Est-il encore besoin de présenter
Sigh? Cela fait plus de vingt ans maintenant qu'ils exportent leur metal nippon étrange. A la fois pionnier du black et de l'avant-garde, ils ont étalé sur toutes ces années une discographie garnie de huit albums bien différents les uns des autres, mais dont l'une des caractéristiques est une qualité toujours appréciable. Ils sont en effet l'auteur de l'album culte et sombre "
Scorn Defeat", à l'origine signé sur le mythique label
Deathlike Silence Productions. Et à côté de ça ils nous ont aussi servi les déroutants "Scenario IV : Dread Dreams" et "
Imaginary Sonicscape", aussi jouissifs qu'originaux. Après le petit saut jazzy de "
Gallows Gallery", bien loin du black metal de leurs débuts, ils avaient opté pour un retour en force deux ans plus tard à un son plus sombre, plus brutal, survolté et grotesque. Rebelote en 2010, avec "
Scenes from Hell", assez similaire à l'opus précédent. Le groupe s'étant depuis fait la malle chez Candlelight, il était difficile de savoir à quoi s'attendre avec "
In Somniphobia", comme d'habitude, avec ces imprévisibles de
Sigh.
Nous y voilà donc, à quelques semaines de la sortie de ce dernier bébé. C'est empli d'espoir que j'insère le cd dans mon lecteur, car l'annonce par le label de la prise d'une nouvelle direction pour le groupe avait tout pour me réchauffer le coeur : ils avaient parlé de quelque chose entre "
Gallows Gallery", "
Hail Horror Hail", et "
Imaginary Sonicscape", le dernier cité étant une de mes références absolues tout genres musicaux confondus, j'avais de quoi me lécher les babines, si ça n'était pas un mensonge marketing. Hélas, c'est une légère déception qui m'envahit tout d'abord, car le départ sur les chapeaux de roue du titre "
Purgatorium" ne marque pas de scission réelle avec les deux derniers méfaits de
Sigh. Au-dessus d'un batteur hyperactif, le couple Mirai-Mika s'écorche la voix sur des riffs motivants et carrément heavy metal, le tout saupoudré de cuivres pour une saveur symphonique/avant-garde. En soi rien d'innovant par rapport au passé. Certes, le son a gagné en netteté, et c'est aussi bon qu'avant, voire mieux, car les grattes ne manquent pas d'inspiration, et les transitions semblent mieux maîtrisées, comme si le groupe prenait son aise dans leur son récent. Mais tandis que les propos mensongers du label me trottent dans la tête ("une direction loin des deux derniers albums"), je guette les nouveautés. Tout à mes élucubrations, je suis pris de cours par les tambours tribaux qui lancent le second titre "The Transfiguration". Et ces claviers, là, et ces chants clairs, mais? Ah ouais, pour une nouvelle direction, c'en est une...
Oui, oui,
Sigh s'est renouvelé! Ca se confirme dès ce deuxième morceau qui, tout en gardant la nervosité omniprésente des deux derniers albums, y incorpore une ambiance toute "imaginarysonicscapienne", avec le retour en force des claviers psychédéliques qui avaient fait la gloire de cet album à la pochette verte. On est vraiment ravi de voir qu'ils osent à nouveau insérer des éléments tellement inhabituels dans leur son, qu'ils suscitent presque le rire de l'auditeur, notamment la virtuosité de Mlle Mikannibal au saxophone, qui fait enfin étalage de son talent sans s'écarter de la logique de l'album. On la retrouvera donc sur de nombreux morceaux, les parsemant du son pur et chaud de son instrument doré. La fin de cette transfiguration marque le début d'un concept qui regroupe les sept pistes suivantes, dénommé "Lucid
Nightmares". Il démarre après une intro partagée entre musique classique épique et bruits expérimentaux, et il balaie définitivement les derniers soupçons de réchauffé qu'on aurait pu avoir : c'est bien un nouveau chapitre pour le groupe.
Le tempo s'adapte en conséquence, et descend quelques bpm plus bas histoire de s'adapter au vent progressif qui semble se lever. Riffs lourds, harmonieux sans être véritablement confortables, et sans cesse harcelés par des claviers flower-power-kitsch et grinçants, qui sonnent comme une grosse farce au-dessus de tout ça. S'il y a un retour sensible à quelque chose du type "Dread Dreams - Imagniary Sonicscape",
Sigh ne rejette pas pour autant ses écarts plus modernes, et on savoure toujours les éléments orchestraux puissants, qui dotent l'atmosphère d'une grandiloquence décalée, celle qui faisait la force des derniers albums et qui en avait fait la marque de fabrique. Mais c'est plus qu'un simple melting-pot de leurs vagabondages expérimentaux à travers les générations, car des sonorités inédites viennent ici et là pimenter le plat, on perçoit ainsi comme un souffle oriental indien, qui caresse des morceaux déstructurés par des transitions qui surprennent sans perdre en intelligence. Et comme toujours,
Sigh reste accessible, car c'est plus dans sa recherche d'éléments sonores inusuels qu'il s'est vu attribuer les étiquettes "prog" et "expérimental" que dans des essais d'harmonies nouvelles, voire pire dans une remise en question du sens même de l'harmonie. Les mélodies conservent au fil des morceaux une saveur délectable, et
Sigh ne glisse pas vers la dissonnance pour interpeller l'auditeur, mais mise sur des atmosphères trop surfaites et trop artificielles, des tons trop gais pour l'être vraiment, un côté grotesque absolument délicieux, comme ces influences jazzy, qu'on veut par exemple juger déplacées, alors que c'est précisément là leur but, et c'est ainsi qu'elles confèrent à la musique toute une dimension de quasi folie si intéressante... Elles sont tellement présentes sur "Amnesia" qu'on hésite presque à débarrasser le groupe de l'appellation "metal". Et là, j'ai envie de dire : comme au bon vieux temps...
Mais plus sérieusement, d'une manière générale, le ton sombre grotesque, la voix rauque et les guitares lourdes se retrouvent tout de même sur tous les morceaux, et ce malgré les atmosphères radicalement différentes qui les distinguent. "Somniphobia" par exemple est quasiment exempté de vocaux à cause de ses pérégrinations progressives, mais la suivante "L'Excommunication à Minuit" se révèle plus conventionnelle, avec des riffs si accrocheurs qu'on fait presque abstraction des bizarreries qui les entoure. Ensuite on a presque une piste de blues, la précédemment citée "Amnesia" (ça reste plutôt glauque pour du blues). Puis c'est une valse barrée qui prend le relais, et d'un morceau à l'autre, on découvre de nouveaux sons, et forcément de nouvelles ambiances, sur lesquelles l'identité de chaque titre se forme. C'est un album terriblement riche qui se dessine, dont on met longtemps à se lasser. Il faut cependant rappeler, si ce n'est pas encore clair, qu'une ouverture d'esprit raisonnable est nécessaire pour apprécier la musique de
Sigh, c'était déjà le cas avant "
In Somniphobia" et l'opus ne semble pas souhaiter inverser la tendance.
Pour synthétiser, séparons le public en trois parties. Les invétérés de "
Hangman's Hymn - Musikalische Exequien" et "
Scenes from Hell" auront de grosses surprises vu le retour aux expérimentations qu'emprunte le groupe. Les nostalgiques de la grande époque quant à eux, qu'ils se frottent les mains, il y a du neuf et du tout bon à se mettre sous la dent. Enfin, les néophytes, eux, auront affaire à la fois à un album très représentatif du groupe, mais aussi peut-être un peu trop éclectique pour se montrer abordable du premier coup. En tant que grand fan du groupe, je ne peux pas dire, mais je fais le test sur mon petit frère et je vous en redonne des nouvelles.
En quelques mots cet album est : dense, expérimental, innovant, grotesque, symphonique, gai, motivant, accrocheur, dérangeant, néoclassique, malsain, jouissif, inconfortable, barré, jazzy, chaotique, théâtral, rafraîchissant, avant-gardiste, psychédélique, progressif, nerveux, hallucinogène, électrique, addictif, dément (au sens figuré), dément (au sens propre), bizarre, original, agressif et torturé, mais au fond tellement bon...
Sigh au top de sa forme.
je n,en reviens pas, cé débile ce groupe...
Bravo
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