Il y a des albums que l’on attend entre appréhension et crainte, dont on sait pertinemment qu’il sera pétri de qualités mais dont on est en droit de douter de la cohérence globale, du sens de l’œuvre dans son ensemble. Il y a ces albums qui font parler d’eux tant de temps avant leur sortie que l’attente devient parfois complexe à gérer, notamment lorsque la vie de l’artiste est autant au centre de l’attention, si ce n’est plus, que la musique elle-même.
C’est face à cela qu’
Angra fut confronté l’année passée, entre anniversaire d’un premier album culte, tournée mondiale, enregistrement d’un huitième album couronnant vingt ans de carrière et surtout interrogation autour d’un line-up plus remodelé que jamais.
Inutile de retracer la chronologie chaotique des Brésiliens concernant le personnel, tout le monde le connait. Et peu donnaient, cette fois, cher de la peau de l’ange de feu lorsque Edu Falashi annonça son départ suite à un "
Aqua" plus que moyen, rapidement suivi par Ricardo Confessori, pourtant fraîchement revenu, préférant se focaliser sur sa famille et ses proches. La fois de trop était peut-être arrivée et on voyait mal
Kiko Loureiro et Rafa
Bittencourt s’en relever, surtout si l’on prend en compte que la carrière solo du premier est de plus en plus importante et que le second a tenté un premier essai certes discret mais excellent, s’essayant même au chant pour l’occasion (
Bittencourt Project).
Pourtant, l’anniversaire des vingt ans d’"
Angels Cry" avançait à grands pas et, de l’aveu même de Kiko, il était impossible de ne rien faire, de ne pas fêter comme il se devait l’un des albums les plus marquants de power mélodique des années 90. S’il essaya, sans succès, de recontacter André Matos pour une tournée ensemble, le groupe fit appel à Fabio Lione, Italien engagé certes dans
Rhapsody of
Fire depuis des années mais adepte de poser sa voix partout où on l’accepte, autant par passion que pour laisser une trace à la postérité. Un (très) jeune nouveau batteur, Bruno Valverde, compléta le line-up et il était évident que ce n’était que l’histoire de quelques concerts…et pourtant…
Rapidement, les concerts se multiplièrent. Les deux guitaristes commencèrent à retravailler ensemble sur de nouvelles compositions et Fabio fut officiellement intronisé nouveau chanteur d’
Angra. Les questions se multiplièrent. Etait-ce temporaire ? Comment mener de front deux groupes aussi importants ? (quoique le
Rhapsody de Staropoli se fait bien discret). Et surtout, comment allait-il conserver la personnalité du groupe avec une voix si reconnaissable et affiliée au power hollywoodien bien loin de la délicatesse et de la technique d’
Angra ?
La réponse se tient entre vos mains (ou dans votre fichier mp3, c’est selon) et se nomme "
Secret Garden".
Concept ambitieux traitant de l’existence et du concept même de la vie (est-ce que l’on vit car l’on ressent ? Quelque chose que l’on ne ressent pas dispose-t-il de la vie ? A l’inverse, ce que l’on ressent est-il forcément vivant ? Nos émotions ne trahissent-elles pas notre vision du monde ?) rappelant à certains égards, autant conceptuellement que musicalement, le grandiose "
Aurora Consurgens", "
Secret Garden" se pose directement comme son successeur légitime, tentant de faire oublier comme il se doit un "
Aqua" bien terne.
Pour cela,
Angra s’est de nouveau déplacé en Europe (comme il l’avait fait pour "
Temple of Shadows" et "
Aurora Consurgens", à l’inverse d’"
Aqua" qui fut enregistré au Brésil) et s’est adjoint les services de Roy Z dans un premier temps, puis de Jens Bogren pour le mixage et la production pour proposer un rendu bien plus moderne, lourd et massif qu’auparavant. Le premier extrait, "
Newborn Me" (après "
Nova Era"…) le démontre aisément puisque dès l’introduction passée, c’est un véritable mur sonore que l’on se prend en plein visage, tout en gardant la finesse habituelle des Brésiliens. Bruno Valverde, qui avait impressionné lors des concerts l’année dernière, éclabousse de son talent ce premier titre par son jeu si particulier et asymétrique, jouant beaucoup des percussions typiquement sud-américaines pour apporter une chaleur supplémentaire au mix, un aspect plus organique. Les riffs sont percutants, la ligne de basse de Felipe Andreoli un nouveau délice de technique mais, surtout, la voix de Fabio s’intègre impeccablement à l’ensemble, si bien qu’après quelques écoutes, nous avons presque la sensation qu’il fut toujours chanteur du combo. Le break permet de faire parler la poudre sur des accélérations de Kiko et Rafael et démontre que Bruno, outre le fait d’être un poulpe, peut également être un cogneur adepte de double pédale. Bref, la personnalité d’
Angra est toujours là et les Brésiliens démontrent une fois de plus qu’ils savent débuter leurs albums.
Ensuite, les dires de Kiko rapportés du précédent Hellfest s’avèrent exacts puisque jamais
Angra n’aura sonné aussi moderne et lourd que sur certaines compositions. Évidemment, le très surprenant "Violet Sky" est un électrochoc tant nous n’étions que peu habitués à un riff aussi massif et écrasant. Rafa, qui prend sur cet album beaucoup d’initiatives vocales, mène la danse par son timbre plus rauque et sombre avant de présenter un refrain relativement dark. Les couplets se font très subtils, entre arpèges étranges, multiples rythmes de batterie à s’en tordre les oreilles tout en conservant une latence, une énergie sourde, une menace planante.
Angra ne fait plus rêver, c’est une certitude. Il est devenu un prédateur presque hostile, se cachant dans l’ombre. Pourtant, sa grâce et sa délicatesse n’est jamais loin comme en témoignent les chœurs chantés en latin sur un solo d’une beauté effarante. Il en va de même pour "Final Light", tout aussi sombre dont le riff n’est pas sans évoquer un "Pau-de-Arara" (sur "
No Gravity", de Kiko) aux percussions bien plus tribales sur lesquelles se mêlent des expérimentations électroniques des plus étranges, mais toujours avec bon goût, talent et créativité (ne craignez pas qu’
Angra soit devenu
Meshuggah). La ligne de basse, massive à souhait, vient appuyer la voix chaude de Fabio, impérial dans ses envolées.
Néanmoins, le
Angra speed et véloce que nous connaissons n’a pas complètement disparu et si "
Secret Garden" est expérimental à de nombreux égards (comme "
Aurora Consurgens" en son temps), "Black Hearted Soul" vient remettre les pendules à l’heure. Si les chœurs gothiques d’introduction évoqueront sensiblement
Rhapsody, c’est plutôt du côté de "The
Voice Commanding You" que la mélodie tire son influence. Les guitaristes rappellent à tous qu’ils sont toujours parmi les plus rapides fines gâchettes de la planète et abreuvent le titre d’une technique ahurissante, particulièrement sur le break qui s’ouvre sur un riff sec et agressif faisant plaisir à entendre (on se croirait presque sur "
Temple of
Hate"). Idem concernant un "Perfect
Symmetry" nous rappelant les heures de gloire du combo qui, avec nostalgie mais un regard tourné vers le futur, livre une petite perle de speed metal comme il est de plus en plus difficile à en faire. Les orchestrations évoquent les débuts du groupe, Fabio se sent clairement dans son élément et les notes affluent de toutes parts avec une élégance dont seuls eux sont capables.
Mais s’il faut noter un point important différenciant "
Secret Garden" de ses prédécesseurs, c’est bien dans sa multiplicité vocale et la présence de guests sur lesquels
Angra fut très discret afin de voir l’album comme une entité indépendante et non une somme de vocalistes. Car, si Fabio est le chanteur principal, Rafa intervient sur presque la moitié des titres, chantant parfois seul ("Violet Sky", la ballade acoustique "
Silent Call"), en duo avec Fabio (le premier clip "Storm of Emotions") ou encore, plus surprenant, en duo avec un intervenant extérieur. Difficile de savoir si laisser parfois Fabio de côté est un choix purement artistique ou une manière de progressivement laisser le chant à Rafa, mais le résultat se révèle être un "Crushing Room" sublime. En duo avec
Doro Pesch, le morceau s’ouvre d’abord sur un riff direct et puissant avant de s’enfoncer dans une mélancolie où les deux voix se mêlent dans une émotion palpable. Le piano se fait oppressant, la basse en tapping étouffante avant que Rafa et
Doro ne s’élèvent ensemble, liant leurs timbres de manière absolument magique et charnelle, toujours partagé entre cette puissance pouvant survenir de toutes parts, cette mélancolie vocale et surtout cette oppression provenant de la basse et du piano. Oui,
Angra n’est plus rêveur et n’a probablement jamais été aussi noir, mais quel résultat nous livrent les Brésiliens avec ce titre (à l’image, peut-être, de ce que Shaaman fit avec "
Reason" il y a dix ans…). Quant au solo, très technique et désorganisé, il évoque dans sa structure (ou son absence de structure ?) le fameux "Passing By" d’"
Aurora Consurgens". En revanche, le titre éponyme, uniquement chanté par Simone Simons, trouvera moins d’adhésion dans sa trop grande ressemblance à
Epica justement, dans un exercice de ballade symphonique où
Angra n’excelle malheureusement pas.
"
Secret Garden" surprend et ne fera certainement pas l’unanimité. Il est un album risqué, intervenant à une période délicate du groupe où certains auraient préféré jouer une certaine sécurité, voire paresse créative, pour s’allouer les faveurs des fans. Il n’en est rien ici puisque les Brésiliens repoussent toutes leurs limites pour accoucher de leur album le plus expérimental et probablement le plus difficile d’accès. Certains y verront alors l’album final d’une carrière très riche ou au contraire un groupe sans repères ne sachant plus vers quel saint se tourner. Pour ma part, je ne regretterais qu’une malheureuse absence de tubes immédiats, de titres taillés pour le live capables de rallier directement une assistance, de faire trembler les murs, comme
Angra fut capable de le faire pour la période Matos ou sur "
Temple of Shadows", étant à la fois créatif, puissant, original et pétri d’hymnes (car "
Aurora Consurgens" ou "
Fireworks", lui aussi différent, ne sont presque jamais représentés en live). "
Secret Garden" est un album que l’on écoutera et ressortira pour vivre une expérience différente, avec concentration et attention. Le sort d’un tel album est sans doute d’être rapidement oublié par les fans qui préfèreront les classiques intemporels ou les opus plus directs, malgré toutes ses qualités intrinsèques. L’effort est immense mais seule l’histoire nous dira l’accueil que recevra ce huitième disque.
Et bien voilà, c'est justement ça le problème, on aurait pu simplement envoyé un message en privé à l'auteur de la chro au lieu de donner des cours de français dans les commentaires qui sont là pour débattre de l'album, donner son avis sur l'album et sur la valeur de la chro au lieu de polluer ceux-ci avec des commentaires qui n'ont d'autres utilités que de montrer à quel point certains sont...
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