujours dans une cohérence d’ensemble et si le titre fleure bon la pop synthétique des années 80, il n’est jamais pauvre, constamment enrichi d’atmosphères propres et obsédantes.
"
Russian Doll" et son clip étrange, montrant cette adolescente désarticulée habillé de noir, se veut dans la pure lignée des deux opus à la base de ce virage stylistique. Les titres sont courts, souvent aux alentours des quatre ou cinq minutes, mais donnent constamment envie d’y revenir, afin de s’abreuver de cette lumière factice car porteuse d’un désespoir et d’une mélancolie ambiante. Moins foncièrement expérimental et « pur » que ne pouvait l’être "
The Assassination of Julius Caesar" dans cette formule, "
Flowers of Evil" y gagne en efficacité, en mélodie et en clarté (autant de termes qui, il y a quelques années, n’auraient pas été vraiment à inscrire dans une chronique d’
Ulver). On pourra penser à ce "
Apocalypse 1993" et son refrain qui caresse l’auditeur ou à cet intriguant "
Nostalgia" peuplé de guitare clean et d’arrangements de vocaux féminins. "A Thousand Cuts" termine ce court voyage sur un piano mortuaire puis des synthés qui nous emmène loin, emporté que nous sommes par ce chant prenant la forme d’un tapis qui, s’il semble moelleux et confortable mais qui nous enlace dans des paroles vénéneuses, qui pourrait évoquer un certain espoir mais se fracasse inexorablement contre l’horreur de l’humanité, ses excès et sa chute.
Avoir un avis arrêté et objectif sur un disque d’
Ulver reste aussi difficile, voir impossible tant il est question de sensibilité, d’appétence musicale et d’attente liée à un artiste aussi polymorphe et intemporel que lui. "
Flowers of Evil" est une pièce d’orfèvre dans sa conception, sa réalisation et sa production. Il ne pourra contenter chacun, mais il est désormais connu qu’
Ulver n’est pas ce genre d’artistes à y faire attention. Cet album est une nouvelle pierre à l’édifice, une nouvelle tentative d’explication de sa propre catharsis. A chacun de savoir s’il permettra, ou non, d’apaiser sa propre folie.
Pas encore écouté, mais assez emballé par les extraits. Il me tarde d'écouter et de voir ce que ça donne sur un album entier. En tout cas ça donne envie, les dérapages expérimentaux c'est ce que j'aimais le moins sur le précédent, donc ça peut bien m'aller.
Merci pour la chronique !
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire