Satyricon est un groupe qu’on ne présente plus, et qui n’a plus rien à prouver à personne. Actif depuis maintenant vingt-cinq ans, ayant contribué à créer ce son norvégien si typique du début des années 90 au côté d’autres légendes telles
Darkthrone,
Gorgoroth,
Enslaved,
Ulver ou
Mayhem, le duo d’Oslo ne s’est jamais enfermé dans un carcan, et a toujours su évoluer au fil des albums, Satyr suivant ses envies au gré de ses humeurs et de ses inspirations.
Après une première trilogie culte axée sur un black à la fois atmosphérique, cru et glacial aux forts relents païens, et un
Rebel Extravaganza incandescent et explosif aux relents indus qui annonçait déjà la nouvelle direction musicale du groupe, la paire maudite prend un virage à 180°, sortant un
Volcano plus lourd, froid et mécanique. C’est le début de la mue de la bête, comme nous le montre le serpent qui orne la pochette, changement qui sera définitivement assumé sur le surprenant
Now, Diabolical de 2006, présentant un metal lourd, rampant et hypnotique assez easy listening n’ayant plus grand-chose à voir avec le black metal.
C’est un fait,
Satyricon a changé, et il va falloir faire avec. C’est donc sur un double CD live/DVD avec les prestigieux chœurs de l’opéra norvégien que Satyr a décidé d’immortaliser ses nouvelles ambitions plus symphoniques et grand public, déjà parcimonieusement présentes sur certains titres des albums les plus récents, et c’est le 8 septembre 2013, que le frontman réalisera un de ses vieux rêves, jouant avec son groupe de black à l’opéra d’Oslo devant un parterre de fans conquis.
Les passéistes qui ne jurent que par le triptyque
Dark Medieval Times,
The Shadowthrone et
Nemesis Divina et qui n’ont jamais digéré l’évolution du groupe en seront pour leurs frais, le duo délaissant complètement son ancien répertoire, uniquement représenté par l’intemporel
Mother North, qui se doit de figurer dans tout live de
Satyricon qui se respecte : le morceau, intervenant à la fin de la setlist, est d’ailleurs splendide, plein d’une puissance et d’une majesté que le live amplifie, les parties de gratte étant jouées à la perfection dans une version assez fidèle à l’originale, avec un son titanesque et des breaks ponctués de chœurs légers et évanescents qui confèrent une aura presque sacrée à cette pièce d’anthologie.
Ceci dit, à part cet indispensable, on ne trouve qu’un seul morceau de la période pré
Now, Diabolical, le remuant Repined
Bastard Nation sur lequel la dimension orchestrale intensifie le coté belliqueux de l’original : si sur
Volcano, le morceau est assez groovy et entraînant, la version live est plus puissante et oppressante, avec ces chœurs scandés et menaçants qui viennent rythmer le refrain et ajouter une dimension plus spirituelle lors des breaks (la fin est particulièrement réussie, avec ce mélange de blasts et de chant lyrique). C’est donc sans surprise que la facette la plus récente du groupe prédomine, avec quatre titres de Now
Diabolical, et surtout le dernier album éponyme, très largement représenté, avec pas moins de six titres. Tous ceux qui ont apprécié cet opus savent donc à quoi s’en tenir : une musique sombre, lente, froide, envoûtante, mêlant finesse et puissance pour un résultat aussi pesant qu’aérien.
Ceci dit, d’une manière générale, le côté intimiste et mélancolique de ces morceaux s’efface au profit d’une aura plus solennelle et grandiloquente : les mid tempi, très largement majoritaires, amplifiés par un son surpuissant, et une batterie mate, se font plombés et imparables là où parfois les versions studio pouvaient sembler un peu molles (écoutez la double pédale sur Now
Diabolical, ou sur la partie centrale de To the Mountains, vraiment écrasante !).
Evidemment les Choeurs de l’Opéra Norvégien y sont pour beaucoup, conférant un aspect quasiment symphonique à l’ensemble, qui vient rajouter une lourdeur impérieuse et écrasante et un sentiment de majesté qui n’est pas sans rappeler
Hollenthon ou Septic
Flesh par moments. Le son étant titanesque et la prestation des zicos au poil (la voix de Satyr est parfaitement agressive, rauque et puissante, il n’hésite d’ailleurs pas à héler le public de ces hey, hey ! sonores), on se retrouve avec des versions live assez proches des originales, mais dans des versions plus prenantes et intenses, magnifiés par le talent des choristes. A ce propos, les quelques passages réellement violents mêlant blasts, riffs black rapides et choeurs (un peu rares à mon goût, la faute à une set list majoritairement calme) sont vraiment terrassants, grondant en une apocalypse sonore aussi sombre qu’impétueuse qui dégage autant de beauté que de rage (le début de
Die by My
Hand,
Mother North).
Lors de rares passages plus dépouillés,
Satyricon délaisse l’aspect metallique pour laisser la part belle aux choeurs (le pont central de The
Infinity of Time and Space, assez planant, la fin de ce même morceau à l’aura quasi religieuse, le break de Tro og
Kraft, dès 4,30 minutes, le break central de Den Siste, uniquement soutenu par les poussées vocales des choristes, la double de
Frost*********** et les claquements de main du public, le début de
The Pentagram Burns), créant une sorte de spiritualité intemporelle et un peu magique. Ben oui, c’est con à dire, mais les choristes d’un opéra national, ça sait chanter, et pas qu’un peu, et le mélange de ces harmonies vocales nous emporte dans des contrées lointaines que, quoi qu’on en dise et malgré le manque de violence qu’on leur reproche parfois, les morceaux du dernier album éponyme dessine à merveille, avec une sensibilité musicale assez bluffante ( The
Infinity of Time and Space, Tro og
Kraft et The
Phoenix). D’ailleurs on retrouve même cette ambiance feutrée d’opéra jusque dans les réactions du public, enthousiaste et bien présent, mais semblant adapter ses réactions à la magie du lieu (pas de beuglement aviné ou de cris hystérique ici, plus le genre d’applaudissements nourris et de hourras qui accompagnent la fin d’un acte au théâtre).
Encore une fois donc,
Satyricon réussit son pari. Ce live ne s’adresse clairement pas aux enragés de violence et de vitesse, et il risque de décevoir les amateurs de la première période du groupe, le duo semblant vouloir tirer un trait sur son passé et aller de l’avant ; ceci dit, le coté grandiose, majestueux et presque épique ainsi que la puissance qui se dégagent de ces 93 minutes en font une expérience musicale très prenante et une réussite artistique indéniable, une de plus dans la longue carrière d’un groupe qui n’a jamais cessé d’évoluer et de se remettre en question. Non décidément,
Satyricon ne ressemble à personne d’autre, et c’est tant mieux.
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