La perfection est une valeur abstraite que l'art, concept tout aussi flou, devrait en théorie ne jamais atteindre. Comment juger avec tout le recul nécessaire, une oeuvre que l'on élève ou que l'on rabaisse par le biais de notre subjectivité, quand elle est aussi complexe que ce
Temple of Shadows ? Certes, il serait prétentieux d'affirmer que le sans-faute que je crois apercevoir en cet album est universel. Néanmoins, c'est avec une conviction profonde que j'aimerai faire part de ma conception de cette oeuvre. En 2004,
Angra, après le convaincant
Rebirth, démontre l'étendue du talent de son nouveau line-up avec cet ultime album. Nommé folkloriquement
Temple of Shadows, ce joyau est immense, et
Angra y fait tenir tout son savoir-faire, tout son monde, toute sa volonté de le partager. Rarement un album fut aussi bien produit, immersif, technique, varié, riche et accrocheur. Je pourrais me contenter d'une analyse superficielle, mais pour une sortie aussi exceptionnelle, j'aimerai utiliser une méthode moins conventionnelle. Comment affirmer qu'
Angra est parvenu, avec cet album, à toucher la perfection, le sommet de l'inspiration, le summum de leur art ?
I-Un monde unique, aussi riche qu'immersif
1-Une production claire comme du cristal
La première chose qui frappe dans ce
Temple of Shadows, c'est la répartition exacte entre les différentes sonorités. Des arrangements symphoniques aussi raffinés, grandiloquents et personnels que ceux présents sur “No
Pain For
The Dead”, “
The Temple Of
Hate” ou l'instrumental “
Gate XIII” n'empiétant jamais sur les sublimes envolées vocales d'Edu (“
Waiting Silence”, “
Winds Of Destination”, “Sprouts Of Time”), eux-même ne couvrant pas les moments de bravoure offerts par la guitare et la batterie (“Angels
And Demons”, “
Waiting Silence”, “Spread Your
Fire”), ces derniers laissant à la basse toute la place qu'elle mérite.
2-Le monde d'
Angra sublimé
L'oeuvre prend la forme d'une grande fresque historique. Ses titres s'enchaînent de manière à montrer l'identité pure d'
Angra sans déstabiliser l'auditeur. Ainsi, des chansons aussi uniques et originales que “Late
Redemption”, “
Winds Of Destination”, “Sprouts Of Time”, que l'on retrouve en fin d'album, succèdent aux titres plus “conventionels” comme “Spread Your
Fire”, “Angels
And Demons” ou “
The Temple Of
Hate”. Ces derniers officient dans un speed-symphonique de qualité extrême auxquels
Angra a pu nous habituer, mais jamais à ce degré de réussite. Ainsi,
Temple of Shadows invite l'auditeur à se glisser dans les méandres de sa spécificité de manière progressive et minutée. Au fil de l'écoute, les arrangements symphoniques prennent de l'ampleur et les structures deviennent imprévisibles et innovantes.
Angra livre son monde avec classe et délicatesse.
3-Des passages folkloriques déroutants
De par son oeuvre,
Angra a voulu retranscrire une atmosphère exotique, aventureuse et épique. Aussi, des passages folkloriques aussi réussis que l'introduction de “Sprouts Of Time”, “Deus Le Volt”, “
Wishing Well” ou “
Gate XIII” permettent une immersion immédiate dans ce monde dont on ne sortira qu'à regret, peut-être avec la volonté d'y retourner immédiatement.
II-Une équipe concernée et impliquée
1-Un chant clair et polyvalent
Edu est époustouflant de personnalité. Officiant dans un registre aigu, sa voix claironnante enchaîne les moments de bravoure et l'écoute de passages vocaux aussi délicats que ceux présents sur “
Winds Of Destination”, “
Waiting Silence”, “Spreads Your
Fire” ou sur le pont de “Angels
And Demons” et aussi orientés vers les aigus prouvent son timbre exceptionnel. De plus, son chant peut se faire chaleureux (“The
Shadow Hunter”, “Sprout Of Time”), sincère et émouvant (“No
Pain For
The Dead”), tendu et agressif (“
Morning Star”).
2-Des musiciens d'une technicité rare
Kiko et Rafael, à la guitare, utilisent leur formidable niveau à bon escient et parent les titres de solos pouvant se montrer aussi impliqués et expressifs que le chant (“
Waiting Silence”, “
The Temple Of
Hate”)... La batterie se taille des breaks ultra-personnalisés en totale cohésion avec le reste, elle utilise parfois les cymbales comme des tomes (“
Winds Of Destination”), et use de la double-pédale sans surenchère. Elle montre un jeu très personnel et se montre polyvalente à souhait, faisant usage de contretemps surprenants de difficulté. Pour finir, elle officie aussi bien dans les passages speed que dans les parties lourdes, montrant à chaque morceau une facette différente de son jeu. Enfin, la basse, claire et audible donne une profondeur considérable à l'ensemble et se révèle forte utile pour les ballades et les airs à mid-tempo (“No
Pain For
The Dead”, “Sprouts Of Time”).
3-Des invités de marque attestant d'une qualité supérieure encore
Pour couronner le tout,
Angra s'est offert le service de plusieurs intervenants d'exception qui apportent leur touche experte à la musique. Hansi Kürsch (
Blind Guardian) pose son timbre si unique sur “
Wings Of Destination”, rendant son couplet percutant et son refrain atmosphérique. Sabine Edelsbacher (
Edenbridge) intervient sur “No
Pain For
The Dead”, transformant le refrain en un magnifique duo coloré et complice. On la retrouve également sur “Spreads Your
Fire”, où elle ne fera que poser la cerise sur le gâteau au niveau du refrain (déjà très prenant). Et enfin, Kai Hansen (
Gamma Ray) intervient sur “
The Temple Of
Hate” prêtant sa fougue vocale au couplet, le taillant pour le speed auquel il était déjà prédestiné.
III-Des compositions solides, variées, riches et personnelles.
1-Du
Angra de qualité extrême
Pour ne pas dépayser l'auditeur,
Angra compose la première partie de son chef-d'oeuvre par des titres speed-symphoniques bien spécifiques à la formation, si ce n'est qu'ils sont les plus aboutis que le reste des chansons conventionnelles des Brésiliens (bien sûr, ce n'est pas peu dire). Ainsi, “Spreads Your
Fire” détruit tout sur son passage par un rythme effréné et un jeu de grosse-caisse inépuisable, s'ensuivent les guitares, mélodiques et chirurgicales, son couplet, expéditif déroule le tapis rouge à ce qui deviendra l'un des refrains les plus marquants d'
Angra. “Angels
And Demons” et “
The Temple Of
Hate”se distinguent par leurs riffs tout aussi minutieux et font preuve d'une énergie et d'un optimisme rarement entendus, le tout arrosé de solos bluffants dont on devine le travail de composition qui a dû être énorme. Les deux titres enchaînent les riffs destructeurs, de quoi faire baver d'envie les formations minimes qui ne rêveraient que d'un seul de ces riffs pour composer une chanson qui les ferait rentrer dans l'histoire. “
Waiting Silence”, pour finir, montre un
Angra polyvalent et mélodique. Son riff en mid-tempo précède un des passages symphoniques les plus dévastateurs de l'album. Edu fait visiter à son timbre l'ensemble de sa palette lors du couplet, et le pré-refrain monte dans des aigus improbables, avant de nous livrer un refrain aussi naturel qu'addictif.
2-Des expériences passionnantes
Des titres comme “
Morning Star”,”Late
Redemption”, “The
Shadow Hunter” ou “
Winds Of Destination” apportent une touche inédite et spécifique, ils se montrent très intéressants à l'écoute, et passionnants à l'assimilation. Le premier s'ouvre sur une montée orchestrale, avant de retomber sur un couplet doux et posé, contrastant avec l'agressivité du pré-refrain, revenant sur un refrain tout simplement beau, sincère, bref, issue d'une inspiration directe, d'un élan de poésie qu'on aura laissé exploser. Le contraste agressivité-douceur se fera ressentir sur le reste de la chanson, les riffs menaçants, limite trash, précédant les solos optimistes et fougueux. “Late
Redemption” pousse l'expérimentation encore plus loin, son introduction nostalgique et solennelle laissant de plus en plus la place à ces montées en puissance orchestrales donnant un relief considérable à la musique, qui se montre alors variée et prenante. “
Winds Of Destination” s'ouvre sur un riff orchestral “apocalyptique” et transporte un refrain capable de nous faire pousser des ailes, avant de nous laisser nous reposer au sol tout doucement, par des airs de piano enchanteurs. Puis, le ciel réapparaît, et ces sublimes solos nous poussent en avant, envoûtés, l'ascension ne connaît pas de fin, enfin, le divin est touché par ces choeurs qui achèvent de nous faire traverser les nuages. Pour finir, “The
Shadow Hunter” alterne les passages à la guitare sèche avec les échanges vocaux entre Edu et les choeurs. Il se montre d'une difficulté d'assimilation rare mais saura rassasier l'auditeur avide de rebondissements et de changements de ton.
Conclusion :
L'analyse fut longue, et pourtant, rien n'a été dit. L'album est d'une telle richesse, d'une telle inspiration, d'une telle grandeur qu'il serait impossible d'en faire le tour. Il n'est que le résultat d'un élan d'inspiration considérable qui semble avoir touché la formation en cette année 2004. Il n'est que l'expression de l'art à l'état sublimé, la réelle identité d'
Angra. Jamais un album n'aura proposé un voyage aussi complet et coloré. L'écoute de ce
Temple of Shadows virtualise un paysage sonore ne semblant connaître aucune limite. Il est un monde infini que chaque écoute ne pourra qu'élargir.
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