Chapitre 3 : La confirmation d’un talent doublé d’un soupçon d’opportunisme mais surtout de beaucoup d’originalité.
Après un album ayant rencontré un succès commercial immense, quand vient le temps du troisième album, il est nécessaire pour un groupe de confirmer son talent, de prouver qu’il mérite son succès et qu’il ne nous a pas encore tout dit, s’il veut perdurer au sein d’une scène musicale à la concurrence rude.
Dream Theater aura l’immense avantage d’être en situation de quasi-monopole, à cette époque, dans le genre qu’il pratique, à savoir, le prog. En effet, des groupes comme Queensryche (dont l’album Promised
Land sonnera le glas définitivement pour les Américains) ou encore
Fates Warning (forts d’un
Inside Out qui n’aura pas marqué les esprits) étaient dans le déclin en termes de qualité et, d’une certaine manière, de notoriété. Les fans de ce genre ô combien complexe qu’est le metal progressif attendent au tournant le combo à la suite d’un Images & Words encensé par la critique, et qui leur aura valu une notoriété internationale dans le milieu de la musique progressive.
En connaissance de cause, dire qu’
Awake n’a pas un énorme poids sur les épaules reviendrait à négliger l’impact de la révolution qu’aura été Images & Words. Alors, on est en droit de se poser cette question : Comment les membres de
Dream Theater vont-ils faire pour confirmer leur place de maître sur la scène progressive ?
Il aurait été aisé pour le groupe de réaliser un disque qui serait sensiblement dans la même veine et ayant la même atmosphère que l’album auquel ils doivent leur succès. Mais,
Dream Theater va prendre tout le monde de court avec
Awake en proposant un disque bien plus sombre, et donc, à l’exact opposé de ce qu’était Images & Words. Et c’est probablement l’album le plus obscur qu’ait sorti le groupe tout au long de sa carrière.
Déjà, la production, de prime abord, choque, car les guitares sur l’album précédant étaient lumineuses et limpides. Ici, elles ont été remplacées par des sons beaucoup plus saturés et graves, ce qui peut éventuellement prêter à penser que les membres du groupe n’ignorent pas non plus l’arrivée du Neo metal en cette même année
1994 avec le groupe
Korn dont le premier album fera grand bruit. La batterie, quant à elle, gardera sensiblement le même son clair et propre pour un effet de clair-obscur, avec des guitares lourdes et sombres, particulièrement réussi. James Labrie, toujours au poste de chanteur, optera pour un registre bien plus agressif et sensiblement moins « mielleux » que sur Images & Words mais guère mélodieux pour autant. Et
Caught in a Web s’avère être le meilleur exemple pour illustrer mon propos car, ici, le jeu du clair-obscur proposé par
Awake s’exécute à merveille avec une intro, et un couplet, particulièrement agressifs et, a contrario, un refrain extrêmement entêtant et mélodique. Le solo, quant à lui, montrera un Petrucci qui nous offre ses plus beaux arpèges pour un effet des plus jouissifs.
Impossible également de passer à côté de l’exceptionnel A Mind
Beside Itself qui est, dans sa structure, une forme de concerto des temps modernes, car il se décline en trois mouvements. La première partie, intitulée Erotomania, est instrumentale et s'avère, en conséquence, particulièrement technique. Mais vous vous laisserez à coup sûr surprendre par les différentes atmosphères qui parsèment le mouvement ici et là. Votre serviteur vous avouera son immense coup de cœur pour le solo de
John Petrucci vers 4:30 qui est sans doute l’un des meilleurs de la carrière de ce grand virtuose de la guitare. Le second mouvement
Voices, quant à lui, constitue le cœur du morceau et je souhaite mentionner James Labrie qui délivre ici une prestation vocale absolument dantesque. Aigüe mais posée, réfléchie mais jamais démonstrative (mon dieu ce break…). Et, enfin,
The Silent Man sera la conclusion. Mais il est à noter que ce morceau se rapproche sensiblement de ce que le groupe faisait sur l’album précédent. Même si la ballade est qualitativement impeccable, elle n’en demeure pas moins quelque peu hors sujet, tant la mélodie est bien plus guillerette que ce que l’on peut trouver sur le reste du disque.
Et pourtant, même si
Awake reste composé d’une main de maître, il n’en demeure pas moins qu’il possède ses défauts qui sont quelque peu gênants. Le principal se trouve au sein de la seconde moitié de l’album qui est un petit peu plus anecdotique. Elle vous marquera moins car les morceaux se suivent d’une manière pas forcément très cohérente. Les titres les plus complexes se situent, en effet, en son sein. Par conséquent, placer un morceau aussi complexe que
Scarred vers la fin de l’album peut faire lâcher prise l’auditeur et faire naître en lui une certaine lassitude. Et c’est pour cela que la fin de l’album est moins intéressante. Car, on passe de la très moyenne et presque somnolente Lifting Shadows
Off a
Dream à cette piste qui, aussi splendide soit-elle, peine à captiver l’auditoire de par l’ennui que provoque le morceau précédent. Du moins, ça n’en reste pas moins le reflet de la pensée de votre serviteur, donc, prenez ce paragraphe avec des pincettes.
Il me semble nécessaire, avant de conclure, de rendre hommage à Kevin Moore en parlant du seul morceau qu’il aura intégralement composé pour le groupe qu’est Space Dye-Vest. Ce morceau est une ballade assez particulière car très sombre et dramatique. On a presque une sensation de malaise à l’écouter, et ce, en dépit du fait qu’elle soit captivante de par son immense beauté. Des notes de piano extrêmement mélancoliques, un passage plus sombre et la magie est lancée. On découvre un Labrie très intimiste et plus proche de l’auditeur que jamais. Une délicatesse de tous les instants qui fait de ce morceau un moment magique. Une perle noire.
Awake est clairement une réussite, succédant de façon honorable à l’album qui aura été responsable à lui seul du renouveau de tout un genre. Il a quelques défauts plus ou moins gênants, certes, mais l’ensemble reste cohérent, finement construit et extrêmement bien maîtrisé. Il reste assez unique dans leur discographie. C’est le seul album qui disposera d’une telle atmosphère et on ne peut que les remercier pour cela. Il reste à voir dans quelle direction le combo va se diriger à présent mais, où qu’il aille, nous le suivrons plus fidèlement que jamais.
Album intemporel, prog et heavy, classe et raffiné, une œuvre complète et maitrisée
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