Bonjour. Et bienvenue à « Qui veut gagner du béton nippon ». Nous sommes de retour avec le groupe
Sigh qui a lors de l'émission de 1997 passé la barre 50 tonnes en répondant correctement à la question sur
Hail Horror Hail dont la réponse était « Un tout grand album original et novateur ». Assez courageux pour retenter sa chance, il va à présent tenter de répondre correctement à la question ultime qui l'amènera à la somme titanesque que sont les 1000 Tonnes de béton nippon. My godness !
- Ca va
Sigh? Chaud chaud?
- La ferme Jean-Pierre ! Et pose la, ta question !
Bien. Nous voici donc en 1999, deux ans après la sortie de
Hail Horror Hail. Le nouveau bébé voit le jour, toujours via Cacophonous Record, disque créé sous la férule de l'incroyable Mirai et son besoin viscéral de se surpasser.
Voici la question : « A quoi devrions-nous nous attendre de la part d'un groupe si talentueux qui a déjà pondu un monument? »
Réponse A : Un autre monument
Réponse B : Un tournant commercial
Réponse C : Une légère régression
Réponse D : Une oeuvre encore plus grande
Mirai, Satoshi, Sinichi, nous vous écoutons.
Bon, Jean-Pierre, soyons sérieux. Ta réponse B est déjà un fameux affront. Comment veux-tu que la recette proposée sur
Hail Horror Hail puisse avoir un quelconque avenir marketing? Non pas que l'expérimental se vende mal, mais que la musique de
Sigh soit trop farfelue, trop personnelle, trop déjantée bien que cohérente à sa manière et que ses éléments de base ne correspondent en aucun cas avec n'importe quelle norme lambda.
Sigh est une recette qui n'existe que pour elle même, destinée à un public capable de s'affranchir de tout dogme musical tout en nourrissant une profonde intégrité. Ses influences primaires issues de références comme
Bathory ou
Celtic Frost, le thrash proto-black des familles, y sont reproduites avec honneur. Imbécile serait l'homme qui viendrait le contester.
Sur
Hail Horror Hail,
Sigh utilisait la symphonie et diverses sonorités saugrenues pour développer son thème de prédilection : L'horreur. Le défaut de ce disque était justement cette symphonie parfois pompeuse, la production peu puissante rivalisait avec peine face aux cascades de claviers, bien que le champs d'expression des guitares en était suffisamment dégagé.
Scenario IV : Dread Dreams garde la formule psyché et expérimentale de base tout en la changeant totalement. La facette symphonique du groupe a été littéralement abolie, au profit d'un rendu général plus homogène et, par conséquent, plus metal ; les guitares sont davantage mises en avant et forment cette fois-ci l'entièreté de la sève brute de
Sigh. La production de Cacophonous n'a ni gagné, ni perdu en puissance, aucune différence avec le précédent sur ce point :
Old school et bien pondérée avec cette basse qui claque bien en supplément. Quant à sa capacité à enrober son metal de sonorités plus barges les unes que les autres, le groupe n'en a pas perdu le talent. Au vu des caractéristiques déjà mentionnées, celle-ci sont à la fois d'une plus grande variété et incorporées par bribes dans la moelle des titres. Et comme le veut Mirai : Barré mais cohérent et jouissant d'un travail de composition d'une qualité aussi rare que lumineuse.
Ainsi chaque titre est alambiqué à sa manière propre, histoire que tout puisse concorder pour mettre son thème en évidence. Tout commence sur le psyché
Diabolic Suicide, ses samples en trémolo désynchronisés, son ventre tiré comme un rideau d'ouverture féérique, l'apparition non-coutume d'une fanfare logicielle à la fin. On retiendra aussi ses intrusions de guitare acoustiques et ces chants féminins japonais. Ce dernier point réapparaîtra sur le sublime
Infernal Cries, morceau très popisant aux dialogues de guitares tenant du génie. On retrouve cette influence catchy sur le très long Iconoclasm in the 4th
Desert, une pièce admirable par sa manière de vous déhancher et par ses soli heavy on ne peut plus justes, tout cela magnifiquement accompagnée de chants clairs fiers et emphatiques, de guitares sèches et de frappes de mains à la manière d'une fête traditionnelle. Puis ce fondu sur un sample classique et chant langoureux qui nous réveille brutalement par ces coups de xylophone, tout semble avoir été pondu pour nous garder en alerte, chaque nouvelle écoute du disque recèle de nouvelles expériences.
Et tout cela ne manque pas non plus de prouesses instrumentales, les envolées de six-cordes traduisent une adresse et un feeling implacable renvoyant tout progueux pète cul réétudier ses gammes en bougonnant, à l'image de celles de In the Mind of A Lunatic, ou le chant féminin revient ponctuer le centre avec une petite touche de naïveté vite tournée à l'ironie.
Si la symphonie a été mise en retrait, ses apparitions n'en sont pas moins impressionnantes. Le cas de Severed Ways, son début bien franc dans le riff et ses samples traités à vous mixer la matière grise sont un moyen stratégique afin de rendre cette litanie orchestrale doucereuse franchement imprévisible, ou comment changer l'atmosphère en un petit coup de baguette. La fin du morceau est d'ailleurs volontairement enlisée dans la morosité.
Mais arrivé à ce stade du disque, autre chose vous tourne en tête : Ce thème symphonique, vous l'avez déjà entendu quelque part sur la même galette... Mais oui ! La fin de Black
Curse. Le plus long et le plus noir morceau du disque. Ses lenteurs
Doom, ses vocaux déchirés, son thème au clavier brisant régulièrement la continuité tout comme son interlude funky complètement hors-sujet. Morceau éprouvant émotionnellement, cette fameuse conclusion aux clavier atmosphériques et brumeux ramène une certaine lumière, mais celle-ci se voulant triste et obscure, elle ne parvient qu'à rajouter du corps à la pièce.
Oui, la face plus mélancolique est un art que
Sigh maîtrise à la perfection. Preuve en est sur Imprisonned, morceau marqué lui aussi par ses ralentissements, est un combat de coq entre nostalgie, occultisme, symphonie et pianos bluesy ainsi que ces samples immersifs aussi insolites que variés.
La fin du disque ne faiblit point en surprise elle non plus. Le court moment symphonique Waltz : Dread Dreams est, comme son nom l'indique, une pièce dansante qui semble être la thématique principale de l'album. On le retrouve d'ailleurs en arrière plan sur l'introduction de
Diabolic Suicide.
Celui-ci introduit la dernière piste : Divine
Graveyard. D'une part plein de majesté, en témoigne ce chant clair viril du refrain, de l'autre très symphonique sur son ensemble, il termine le disque sur une touche de cuivres secs et directs.
Se dressant face à la foule comme un savant fou au service du malin, Mirai manie les ingrédient avec un talent qui force le respect. Il parvient à façonner à la fois une oeuvre novatrice et singulière tout en restant intègre et authentique et un disque très riche en rebondissements et diablement composé. Scenario IV : Dread Dreams est l'aboutissement d'un travail acharné sur la musique mais aussi sur les protagonistes eux-mêmes. Car tant de joyaux concentrés en un rond d'aluminium ne peuvent être que l'expression directe d'une passion et d'une inspiration hors du commun. Restant en bon terme avec la modestie, ces artistes ne vivent que pour leur affection envers l'expérience musicale et leur capacité à mêler toute influence avec brio.
Tout ça pour en arriver à la réponse à ta question Jean-Pierre. On a déjà éliminé l'obsolète B, on peut aussi rayer la C. Et vu ce qu'il reste, le choix sera vite fait. Scenario IV, n'est pas juste une bombe à l'image de
Hail Horror Hail. Il le surpasse tout simplement.
Plus pondéré, plus metal comme plus déjanté, tout s'y tient à merveille dans cette folie contrôlée.
Sigh n'a jamais touché aussi haut et ne toucheras sans doute jamais, ce malgré le magnifique
Imaginary Sonicscape qu'il mettront au monde 2 ans plus tard. Scenario IV est le plus grand album du groupe, un chef d'oeuvre inégalable et unique au monde.
- Réponse D. Mais celle-ci est incomplète. Permet moi de rajouter une petite phrase : « Un disque que tout metalhead passionné se doit de posséder ». Voilà, c'est mieux.
- Réponse exacte !! C'est incroyable, nos chers candidats ont gagné les 1000 tonnes !
- 1000 tonnes ? Laisse moi rire ! Même une fosse de béton armé aussi large que l'océan pacifique serait trop légère en comparaison avec le monstre dont il est question.
Si vous aussi vous voulez ressentir l'effet « béton nippon », achetez-le et écoutez-le. Il nous arrive de passer à côté de multiples merveilles. Mais ici, nous n'aurions aucune excuse.
19/20 pour ce coup de maître. Ce genre de claques qui ne vous arrivent dans la face qu'une fois dans votre vie et qui, à elles seules, repeignent les lettres de noblesse de la scène metal.
Hail Sigh.
Eternal Hails.
'fin, c'est vrai que Sigh, malgré sa touche particulière, ça groove plus que ça ne défonce ( et toute leur disco, c'est pareil ). Et même si ici ses influences sont plus marquées, il est vrai qu'on peut très mal étiqueter ce groupe de black.
Merci quand même de ce bel effort Jean Pierre, si je réponds : D - Obi Wan Kenobi j'ai bon?
Mille comme le nombre d'années qu'il faudrait pour mémoriser la foultitude d'arrangements en tous genres qui parsèment les neuf morceaux de l'Œuvre qui, bien loin de n'être qu'autant de simples pots pourris de styles divers et variés, sont étroitement liés pour constituer un monument construit selon une logique aussi folle qu'implacable. Des liens bien peu évidents de prime abord, mais qui se tissent progressivement au fil des écoutes, au gré des riffs heavy/thrash entraînants, des effets de synthé perturbants et de la valse obsédante.
Un grand bravo au trio Sigh pour son imagination débridée (sans mauvais jeu de mots), un grand bravo à son grand chef d'orchestre Mirai, que je ne connaissais jusqu'ici que pour sa participation en demi-teinte à Necrophagia et ses apparitions en tant qu'invité dans les albums de The Meads Of Asphodel (autre groupe archi-barré), et bien sûr un grand bravo à notre matou en chef qui a su tirer de cette Œuvre une chronique détaillée, captivante, extravagante dans son contexte narratif et diablement solide dans sa construction … bref, à la parfaite image de l'Œuvre.
Pour l'un comme pour les autres, le pari n'était pas gagné d'avance, mais se trouve être relevé haut la main …
… et moi, je m'en vais me procurer le reste de la disco de Sigh.
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