20 ans après ses débuts, en plein renouveau du thrash metal, la légitimité de
Kreator reste intacte. Non seulement par l'intemporalité de ses missiles imparables lâchés au cœur des années 80, quand le thrash teuton offrait un répondant musclé aux américains, mais également, malgré quelques grincements de dents chez les plus orthodoxes, par une gestion courageuse et pleine d’audace de ces fameuses années 90 si délicates. Et si de nos jours, il est devenu plus tendance de louer l’intégrité indécrottable d’un Sodom – alors qu’il n’y a pas si longtemps on raillait quasi systématiquement son manque d’audace et son surplace musical – Mille Petrozza s’est au moins affranchi des critiques liées à l’absence de prise de risques. Certes, ses élans industriels ou gothiques, bien que loin d’être dénués d’intérêt, ont relégué
Kreator plus ou moins au second plan, mais ce courage artistique lui a permis a minima de gagner un certain respect des metalheads bien au delà du noyau dur des thrashers. Et ces derniers ne lui ont pas tenu rigueur bien longtemps de la période
Outcast /
Endorama, dès lors que
Violent Revolution (2001) annonçait un sérieux retour aux fondamentaux.
Dès lors,
Enemy of God est annoncé comme l’album qui doit conforter
Kreator comme le maître absolu du vieux continent en terme de thrash metal.
Artwork savamment choisi, thématiques strictement dans le ton, quitte à frôler la caricature, et surtout quelques morceaux phares absolument destructeurs en guise de préparation d’artillerie lourde...
Le titre éponyme, qui introduit l’album, a en effet ce qu’il faut pour faire frémir les plus nostalgiques: premier riff nerveux qui déboule d’entrée. Son moderne, puissant, profond. Première salve de batterie de Ventor (devenu métronome après des années de pratique…), qui canalise la puissance de feu des gratteux. Le panzer est lancé pleins fers, Mille est très énervé. Arrivée du refrain. En-emy-of-
God ! Allons donc, voilà donc qu’il nous ressort un refrain qui tue comme au bon vieux temps. Les minutes passent à une vitesse folle. On ne met pas longtemps à comprendre qu’on est en face d’un thrash de très haut calibre. Surtout quand arrive ce passage central, à rythme plus posé, amenant un solo superbe de finesse et d’harmonie, le genre de petit truc grisant à apprécier en esthète, avant une ré-accélération brutale digne de ce nom. En termes d’efficacité,
Kreator n’a sans doute jamais fait aussi bien depuis les années 80.
Le second single qui enchaîne, Impossible
Brutality, présente une facette plus posée, plus lourde mais toujours aussi puissante. Autour d’un riff central massif, le morceau est savamment construit: passage central rapide et nerveux, break plein de lyrisme, là encore le résultat est redoutable.
L’album s’enchaîne avec fluidité dans une veine assez similaire, un gros thrash au son très puissant, à l’assise imposante (la double est quasiment perpétuelle), oscillant entre passages mid-tempo (
Suicide Terrorist,…) et plus véloces, comme sur World Anarchy avec ses étonnants couplets franchement Slayeriens.
Il est de bon ton de préciser toutefois que ce
Kreator version 2005 n’a plus grand chose à voir avec celui de
Pleasure to Kill.
Plus moderne, plus carré, moins échevelé, il prend surtout une tournure plus mélodique. On le ressent dès ces premiers morceaux au travers du lyrisme très NWOBHM du jeu de Sami Yli-Sirniö, mais cette empreinte devient de plus en plus présente au fil des morceaux. A partir de Dystopsia, le disque semble franchement basculer vers ce parti pris mélodique, à tel point que l’atmosphère se rapproche foncièrement d’un thrash/death mélo à la
Arch Enemy sans qu’on y prenne garde. Ce basculement net, bien camouflé par un début d’album trompeur, ne vient pas pour autant entamer la qualité musicale. Tout au plus il fera fuir ceux qui voient encore en
Kreator les jeunes thrashers à cartouchières défendant un metal guerrier et ultime. Mais pour ceux qui acceptent l’idée que le thrash peut aussi évoluer au delà des fondamentaux dogmatiques des années 80, bref qu’il peut légitimement se moderniser, et qui ne sont pas rebutés par l’aspect mélodique, ce que propose
Kreator a de quoi séduire. Certes, parfois les Allemands en font un peu trop (le riffing mélodique un peu cul-cul de
Voices of the
Dead, ou le kitsch absolu du refrain de Murder Fantaisies), ce qui aurait d’ailleurs pu être facilement évité, tant l’album est dense (12 morceaux pour plus de 55 minutes...). En outre, on pourra aussi faire la fine bouche sur l’inspiration parfois limite du riffing (le réemploi de quelques recettes éprouvées ne gêne pas
Kreator), ce qui laisse à penser que ce retour à un thrash musclé et moderne n’est pas forcément signé du sceau de la spontanéité...
On doit néanmoins souligner le travail minutieux de construction des morceaux. Alternant avec beaucoup de maîtrise couplets puissants, accélérations bien senties, breaks mélodiques soignés, le tout solidement ancré par une rythmique musclée et un chant à l’agressivité constante,
Kreator évite toute longueur, tout temps mort et parvient à rester efficace tout au long de l’album (ce qui n’est pas une gageure sur une telle durée), ponctuant d’ailleurs par un
Ancient Plague se voulant la synthèse parfaite de cette alliance de puissance et de mélodie qui fait la force du disque. Bref, malgré les quelques réserves que l’on peut émettre sur le compte d’
Enemy of God, malgré l’absence de morceaux vraiment mémorables au-delà des deux premiers cités, il faut reconnaître que la teneur du disque reste franchement séduisante, et permet sans discussion à
Kreator de rester une référence incontestée du thrash européen. Et là, pour éviter tout quiproquo, je parle bien d’un thrash moderne, puissant et racé, qui ne fait surtout pas dans la nostalgie larmoyante.
Merci pour la chro.
10 ans après sa sortie, je trouve ce disque imparable. J'ai pourtant eu un peu de mal à l'époque, va savoir pourquoi.
"Impossible brutality" et "Dystopia" sont énormes je trouve. En fait, il y a peu de titres qui ne sont pas excellents. Et les soli, waow mortel (putain celui de "Voices of the dead", le pied).
Marrant que tu parles de Arch Enemy car Michael Amott vient taper le solo sur "Murder Fantasies".
Bref, c'est devenu mon disque préféré du groupe depuis "Extreme Aggression" et ceux qui ont suivi ne m'ont pas autant emballé.
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