1997 - Bureaux de
Century Media - Scandinavie.
- Garm, s'il te plaît... explique-moi clairement où sont passés les fonds que la boîte t'a laissés pour promouvoir ton album ?
- Ben... là-dedans, dit notre artiste d'un ton désinvolte en désignant du doigt la jolie
Cadillac garée devant l'entrée.
- Je rêve là... Je cauchemarde...
- Non, tu ne rêves pas.
- Ce fric était destiné à produire ton nouvel album !! Et où il est l'album, hein ? Une boîte à musique cachée sous le capot ?
Garm eut un rictus " tiens, il vient de faire de l'humour ". Puis, exaspéré, mis la main dans la poche de son tout nouveau costume, payé avec ce même argent, pour en sortir une misérable cassette audio. Le responsable, sous le choc, tomba à genoux...
- De toute ma carrière, aucun artiste, aussi saugrenu soit-il, ne m'a fait un coup pareil.
Garm s'agenouilla à son tour, lui mit la main sur l'épaule et lui parla d'un ton solennel.
- Allez, finies les lamentations. Il est temps de passer aux choses sérieuses. Tu as un lecteur cassette ? Que je puisse te présenter à
Nattens Madrigal...
Nattens Madrigal !! Oui. J'ignore ce que le type de
Century Media a pu en dire à la première écoute, quoi qu'il en soit, cette farce de la part de Garm, chanteur et guitariste sur cet album, est tout ce qu'il y a de plus authentique ( même si ce petit dialogue n'est issu que de mon imagination ). Les petits farceurs d'
Ulver ont dépensé l'argent de l'enregistrement en fringues, parfum et autres folies, notamment une superbe
Cadillac, le tout bien visible sur quelques photos prises à l'occasion... Mais, quand on voit le résultat, était-ce réellement une folie ?
Bergtatt fut épique.
Kveldssanger fut acoustique. Et
Nattens Madrigal fut un autre détour au cœur du folklore norvégien, mais cette fois-ci, le groupe a décidé de s'attaquer au Black
Metal, non plus le Black folk et épique de
Bergtatt, mais bien l'art le plus cru et le plus malsain représenté dignement par
Darkthrone en cette époque.
Mais le plus surprenant est à venir. Vu les méthodes d'enregistrement, cet album bénéficie donc d'une production assez crue, ce qui est loin d'être un problème pour un album de Black
Metal allez-vous me dire.
Avez-vous déjà entendu ces albums dont le rendu fut aiguisé en fréquence Hi-Mid ? Ben oui... pour ne citer que les plus connus, il y eu Filosofem de
Burzum, Under a
Funeral Moon et A
Blaze In
The Northern Sky de
Darkthrone.
Nattens Madrigal est diffusé de telle manière... à part que là, on frise le débordement. Le son perce les tympans, le genre de production qui donnerait une migraine dès la première écoute. Certains iraient chercher d'urgence leur boules Quiès pour ne plus devoir supporter le massacre, quitte à appuyer sur stop tant qu'il est encore temps... quelle erreur !
Oui, quelle erreur... car cet album est fantastique, tout simplement. Et malgré l'agression sonore, tous les instruments sont parfaitement audibles. Les divergences de jeu entre les guitares sont surprenantes mais ce n'est pas tout, ce rendu glacial ne fait qu'amplifier la déferlante de rage contenue en la galette.
Nattens Madrigal qui semble détenir toute l'authenticité du Black
Metal va plus loin. Hormis le blast continuel et psychotique on ne peut plus jouissif, les compositions sont effarantes de complexité et de recherche, les titres sont variés et explosifs.
Ulver parvient ainsi à marier avec la brutalité une incroyable maturité en ayant, je dirai parfois l'impudence, de compléter son inspiration par un travail important sur sa structure. Et les morceaux se diversifient. La deuxième titre démarrant sur un riff aussi efficace qu'un antichar, continue sur un couplet très sombre et enivrant, la suivante sollicite une descente de gamme grimaçante, et ce ne sont pas les interludes inquiétants entre les morceaux qui iront attendrir ces guitares psychotiques, véloces et agressives telles des scies circulaires déréglées.
Je tiens également à laisser une mention spéciale au sixième, Of
Wolf And Passion, qui débute sur ce riff au romantisme très caricatural mais unique en son genre. Et pour terminer, ce Of
Wolf And The
Night, qui clôt cet incroyable chapitre de la manière la plus magistrale qui soit. Le tout tourne autour de cette superbe histoire de lycanthropie, contée par Garm et sa voix déshumanisée, grimaçante, sanglante et, surtout, reconnaissable entre mille.
Alors j'espère que le gérant de
Century Media a bien réagi, de toute façon si ça n'avait pas été le cas, je doute que cet album ait pu voir le jour.
Nattens Madrigal est un rare chef d'œuvre, il représente le
True Black
Metal, loin de cet esprit concentré sur l'image et l'allégeance au genre, il est le fruit de l'esprit, le fruit des sentiments les plus obscurs et le fruit d'un personnage inspiré et ambitieux. Il est l'œuvre ultime du genre, repoussant les extrêmes du Black
Metal jusqu'aux frontières de l'apocalypse musicale, jusqu'au paroxysme du style. Il incarne une puissance incroyable, un monument unique et inébranlable, construit de main de maître.
A ce jour,
Nattens Madrigal se loge une place parmi les tous meilleurs albums de Black
Metal, là où certains cultivent cet esprit noir et élitiste, crachent cette haine hypnotique,
Ulver s'y est aventuré, a survécu et en est ressorti vainqueur.
Ce chef d'œuvre a une âme, ce chef d'œuvre est unique. C'est pourquoi je vous le conseille fortement.
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