Perdre un membre originel dans une entité artistique n’est jamais un instant simple à vivre, ni à gérer, qui plus est, lorsqu’il s’agit d’un électron moteur et principal artisan de la réussite et du glorieux passé de la-dite entité. On se souvient sans mal du fracas qui avait suivi l’éviction de
Tarja Turinen de
Nightwish, ou encore le choc du départ d’André Matos et ses compères du dieu
Angra. Ces artistes avaient grandi ensemble mais n’avaient pas réussi à garder une cohésion suffisante pour subvenir aux besoins non plus individuels des hommes et des femmes mais bien de la création dont ils étaient les auteurs.
Parfois par hypocrisie, autrement par des divergences musicales ou des tensions psychologiques devenant insurmontables, les changements de line-up considérés comme « insurmontables » ont montré à l’histoire que la volonté, l’envie et le dénouement de musiciens à la cause de leur art valaient parfois l’égo surdimensionné de quelconques « divas » se plaisant à se trouver sous le feu des projecteurs. Néanmoins, lorsque se fit l’annonce du départ de Mike Portnoy de feu
Dream Theater, à savoir le plus important groupe de metal progressif de la planète, les interrogations sont autrement plus nombreuses. Batteur, compositeur et accessoirement producteur sur dix albums, technicien ahurissant et respecté par la planète entière, Portnoy portait à lui seul l’âme d’un groupe dont le patronyme était un choix personnel, et dont les textes étaient majoritairement liés à sa propre vie et à ses expériences parfois dramatiques (décès, alcoolisme…).
Les raisons étant toujours aussi obscures et probablement plus complexes que ce qui nous fut déclaré (des problèmes d’emploi du temps contradictoires…insuffisant pour quitter et être viré de son propre bébé), et, suite à un épisode digne des heures les moins glorieuses de la télé-réalité pour mener des castings en vue de trouver le successeur du batteur, c’est un autre Mike qui fut engagé, Mangini, celui-ci, pour seconder le groupe. L’annonce en grandes pompes du renouveau de
Dream Theater ne tarda pas, malgré des shows moyens, marqués par un Mangini jouant à la « c’est moi qui ait la plus grosse » quelque peu puéril et peu engageant pour la suite. Le titre de ce onzième opus tomba comme un couperet et avec un timbre si pathétique de facilité que l’on ne pouvait que craindre le pire (« la dramatique tournure des événements »).
Mais faisons fi de toutes ces spéculations et écoutons nos oreilles et notre cœur lorsque résonnent ces neuf nouvelles compositions.
Parler de déception serait presque un pléonasme tant l’attente ne semblait pas insoutenable au vu des dispensables teasers qui affluèrent sur le net bien avant la sortie officielle du disque. Affublés du costume de bourreau dans la presse par
Jordan Rudess et Petrucci, ces derniers déclarèrent avoir, pour la première fois, travaillé en équipe pour un résultat personnel et intime.
Personnel en aucun cas…intime malheureusement…
Car nom d’un homme, il y a bien longtemps qu’une telle mollesse et un manque évident d’inspiration avaient frappé de plein fouet un disque du grand DT. Comme on pouvait si attendre avec le guitariste aux manettes, les compositions ont pris une tournure très mélodique, souvent affligeante de facilité et de niaiserie, pour sombrer dans un monde dégoulinant de sucreries, de douceurs et de chewing gum difficilement comestible et encore moins facilement digérable.
Traiter chacun des morceaux serait un exercice de style trop complexe, mais il convient de dire que si l’album n’est pas non plus avare de bonnes idées, on a trop souvent l’impression que les New-Yorkais se tirent une balle dans le pied, à peine un bon riff venant parcourir nos sens. Si "
On the Backs of Angels" est un condensé de tous les écueils du groupe compilés en neuf minutes (à savoir des riffs inexistants, des mélodies niaises, un Labrie exaspérant dans les aigües et des claviers inconsistants, sonnant plastique et nullement émotionnel), on pourrait voir en "
Lost on
Forgotten" des monstres prog comme avant, mais non… Si les riffs redeviennent bien plus heavy et écrasants comme Petrucci sait si bien le faire quand il le veut, c’est, et peut-être pour la première fois de sa carrière, Rudess qui gâche l’ensemble avec un manque de créativité très surprenant. Sonnant incroyablement synthétiques, ses arrangements sont la plupart du temps à côté de la plaque, et même ridicules, notamment lors de l’
Excellent solo de guitare qui parcourt ce titre fleuve. On regrettera également un vocaliste semblant faire peu d’efforts pour offrir des variations, Labrie chantant comme sur une ballade sur la quasi-totalité de l’album, quand sa voix n’est pas blindée d’effets qui, si sur "
Octavarium", collaient parfaitement à l’ambiance, ici dénaturent complètement l’atmosphère ("Build Me Up, Break Me
Down" et ses riffs passe-partout presque neo metal).
Globalement, on pensera évidemment à "
Octavarium" pour cette direction musicale très posée et pop, ce qui n’est fondamentalement pas un problème puisque ce huitième album était une totale réussite, rafraichissante et ayant renouvelé l’approche du groupe lorsque certains les voyaient se mordre la queue. Cependant, il y avait de l’émotion, de la créativité et un brin non négligeable de magie, fait indispensable lorsque la technique et la puissance ne sont plus les principaux moteurs. Ces éléments sont absents de "
A Dramatic Turn of Events". Si "This is the
Life" est clairement stérile et affolante de « dégoulineries », "Bridges in the Sky" est le parfait exemple de ce disque, démarrant de manière jouissive pour exaspérer plus loin. L’atmosphère ritualiste, sombre, presque malsaine de cette intro tibétaine, mystique, déboulant sur des chœurs divins, semblent enfin nous préparer à du très grand art. Quelques descentes de piano ne font qu’accentuer l’aspect sacré de l’introduction pour un résultat stupéfiant…puis un riff absolument dantesque, dans la veine d’un "The
Glass Prison", nous agresse viscéralement dans le plus pur des bonheurs. Il était temps !
Très lourd, le rythme nous démontre la versatilité et la technique instrumentale de Mangini, alors que James Labrie semble plus à l’aise sur ce type de composition plus sombre et clairement épique. Mais voilà…il fallait bien que quelque chose vienne rouer une si belle mécanique et c’est une nouvelle fois du côté de Rudess qu’il faudra se tourner, avec sa multitude de mélodies « pouet pouet » complètement anachroniques, brisant complètement l’atmosphère sombre de l’ensemble et étant à son paroxysme sur un solo complètement calqué sur le "A
Nightmare to Remember" de l’opus précédent, la surprise en moins. La reprise du refrain vers les neuf minutes tente bien de nous réconcilier mais il est encore une fois un peu tard…
"Breaking All Illusions" continue de nous abreuver de ses claviers si synthétiques et semblant tout droit sortie de la new-wave des années 80. Que de déceptions pour un musicien exceptionnel qui, même lorsque le groupe n’était pas à son top, surnageait au milieu (particulièrement sur le contrasté "
Systematic Chaos"). Morceau à tiroirs de douze minutes, il est aussi un bon exemple de la manière dont joue
John Petrucci sur la majorité du disque. A savoir, presque intégralement en lead, avec au final peu de réels riffs, et revenant à des soli lors des ponts musicaux. Dire, comme il fut dit dans les interviews, que le guitariste est moins démonstratif que par le passé est donc globalement faux…ou comment combler du vide avec des notes…
Car, même lorsque le groupe se fait plus créatif, il ne reste que l’ombre de lui-même (en parlant toujours de "Breaking All Illusions"), entre "
Sacrificed Sons", "
Octavarium" ou encore "Repentance", les tripes en moins.
Que l’on ne s’y trompe pas, le niveau technique est toujours exceptionnellement haut, l’album produit en béton armé et le packaging des plus soignés, même si on trouvera des réminiscences graphiques avec un "
Falling into Infinity" lui aussi bien moins créatif. Là où le groupe se fourvoie complètement, c’est dans cette fausse ambition, ces morceaux techniques mais âpres et sans saveur, comme une ancienne sucrerie que l’on se souvenait délicieuse mais que le temps a transformé en bonbon industriel et pâteux. Sans oublier des textes qui sentent malheureusement un mauvais goût trop prononcé, trop fataliste après une crise qui n'en est pas vraiment une, mais prenant des allures de mascarade.
"
A Dramatic Turn of Events", plus qu’une déception, est ici la preuve flagrante que le chemin à parcourir de « l’après Portnoy » s’annonce très long et semé de multiples embûches, là où certains groupes avaient tiré de leur split de véritables cures de jeunesse.
Un album dont on se souviendra pour son histoire plus que sa musique, et que certains s’amuseront à descendre ou encenser pour son contexte plus que son contenu. Pourtant, il faut avouer que
Dream Theater marque furieusement le pas, après un sublime dixième album. Ça n’empêchera probablement pas l’album de se vendre par palettes entières, mais il est parfois bon de savoir que, si l’on regarde autour de nous, nous trouverons des albums bien supérieurs à celui-ci…ayant le simple défaut de ne pas être flanqués d’un grand nom sur l’artwork. Mercantilisme quand tu nous tiens…
C'est bien dosé, les morceaux sont cohérents entre eux, et la technique est toujours de mise et rarement au détriment de la musicalité. Du bon prog, du bon Dream Theater. Certains passages me font vraiment planer... Et pourtant, et pourtant. A mon habitude, c'est avec de la musique bien plus intime, contemplative que je plane.
Après si certaines personnes trouvent que les mélodies sont niaises, et que LaBrie chante mal, c'est (à mon sens) que ce groupe n'est tout simplement pas fait pour eux.
Leurs albums les moins mélodiques sont ceux que j'apprécie le moins (je pense surtout à Train of Thought, et Systematic Chaos).
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