La bande à Dani, chapitre IX
D’année en année, Cradle of
Filth n’aura cessé d’évoluer, poussé par son frontman et leader à toujours sortir un album différent du précédent, et ce en dépit du problème récurrent des changements de line-up. Si cette prise de risque est tout à fait honorable, il n’en demeure pas moins que les années 2000 ont vu les productions du groupe s’avérer plus inégales que les précédentes.
Après l’orchestral et ultra-ambitieux
Damnation and a Day, Bible noire personnelle de Daniel L. Davey ; après l’overdose Thrash mélodique correcte mais un brin longuette (et insipide) de
Nymphetamine ; après l’archi-controversé épisode de
Thornography (ou « quand Dani rencontra le Heavy mainstream »), le groupe annonce en 2008, dix ans après
Cruelty and the Beast, un nouveau concept-album biographique. En effet, quoi de mieux pour Cradle afin de renouer avec ses racines black mélodiques (et au passage, changer de look sur scène) que de sortir le grand jeu en narrant « son conte le plus malsain [écrit] jusqu’à présent » ? De l’opportunisme flagrant ? J’y reviendrai.
I – Un peu d’histoire médiévale... (si vous y êtes allergiques, sautez ce chapitre !)
Né en 1404, le baron de Rais a dans sa prime jeunesse été tour à tour le pion de sa famille et un politicien aussi habile que brutal. En 1422, il a su ajouté à son domaine par moult manœuvres parfois violentes (dont des mariages sans lendemain mais bien dotés et le refus de se conformer à la justice royale) plusieurs seigneuries et forteresses de Bretagne, Anjou, Maine et Poitou autour de la Loire.
Il faut dire qu’à cette époque le gouvernement central du royaume était au bord du gouffre : d’abord fragilisé par la folie de Charles VI, puis déchiré par une guerre civile opposant les Armagnacs et Bourguignons, et enfin le retour de la guerre avec l’Angleterre et les chevauchés du roi Henri V de Lancastre qui défit brillamment l’armée française à Azincourt en 1415 avant de conclure cinq ans plus tard à Troyes un traité avec la reine Isabeau de Bavière visant à déshériter son propre fils Charles, livrant ainsi le trône de France à la couronne anglaise. Malheureusement pour la « perfide
Albion », la résistance du « roi de Bourges » et les morts prématurées d’Henri V puis Charles VI en 1422 ne permit pas la réalisation du traité.
Dans ce contexte, la cour royale et le Parlement de
Paris avaient parfois bien du mal à trancher les multiples cas litigieux existant entre les seigneurs de l’Ouest de la France dont les conflits familiaux ou féodaux étaient monnaie courante depuis le début de la guerre de Cent Ans ; citons, entre autres, l’âpre querelle dynastique entre les maisons de Blois et de Montfort concernant la suzeraineté du duché de Bretagne.
Tout ceci pour dire qu’intrigues et luttes de pouvoir ont pavé la vie du sire de Rais. Parmi les grands seigneurs de l'Ouest, il fut de ceux qui ne prit pas partie pour l'Angleterre ou ne chercha pas à faire alliance avec elle. Il eut l’occasion de participer durant deux ans à de grands combats contre les « Anglois », sous la bannière de Charles VII (1429-1430 ; Orléans, Patay, Reims...) et de devenir pour un temps maréchal de France. Mais pour un temps seulement.
Les disgrâces vont en effet s’accumuler pour Gilles de Rais, criblé de dettes, et une fois retiré sur ses terres dans son château de Tiffauges (ou dans d’autres, mais ça c’est du détail !) il sera de nouveau impliqué dans des querelles territoriales (comme tout gentilhomme guerroyant qui se respecte) jusqu’à ce qu’il soit arrêté en 1440. Doublement jugé à Nantes pour d’une part hérésie, évocations des démons, pratiques magiques et sodomie, et d’autre part, félonie envers son suzerain (le duc de Bretagne), enlèvements et meurtres d’enfants, il fut condamné à mort puis pendu le 26 octobre.
Quant à savoir si ce triste sire n’a finalement été que la victime d’accusations portées par ses ennemis (dont des membres de sa propre famille) afin de se débarrasser de lui et s’emparer de ses terres, c’est un débat qui continuent de diviser les historiens.
-------------
II - Un concept-album prometteur...
Une fois n'est pas coutume, voici donc qu’entre (en scène) un personnage masculin central dans l’univers érotico-morbide et tragique du combo britannique - même si cette figure avait déjà utilisée par Dani dans certains de ses précédents textes de chansons (ex : "
Lord Abortion "). Si l’on regarde sa biographie ou, pour être plus exact, le mythe qui l’entoure, le personnage est en effet un très bon candidat : le temps passant, la légende noire a grossi les traits du sire de Rais, connu de son vivant pour ses expériences d’alchimie, sa relative laideur physique et son caractère difficile, ainsi que la noirceur et l’étendue de ses crimes au point d’en faire le digne ancêtre spirituel du Barbe-Bleue de Charles Perrault.
Est-il besoin de dire que ce
Godspeed... traite plutôt de cette version romanesque et haute en couleur de l’histoire, tissée bien après la mort de l'intéressé, dont l’invérifiable complicité qui aurait existé entre ce baron breton et son illustre contemporain Jeanne d’
Arc ?
Pour dévoiler toutes les (noires) facettes de Gilles de Rais, ce neuvième effort studio du combo ne manquent visiblement pas d'atouts : assez complexes, bon nombre de compositions se veulent aventureuses ; les morceaux sont variés ; les interludes narratifs très graves de Doug Bradley, interprétant Gilles de Rais, sont somptueux et les instrumentaux ne sont pas en reste. Bien que seul guitariste, Paul Allender s’en tire avec les honneurs dans ses rythmiques thrash ou heavy et le jeu de batterie de " Marthus " Skaroupka est très précis.
III – ... qui pêche par trop d'ambitions ?
Néanmoins, on sent très vite que quelque chose cloche.
Alors que le groupe semble inlassablement jouer la carte du retour à une musique plus brutale, via de nombreuses accélérations et attaques de blast-beats, et user de progressions orchestrales ou de claviers qui auraient trouvé leur place sur
Midian ou
Damnation and a Day (sans compter Sarah J.
Deva, il y a quand même 9 choristes qui officient sur l’album !), la plupart des morceaux n’arrivent pourtant pas à créer une atmosphère durable.
Pire encore, ils perdent vite de leur impact : l’ancien souffle de Cradle s’en est allé, brisé par une volonté d’en rajouter toujours plus avec des arrangements multiples, en particulier des coups de semonces criards du chanteur. Ce qui aurait pu être une force devient une faiblesse à cause d’un collage laborieux des chœurs, des claviers et des éléments « métalliques », élevant des murs massifs mais fort peu attrayants et, disons-le clairement, archi-pompeux. À ce niveau, ce n’est plus l’album mais les parties des compositions elles-mêmes qui sont très inégales.
Parmi les titres se voulant brutaux et sur-dosés mais qui ratent leur cible : l’entrée en matière " Shat
Out of
Hell ", " Sweetest Maleficia " ou le titre éponyme placé en dernier. " The 13th Ceasar ", quant à lui, répète sans cesse dans sa deuxième partie les mêmes paroles et finit par lasser. La grosse louche de riffs mélodiques en fait tout droit tirées de
Nymphetamine (comme sur la piste 11) ne marchent qu’une fois sur deux.
Outre le fait que l'on retrouve des plans déjà usés, mais ici en beaucoup moins bien, sur les précédents albums, un autre grand point noir inonde ce
Godspeed : les " shrieks ". La voix n’étant, semble-t-il, pas (trop) trafiquée par le studio, on pourrait s’attendre à une violence « sans commune mesure » mêlée à un certain lyrisme grâce à sa spontanéité... mais tout ceci tombe à plat et en devient même carrément désagréable en raison des cordes vocales décidément bien mal en point de Dani. Sans aller jusqu’à dire qu’il gémit plus qu’il ne crie, il est toutefois difficile de l’apprécier dans ses assauts vocaux sans concessions. Conséquence, l’émotion que pourrait susciter l’écoute en pâtit.
Dans le lot des morceaux dont la qualité évolue en montagnes russes, " Midnight Shadows... " et "
Darkness Incarnate " remportent ex æquo la palme, ce qui n'est pas très étonnant, vu que ce sont les titres les plus longs et progressifs. Malgré des ponts difficiles et des passages virant à la surenchère gratuite de sonorités, plusieurs moments rehaussent (trop tard, hélas) leur côté dramatique : leurs breaks centraux et leurs fins. Pour le premier, un piano lugubre ; pour le second, la voix grave de Dani et la basse saturée de David Pybus se répondant ainsi qu’une inquiétante lamentation d’enfant – le rôle de " Child
Victim " étant joué par une certaine
Luna Scarlett Davey...
Heureusement, certains titres sont plus réussis... et ce sont ceux où les vocaux principaux sont assez supportables ou trouvent leur utilité (j’en rajoute une couche sur le chant torturé/criard ? Je l’assume !).
"
Tragic Kingdom " et le choral "Honey and
Sulphur" ne sont pas foncièrement originaux mais arrivent parfaitement à tenir en haleine. Sinon, quitte à passer aux yeux de certains pour une personne aux goûts étranges, je retiendrai aussi le single "
Death of Love ", middle-tempo groovy très équilibré et touchant.
---------------
Pour en terminer, revenons à la question que j’ai laissée de côté au début : opportuniste cet album ? Cela mérite d’être posé quand on sait le parallèle qui peut aisément être fait avec
Cruelty and the Beast en plus du coup de l’autocollant " Cradle of
Filth return with their most evil tale yet " scotché sur le devant du boîtier de ce
Godspeed...
Si je mets de côté ce point d’irritation, un mot seulement me vient à l’esprit pour résumer mon ressenti sur l’ensemble : décevant. Une demi-surprise.
11/20
NOTA BENE :
En ce qui concerne l’édition spéciale à deux CD, il ne faut pas s’attendre à quelque chose d’extraordinaire même si le long instrumental " A Thousand
Hands on the Maid of Ruin" est une bonne pièce. Je passerai sous silence l’inutile remix " The Love of Death " et la poussive reprise du mythique morceau de
Celtic Frost " Into the
Crypt of Rays "...
Je vais le ré-ecouter histoire de voir si j'arrive à l'appreçier vraiment...
Trop brute de décoffrage, après un magnifique Nymphetamine, je trouve que le groupe est passé d’un extrême à un autre trop rapidement , l’album n’est pas mauvais en soit mais je n’y arrive pas ,l’ambiance et moins matérialisée que dans les autres productions.
Moi je trouve que godspeed est une juste une tuerie de la part du groupe qui s'est trouvé une seconde jeunesse moins dispersé plus compact que les albums précédents.
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire