Le Japon est un pays qui a ses propres normes et sa propre conception d'à peu prés toutes les formes de culture, une forme bien personnelle de bandes dessinées et de film, une conception personnelle locale de l'honneur, une conception personnelle du restaurant... En terme de musique, ça se traduit par des choses bien particulières, on citera les musiques traditionnelles shintoïstes, intimistes et relaxantes, et dans les choses plus modernes la J-pop qui est tout sauf intimiste et relaxante et bien sûr toute la scène visual key et assimilé où il y a à boire et à manger...
En terme de metal stricto sensu, on a le droit à un peu tout, des bons groupes dans pas mal de styles, des trucs assez barrés et énergique (
Maximum The Hormone,
Crossfaith...), des groupes très reconnus dans leur style (
Dir En Grey,
Boris...) et des choses plus sombres et moins axées asiatiques (
Envy,
Gallhammer...). La première personne citant
Babymetal se verra contrainte de repartir avec mon pied dans l'arrière-train, n'ayant pas succombé à cet effet de mode et à cette publicité pseudo-pédophile, ayant fait aduler ce trio d'adolescentes surtout de metal et porté aux nues par des myriades de random-métalleux n'ayant jamais ne serait-ce qu'entendu un des groupes japonais méritoires qui portaient le style depuis des années comme
Yousei Teikoku pour ne citer qu'eux...
En terme de black metal, les groupes japonais les plus connus, sont majoritairement dans un trip assez old-school pour les plus connus dans une veine thrashy très inspirés par
Venom (
Sabbat,
Abigail,
Barbatos...) avec des centres d’intérêt assez basiques, majoritairement
Satan et les fesses (l'artwork de « Let's Fucking
Die » de
Barbatos a définitivement marqué mes mirettes... trés bel avion). Et puis, il y a
Sigh...
Sigh ou peut-être le groupe le plus fou de toute l'histoire du black metal, le groupe qui a son identité baroque et malsaine qui ne va jamais tout droit mais touche toujours au but, qui au fur et à mesure de sa discographie conséquente a su aller bien plus loin que son black originel et apporter modernité, bizarrerie et folie furieuse à son répertoire, des aspects les plus absurdes de son « Imaginary Soniscape » à la grandiloquence d'un «
Hangman's Hymn », des pérégrinations funkys de «
Hail Horror Hail » à l'exotisme dérangé de leur petit dernier «
In Somniphobia »...
Dans les trois ans qui séparent ce «
Graveward » de son prédécesseur,
Sigh s'est fait discret, tournant très peu, ne révélant que peu de choses. Evidemment, on savait que le nom du morceau allait commencer par un « G » (puisque le titre des albums du groupe procède de ce mécanisme : la première lettre de chacun marque le mot
Sigh, dans l'ordre. Et on se rapproche de la fin du troisième , ce qui fait si on calcule bien le onzième. Et bien non, puisque l'EP «
Ghastly Funeral Theatre » compte dans ce classement). Le groupe avait d'ailleurs subi un vrai chambardement avec le départ de son guitariste Shinichi, l'un des piliers du groupe présent dés le premier album, pour raison de déclin technique si l'on en croit le communiqué officiel. L'annonce de son remplaçant en avait toutefois rasséréné certains puisqu'il s'agissait de You Oshima, tête pensante du projet
Kadenzza, peut-être le japonais dont l’œuvre peut ressembler le plus, si tant est qu'on puisse leur ressembler, à
Sigh... Après deux albums aux artworks très étoffés, réalisé par l'allemand Eliran Kantor, véritables actes de bravoure, celui de ce «
Graveward » œuvre du bien connu Costin Chioreanu, est tout aussi dérangé mais bien plus sobre. L'atmosphère qui se dégage y est plus sombre ce qui colle au final assez bien à celle de l'album.
Pourtant, ce n'est pas tant en eux même les éléments de l'album qui tirent vers ce rendu plus « obscur ». Le groupe s'est certes adjoint les services de plusieurs vocalistes en guests et si certains ne sont pas très étonnants dans le contexte de black metal timbré du groupe (Niklas Kvarfoth de
Shining,
Metatron de The Meads of Asphodel), d'autres le sont plus (Matt Heafy de
Trivium ou Frédéric Leclerq, d'ordinaire bassiste de Dragonforce) mais le chant ne sera pas plus marqué black que d'ordinaire, bien au contraire au delà de la voix très typé de Miraï et du growl de Mlle le dr. Mikkanibal on y retrouvera de la voix « claire » de temps à autre un peu comme sur «
Gallows Gallery ».
Les solos d'Oshima seront d'autre part très présents et un peu plus démonstratif dans le shredding que ce que faisait Shinichi, donnant une note plus heavy/néo-classique.
Non, c'est par l'ambiance générale que ressortira cette noirceur, qui ne se manifestera pas par un attrait prononcé pour ce coté baroque occulte tant que sur «
Hangman's Hymn », l'album fait probablement parti des plus fous et variés de
Sigh avec « Imaginary Soniscape » et «
In Somniphobia ». Les arrangements sonnent typiquement dans le ton habituel avec de la théatralisation à l’extrême, des plans symphoniques orchestraux pompeux, les passages jazzy avec le saxophone de Mikannibal et ces passages dans une voix claire dérangé qui amène au tout un aspect très japonais avec ce petit coté manga, comme sur «
Graveward », la chanson... La production ressemble d'ailleurs aussi beaucoup à celles des productions récentes, boudée par certains mais me parlant bien, à titre personnel, aimant bien ce coté cheap et assez kitsch...
Mais le tout est plus noir, plus tragique, le coté foufou est emprunt d'une solennité défunte qui restera globalement présente tout du long, quand bien même les différentes textures n'ont rien à voir des arrangements de cuivre solennels sur « The Tombfiller » aux chœurs type maison de l'horreur sur « The
Forlorn » aux plans electro rigolo d'un « The Molesters of My Soul ». La variabilité de l'album est par contre moins grande que sur son prédécesseur, et un esprit unique et dérangé planera sur la majorité des morceaux, là où un « Imaginary Soniscape » partait dans toutes les directions, pour le bonheur de l'auditeur. Une plus grande efficience des morceaux a d'ailleurs été probablement recherché et sur les cinquante minutes que comporte l'album, on n'aura pas de vrai passage complètement planant et dérangé comme ils pouvaient le faire d'ordinaire et chaque titre est quand même tout à fait axé metal avec des passages puissants, y compris pour ce qui est de la pseudo-ballade « A
Messenger from Tomorrow » ce qui peut le rapprocher d'un «
Hangman's Hymn ».
On pourra tout de même regretter une petite baisse de régime vers la fin de l'album, compensé par l'espèce de tuerie «
Dwellers in a
Dream », morceau qui a le moins cette touche plus sombre et qui pourrait passer pour un titre échappé d' «
In Somniphobia », exotisme compris avec ce petit passage samba...
Au final, malgré le poids des années,
Sigh se maintient au top de sa forme, fidèle à eux-même malgré les changements notables et nous propose un album qui combine le coté dark et solennel qui dominait «
Hangman's Hymn » et «
Scenes from Hell » avec la variabilité et le coté barré d'un « Imaginary Soniscape » ou d'un «
In Somniphobia », tout en essayant (l'influence du mec de
Kadenzza ?) de faire pousser ses inspirations et pérégrinations aberrantes dans un terreau plus efficace qu'auparavant... Si cette nouvelle mouture ne saurait grandir et dominer la totalité de ses aînés voir même constitue un minime pas en arrière comparé à son prédécesseur immédiat, elle parvient à se hisser en bonne place parmi eux, et reste quoi qu'il en soit, un très bon cru...
Ce qui me dérange le plus c'est le shred intempestif de You Oshima qui bouffe les orchestration à tout va , alors Shinishi avait une finesse dans ses solo parfois très blues que j'adorais ( somniphobia )
Merci pour cette chronique très documentée sur le métal japonais. Je découvre en ce moment ce groupe que j'adore. C'est tout à fait le genre de chroniques qui donnent envie de découvrir et qui permet au néophyte de recontextualiser.
L'une des (nombreuses) facettes de Sigh que j'aime le moins. Assez direct et festif comme Gallows Gallery, toujours voyageur et avec de bons soli. Mais aussi le même sentiment d'un génie indéniable enfermé dans un emballage stérile : plus on creuse moins on découvre de trésors enfouis. Le parc d'attraction vaut tout de même le détour, surtout aux premières écoutes où l'on a encore envie de faire un petit tour de plus.
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