Rotting Christ ne sont pas vraiment ce qu’on peut appeler des lapins de trois semaines, et cela fait maintenant près de 30 ans que le groupe s’est formé à Athènes sous l’impulsion des frères Tolis. Après un très bon
Kata Ton Daimona Eaytoy en 2013 et un live monumental l’an passé, les Grecs nous reviennent pour leur douzième full length,
Rituals, proposant un concept album soigné puisque les dix titres de cette nouvelle livraison immortalisent chacun un rituel occulte de contrées et d’époques différentes.
Le groupe n’a rien voulu laisser au hasard, confiant le son, énorme, puissant et limpide à Jens Bogren, et faisant appel à de nombreux invités pour rendre leur propos plus cohérent et l’immersion plus totale : ainsi, les voix et les langues se multiplient pour un tour d’horizon des croyances occultes sacrément authentique et bien rendu.
Ce côté ritualiste très prononcé nous frappe d’entrée, sur un
In Nomine Dei Nostri aux vocaux incantatoires et rudes de
Magus (
Necromantia), laissant bientôt place à ces riffs sombres, cette rythmique furieuse et implacable, ces notes mystiques qui planent et qui créent une ambiance ésotérique palpable. On reconnaît
Rotting Christ immédiatement, très martial dans le tempo, hypnotique dans ses harmoniques et usant toujours de ce sens de la mélodie intemporelle magnifiquement mise en musique en milieu de morceau, avec ce refrain scandé et ce chorus de guitare lumineux qui vient rompre la brutalité assommante de la batterie.
On remarquera d’emblée que Themis joue un rôle essentiel sur ce nouvel album, imprimant un rythme marqué et tribal sur certaines compos (
In Nomine Dei Nostri, Apage Satana, avec ce pattern roulant, païen et martial qui évoque une transe sauvage et incontrôlable), renforçant ainsi l’aspect cérémoniel de l’ensemble.
A côté de ces déflagrations, on a des titres plus lourds et lents sur lesquels la double pédale relaie la grosse caisse, imposant une ambiance plus sombre et mystérieuse et moins directement sauvage : Ze Nigmar, d’une lourdeur phénoménale et rampante, avec ces vocaux graves et sentencieux et ces chœurs liturgiques, renvoie aux dunes brûlantes des pays arabes, tandis que Devadevem, habité par une spiritualité palpable, avec ces guitares traînantes aux accents inquiétants, ce low tempo lénifiant qui se noie dans la fumée de l’encens, ces discrets accords de sitar, la voix nasillarde de Kathir (
Rudra) qui rappelle les psalmodies hindouistes ainsi que ces chuchotements mystérieux, semble initier quelque incantation ancestrale dans un vieux temple oublié d’une Inde millénaire.
On distinguera deux autres titres, le monumental Elthe Kyrie, parmi les titres les plus rapides et efficaces de
Rotting Christ, avec la prestation saisissante d’une Danai Katsameni totalement possédée, cette montée en puissance irrésistible où les grattes se font plus grondantes et saccadées et la voix de l’actrice en transe au bord de la rupture, précédant ce refrain sublime hurlé par Sakis et soutenu par ces guitares en état de grâce ; et Les Litanies de
Satan, incantation génialissime de Baudelaire interprétée par un Vorph habité à la voix grave et expressive, clamant les fameux vers sur une instrumentation simple et puissante aussi directe que tortueuse dans sa beauté vénéneuse.
Evidemment, le groupe a apporté un soin particulier aux ambiances, et si le tout peut paraître assez massif et assommant au premier abord, tellement les rythmiques tapageuses et les riffs saccadés de certains morceaux s’imposent, les dix compos qui composent
Rituals regorgent d’arrangements subtils et foisonnent d’une richesse musicale insoupçonnée (la narration soignée de Nick Holmes sur For A
Voice Like
Thunder, l’intervention du sitar sur Devaderam, ce qui ressemble à de la vielle ou du biniou sur le refrain de
Thou Thanatou et, d’une manière générale, ces quelques notes évanescentes et discrètes - de clavier? -, ajoutant une profondeur abyssale à l’ensemble). On soulignera notamment le travail magistral effectué sur les différents vocaux, tour à tour scandés, déclamés, hurlés, chuchotés ou psalmodiés, ainsi que les très nombreux chœurs qui renforcent l’aura spirituelle et ésotérique de ces 49 minutes décidément très inspirées.
Alors, aurions-nous donc là le chef d’œuvre de
Rotting Christ ?
Pas tout à fait. En fait, on ne pourra pas nier une certaine redondance, tant dans les rythmiques que dans les parties de guitare, et s’il n’y a réellement aucun titre faible sur la galette, on éprouve souvent une impression de déjà entendu le long de l’album avec certains titres qui se ressemblent beaucoup.
En fait, on constate que la cohérence sans faille du concept, qui est une plus-value indéniable de l’album, constitue aussi finalement son principal point faible,
Rotting Christ s’enfermant dans des schémas de composition trop similaires et prévisibles qui peuvent finir par lasser (le côté scandé mis en avant par la combinaison grosse caisse /riffs saccadés bourdonnant à toute blinde, ou au contraire, le mid tempo aux gros riffs monolithiques appuyés par la double, les deux facettes complémentaires de ce
Rituals qui incarnent deux étapes essentielles de la dévotion religieuse).
Néanmoins, en ce qui me concerne, cette nouvelle réalisation de la formation grecque, dans la continuité de
Kata Ton Daimona Eaytoy, fait incontestablement partie des plus belles réussites du combo, nous montrant un groupe inspiré gagné par un regain d’agressivité bienvenu sans pour autant se déparer de sa subtilité musicale et de son art de la mélodie imparable.
Allons, inutile de résister, agenouillez-vous mes frères, et prosternez-vous devant l’avènement du Christ Pourrissant…
Pour rejoindre Ziidjan, oui l'album semble s'affadir, mais c'est parce que le côté brutal laisse plus place à une ambiance sombre et particulière, mais ça n'en fait pas un moins bon album, bien au contraire. La force de cet album est de nous évader dans ses ténèbres. Il a une unité solide de bout en bout. A l'image d'Aealo je dirai, on aimera ces deux albums pour les mêmes raisons, son ambiance et ses compositions parfois minimalistes mais efficaces.
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