Il y a des défis que les artistes ont cœur à affronter pour prouver et démontrer qu’ils sont dans le droit chemin, que leur démarche est légitime et qu’elle peut, de plus, être couronnée de succès.
Tobias Sammet avoue désormais que son besoin compulsif de prouver que l’on pouvait enregistrer un album entièrement analogique, sans recours au numérique, sans avoir à passer par une modernité aplatissant le son et offrir une tonalité organique à l’ensemble, était la seule voie possible pour créer un bon album mais également une démarche un peu trop forcée, et donc peu naturelle dans le processus de composition et d’enregistrement.
C’est cependant avec une équipe inchangée, composée d’un des line-up les plus stables jamais vus dans le metal (aucun changement depuis 1998) et de l’inséparable producteur Sascha Paeth, qu’
Edguy revient, avec un dixième album, prêt à tout ravager sur son passage.
On se souvient du
Edguy insouciant, pétri de talent mais jamais arrogant des débuts, enfilant comme des perles les chefs-d’œuvre que sont "
Vain Glory Opera", "
Theater of Salvation", "
Mandrake" puis le parfait "
Hellfire Club" qui termina de mettre le monde à ses pieds. Puis, vint le temps du changement, d’une certaine lassitude du power speed traditionnel (dans une optique similaire à
Sonata Arctica et le besoin d’espace de Tony Kakko). Tobias décida d’inclure d’autres éléments, de ne plus se borner à une unique étiquette, si maîtrisée et parfaite soit-elle. "
Rocket Ride" fut le premier pas dans cette direction, ancré dans une grande hétérogénéité mais une qualité d’écriture intacte. Ce qui ne fut pas complètement le cas sur "
Tinnitus Sanctus" et "
Age of the Joker" qui, malgré des idées toujours grandioses et des titres intéressants, perdirent certains fans ne retrouvant plus le
Edguy d’antan. La même chose arriva avec
Avantasia mais Tobias, tête pensante des deux projets, n’en fit rien et continua dans cette veine. Pourtant, pour son dixième album, il semble qu’
Edguy ait appris de ses (relatives) erreurs et veuille redonner un coup de pied à sa carrière, en mariant enfin les différentes facettes du son qu’il a façonné durant vingt-deux ans. Ainsi, il n’est pas exagéré de dire que le tant attendu "Space Police – Defenders of the
Crown", est la plus grande réussite de Tobias depuis dix ans.
Il y a déjà ce double titre, indiquant un besoin de démesure, de prouver au monde qu’ils ne feront définitivement rien comme les autres. Il y aussi cet artwork si étrange qu’il en devient au choix laid ou alors complètement fun, démontrant là encore que la meilleure façon de faire parler de soi est de créer la surprise, qu’elle soit bonne ou mauvaise, plutôt que d’empiler du gore ou de la violence ne choquant finalement plus personne. Et enfin, l’extrait dévoilé en avant-première acheva de laisser sous-entendre que le grand
Edguy était bel et bien de retour.
"
Sabre &
Torch", s’inscrivant rapidement dans la suite spirituelle de "
Mysteria", détruit tout sur son passage et dévoile des Allemands que l’on n’avait pas entendus si belliqueux depuis belle lurette. Le riff de Jens Ludwig et Dirk Sauer est monstrueux de puissance, Felix a retrouvé un jeu plus technique et varié qui avait fait tant de miracles au début des années 2000 alors que Tobias crie comme il l’avait fait sur le génial "
Hellfire Club" ! A cette puissance s’ajoute un texte vénéneux sur la peur du changement, ou au contraire le changement par pure vénalité. Le refrain, amené à détruire les planches, évoque le "The
Trooper" d’une légende, statut qu’
Edguy va finir par acquérir à force de travail. Le break est haché par ce riff toujours aussi terrible, la basse de Tobias
Excel n’avait, elle non plus, pas été aussi affutée depuis des années et il faut, de ce fait, saluer l’énorme travail sur la production, destructrice mais toujours vivante et vibrante. Une mise en bouche jouissive, qui ne fait qu’ouvrir l’album le plus impertinent de la carrière de Tobias, osant des mariages, entreprenant de mélanger des saveurs nouvelles et non plus, comme il l’avait fait précédemment, de simplement jouer différents styles dans des morceaux séparés (notamment d’inclure les notes humoristiques sur des titres courts tels que "Trinidad" ou "Aren’t You a Little Pervers Too").
"Space Police" est ainsi la fusion d’un power metal puissant et de sonorités futuristes qui évoquera inévitablement Mars
Attack. Tobias s’y fait plus calme et posé, le riff est simple mais diablement efficace, Felix multiplie les petites fantaisies et le groupe s’amuse à placer des samples un peu partout, jusqu’à un refrain épique et majestueux, présentant cette fameuse police de l’espace arrêtant ceux qui sortent des sentiers battus. Une fois encore, le break est une mine d’or créative, spatiale dans l’esprit, Toby jouant de son organe pour offrir un aspect loufoque faisant d’
Edguy un groupe si unique.
Chaque titre mériterait presque l’on s’attarde dessus tant ils regorgent de détails. L’autre titre track, "Defenders of the
Crown", renoue avec un speed metal mélodique nous ramenant directement à "
Theater of Salvation" ("
Babylon" ou le titre track particulièrement, qui l’eut cru !), surtout concernant le chant et le refrain, Tobias renouant là encore avec un refrain très épique bardé de chœurs et surtout des hurlements suraigus que l’on ne lui pensait simplement plus capable de réaliser ! Le morceau déborde d’énergie et de fulgurance, tel un chœur placé à un endroit inattendu, un riff se doublant sans qu’on ne le voie venir, un pattern de batterie plus rapide ou encore un solo de Jens qui, toujours aussi inimitable, démontre que la technique n’est pas une fin pour créer des soli uniques et reconnaissables entre mille. Ce même Jens, plus investi dans la composition cette fois-ci, est à l’origine du très rapide "Shadows Eaters", rappelant là encore l’âge d’or des Allemands, eux qui n’ont pourtant pas beaucoup plus de trente-cinq ans !
Un Jens qui s’est même pris de gueule avec Tobias sur le très élégant "Do Me Like a Caveman", lui qui a écrit le riff central et la progression du thème au clavier mais qui aurait souhaité une orientation plus moderne de sa compo, tandis que Tobias créa finalement un feeling très rock'n’roll dans sa partie vocale, dépourvue d’agressivité. Il n’en reste pas moins une superbe composition, du genre à rendre optimiste un dépressif. Difficile d’éviter également "The Realms of
Baba Yaga", sûrement le titre le plus abouti de Tobias dans l’exercice du hard rock. Le riff joue sur une vitesse trop souvent laissée de côté sur ce genre de morceau, la mélodie est fine et surtout Tobias parvient à nous emmener sur les territoires de cette déesse slave qui a hanté ses jeunes années. Le refrain est superbement chanté, notamment lorsqu’il laisse sa voix aller dans des recoins pas toujours complètement maitrisés mais naturels. Le vocaliste avoue également que le solo de Jens est son préféré de tous ceux que son compagnon a pu proposer. "
Love Tyger", lui aussi plus hard, fait très bien son travail de single, simple et catchy, il permet de faire respirer l’album grâce à sa fraîcheur plus que son originalité, à l’inverse du très aventureux "
The Eternal Wayfarer", clôturant l’album. Étrange union entre "The Pharaoh", "
Fire on the Downline" et "The Scarecrow" (il faisait partie des titres en chantier à cette période-là), il synthétise avec intelligence l’album dans son ensemble. Des claviers rétro, un riff en acier, des accents parfois orientaux, un refrain très épique et un pont (à trois minutes) écrasant en béton avant l’introduction des soli. Tobias explique d’ailleurs que le titre a beaucoup changé lors de sa création, expliquant son caractère progressif.
Tout juste faut-il tout de même évoquer la reprise audacieuse de Falco, "Rock Me
Amadeus", risquée car si éloignée de leur répertoire, mais prenant finalement la place d’un hymne au moment d’un refrain qui pourra faire fureur en Pologne et en Allemagne. On regrettera, en revanche, un dispensable "Alone in Myself", démontrant que Tobias et les ballades ne sont plus aussi proches qu’autrefois (cette réminiscence de
Bon Jovi toujours…), qu’on regretterait presque que ce ne soit pas "Aychim in
Hysteria", où
Def Leppard est certes prédominant mais offre une vision finalement rare de Tobias, plus synthétique et débordante d’émotions.
Cependant, ne boudons pas notre plaisir et accueillons comme il se doit le meilleur album de power metal du début de l’année et, comme dit précédemment, le meilleur de Tobias depuis "
Hellfire Club". Le génial lutin allemand retrouve ses premières amours et, sans doute plus qu’il ne l’admet, montre qu’il n’a pas été insensible à certains reproches qu’on a pu lui faire par le passé. Une jolie preuve d’intelligence, tout en restant intègre et intransigeant sur la qualité et la gestion de son bébé. Faut-il également ajouter que la version limitée booklet est magnifique, peuplée de dizaines de photos (plus de 130 exactement) et de notes sur la création de l’album, les textes et l’enregistrement ?
Que les amoureux du metal mélodique n’hésitent plus, votre nouvel album de chevet est arrivé et risque d’être difficile à détrôner dans les mois à venir…
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