Quand 5 jeunes Anglais d’Halifax décident de se lancer dans l’aventure du metal à la fin des années 80, certaines voies semblent toutes tracées. Leur leader artistique, le grand Greg Mackintosh –encore imberbe à l’époque- est fan de ce death metal alors en pleine explosion, mouvement qui révolutionne le petit monde de la musique extrême et auquel l’Angleterre apporte une contribution non négligeable.
C’est donc sans réelle surprise que
Lost Paradise, le premier méfait de...
Paradise Lost, s’oriente vers le death metal, avec un Nick Holmes “growlant” avec vigueur. Pourtant, nos amis font déjà la première démonstration d’une réelle indépendance musicale : alors que le mouvement de fond du death metal s’engage vers la brutalité et la vitesse, surtout en Angleterre avec les terreurs
Carcass et
Napalm Death,
Paradise Lost prend le contre-pied du mouvement et propose un style complètement novateur, où le rythme est franchement ralenti, la lourdeur et la noirceur de l’atmosphère prenant le pas sur l’agressivité et la virulence. Ce rapprochement révolutionnaire avec le doom, mouvement à la base antinomique avec la vitesse du thrash / death, fait de
Paradise Lost un pionnier.
Cette audace stylistique est le principal intérêt de
Lost Paradise. Pour le reste, l’album témoigne surtout du manque de maturité de ces jeunes musiciens, dont la technique et la maîtrise ne sont pas encore à la hauteur de leur évidente capacité créative.
Leur death/doom souffre tout d’abord d’un manque de puissance assez handicapant. Les moyens n’étant sans doute pas encore à la hauteur, l’impression d’un enregistrement dans une cave limite largement la puissance de feu.
On note également une carence dans la fluidité et la maîtrise des enchaînements, problème fréquent chez les jeunes formations, qui rend parfois les morceaux saccadés et besogneux.
L’autre aspect qui limite l’impact du disque concerne le lead mélodique et les soli de Mackintosh, encore trop timides et cherchant leur place entre approche mélodique et jeu dissonant. On connaît l’orientation future du jeu du guitariste, mais en l’occurrence celui-ci ne semble pas avoir tranché entre des influences doom/heavy classiques et le jeu déstructuré et agressif de quelques leaders du death old school. Ce flottement, sans doute accentué par des limites de technique individuelle, confère à l’ensemble un caractère hésitant et manquant globalement de percutant.
Cependant,
Lost Paradise n’est pas sans comporter de nombreux passages intéressants. Certains morceaux préfigurent les futures orientations du groupe, avec notamment l’utilisation pertinente de la lead guitar en avant des riffs plus conventionnels, ou de subtiles touches (très limitées et discrètes) de claviers sur certains refrains, comme sur
Paradise Lost, très doom, ou même l’adjonction de quelques chants féminins, sur
Breeding Fear.
Pour le reste, ce death lent et sombre parvient partiellement à son but. L’atmosphère est pesante et particulièrement austère, mais ne parvient que trop ponctuellement à atteindre sa vitesse de croisière, comme sur l’intéressant
Rotting Misery ou sur Internal
Torment, seul morceau de pur death old school de la discographie de
Paradise Lost. Quant à
Breeding Fear, à défaut d’être homogène, il regroupe sans doute les riffs les plus accrocheurs et les parties mélodiques les mieux maîtrisées de l’album. Mais la plupart du temps, on reste dans l’expectative en percevant
Lost Paradise comme un poids lourd ne parvenant pas à se lancer. Là encore, le manque de fluidité, le son souffreteux et une rythmique hésitante y sont pour beaucoup.
Ce bémol est toutefois contrebalancé par le fait que l’austérité et l’âpreté qui émanent de
Lost Paradise contribuent largement à ce charme “old school” qui contente souvent les plus nostalgiques d’entre nous. Cette sorte de grandeur monolithique accompagnera d’ailleurs
Paradise Lost avec bonheur jusqu’à
Icon, et ce premier disque est déjà empreint de cette atmosphère très personnelle, déjà impressionnante de noirceur et de désespoir.
En conclusion, ce disque est en priorité destiné aux historiens du metal, collectionneurs et amateurs de ces disques de rupture, authentiques et fondamentaux dans l’évolution du mouvement, à défaut d’être des chefs d’œuvre. Le vrai fan de
Paradise Lost se doit également d’y jeter une oreille, ne serait-ce que pour appréhender une composante essentielle de la musique des Anglais, qui reste fondamentale et toujours sous-jacente dans
In Requiem, 17 ans après : une culture doom/death profonde que ne possède pas bon nombre de ses concurrents de
Gothic metal...
Concernant l'album en lui-même, même si j'ai failli m'étouffer quand tu dis que tu le préféres à To Mega Therion (tu le savais déjà en l'écrivant n'est ce pas), je trouve ça plutôt réjouissant de constater que le vieux PL peut autant plaire. J'aime beaucoup cet album, la chronique est peut être trompeuse à ce titre, mais il me semble quand même que ce premier rejeton des Anglais souffre de quelques approximations que je mets à coup sûr sur le compte de la jeunesse et de l'immaturité musicale plutôt que sur une vraie démarche assumée. D'ailleurs je précise bien que les scories qui entravent la fluidité du disque lui donne également une identité très attachante et participent à son identité rugueuse. Après, même si une chronique est quelque chose de personnel, il faut quand même dire les choses avec un minimum de lucidité.
Je trouve à ce titre que les progrès affichés sur Gothic donnent un autre relief au doom/death de PL, sans lui faire perdre sa force.
Merci de ton com en tout cas !
Objectivement ou non, je colle une note bien supérieure à la tienne, Matthieu. Déjà fan du label Peaceville depuis la parution du terrible Severed Survival d’Autopsy, sans omettre les crusties Doom, Electro Hippies ou Deviated Instinct qui garnissaient le catalogue du label anglais de l’époque, j’avais acheté Lost Paradise quasiment à sa sortie, et je dois souligner combien son mélange death & doom était inédit (bien que tu l’évoques déjà) et combien il m’avait alors surpris. C’est une œuvre finalement très british, mais sans lien avec la dominante anglaise de Napalm Death, Carcass & Bolt Thrower de l’époque, ni avec l’école Benediction dont le premier album était paru quelques semaines plus tard. Malgré ses quelques imperfections, l’atmosphère lente & oppressante de Lost Paradise continue de me séduire au fil des ans, à l’image de morceaux comme Rotting Misery et Breeding Fear dont je ne parviendrais jamais à me lasser. Bref, au-delà de la justesse de tes propos, je trouve un 12/20 peut-être en adéquation sur l’ensemble d’une carrière discographique qui m’échappe, mais sonnant plus durement en considérant l’avant-garde & l’influence l’œuvre, et son ambiance mortuaire saisissante.
Pour le reste, j’ai lâché l'affaire après Gothic, ce qui explique mon appréciation à l'instant T, alors la tienne s'inscrit sur l'ensemble d'une discographie plus large. Pour l'anectode, J’avais également acheté Gothic à sa sortie, en même temps que Blessed Are the Sick, Cursed et Nothing but Death Remains. Très beau mois de mai 1991 ma foi.
We walk in the ashes that we shall become.
Fabien.
D'autre part, je sais que la part historique et l'influence sur l'avenir d'une oeuvre pèse plus lourd dans ta notation que dans la mienne.
Bref on ne m'enlèvera de l'idée que Lost Paradise est un brouillon, qui bénéficie d'une personnalité indéniable et d'une atmosphère très marquée, tandis que Gothic est pour moi la vraie pierre fondatrice à la fois du doom-death britannique "Peaceville" et d'une bonne partie du gothic metal à venir.
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