Fear Factory a connu de belles heures durant les années 90 avec l’immense succès des albums
Demanufacture et
Obsolete, qui ont marqué le paysage metal à jamais en contribuant à sa modernisation. Très en avance en leur temps, ces œuvres grandioses ont réussi à immerger l’auditeur dans un monde apocalyptique où la machine domine sur l’homme, avec un metal indus offrant un son futuriste, froid et puissant ; mais finalement si impressionnant et novateur. Inédit pour l’époque, la musique du groupe impressionnait par sa créativité, ses riffs chirurgicaux exécutés à une grande vitesse, son jeu de batterie novateur et ses vocaux très travaillés et bourrés de créativité. Forcément, après s’être bâti une telle réputation dans la sphère metal et suite au grand succès commercial d’
Obsolete, c’est tout naturellement et logiquement que
Fear Factory poursuit sa carrière musicale avec la création d’un nouvel album quelques années plus tard, toujours sous l’écurie Roadrunner Records.
Digimortal reprend l’univers et l’histoire débutée dans
Demanufacture et étendue dans
Obsolete afin de la continuer et surtout, cette fois-ci, afin d’en écrire le chapitre final. L’histoire telle qu’elle a été laissée dans
Obsolete avait mal terminé avec une triste fin dans la chanson « Timelessness », où notre héros luttant inlassablement contre l’occupant machine s’était fait attraper et emprisonner, échouant de ce fait la révolution humaine entamée contre le robot. L’artwork de l’album reste toujours aussi soigné,
Fear Factory considérant que cet aspect doit faire partie intégrante de l’œuvre finale, comme une extension visuelle de l’univers développé dans les paroles. Il en va de même avec la pochette, jouant toujours sur la machinisation et la digitalisation de l’homme, là en l’occurrence une forme simplifiée de l’homme inscrite sur une carte électronique, d’où le titre
Digimortal, contraction entre les mots Digital et Mortal. Bref, une direction artistique toujours aussi soignée comme le groupe nous avait déjà habitués.
Maintenant passons à ce qui nous intéresse le plus finalement, la musique. « What
Will Become ? » démarre immédiatement après avoir appuyé sur le bouton play, et on se retrouve face à une chanson qui semble reprendre la formule que
Fear Factory a développée dans
Obsolete, en faisant particulièrement penser au grandiose «
Edgecrusher » avec son riff à faire sauter et ses paroles faciles à retenir. Mais on sent que malgré toutes les similitudes qu’on peut lui trouver par rapport aux anciennes chansons, il y a quelque chose qui ne colle pas, qui diffère pas mal de ce que l’on a connu et qui fait en sorte que la sauce ne prenne pas complètement du premier coup. On note que les riffs sont nettement moins puissants, la batterie un poil moins bourrine mais surtout, les vocaux de Burton C. Bell sont bien moins agressifs.
Obsolete nous avait fourni des vocaux spectaculaires avec notamment des hurlements d’une belle agressivité, nous immergeant de ce fait parfaitement dans la violence qui règne dans la guerre entre humains et machines. Là, on a l’impression qu’il essaye de hurler sans jamais saturer, afin de ne pas trop heurter les oreilles les plus innocentes et garder une certaine accessibilité. Quant à Dino Cazares, il a clairement baissé le volume de sa guitare et joue ses riffs avec moins de frénésie (son style reste parfaitement reconnaissable cela dit). Ce constat est vite confirmé dans toutes les chansons suivantes, et cela gêne quant à l’appréciation complète et confortable de l’album, ce nouveau style étant finalement en contradiction avec la philosophie de
Fear Factory. «
Damaged », «
No One », « What
Will Become ? » et «
Acres of
Skin » se voient particulièrement affectés par cela (notez l’ironie avec le titre de la première chanson citée), ces chansons ayant une prédominance des passages se voulant comme bourrins et hurlés, et perdant de ce fait beaucoup d’intérêt. Mais le pire reste «
Hurt Conveyor », où on a littéralement l’impression d’avoir une chanson directement sortie des précédents albums, mais passée sous le rouleau compresseur de l’accessibilité, et de ce fait totalement vidée de sa substance.
Mais alors comment expliquer un tel changement dans le son de
Fear Factory ? Est-ce parce que le groupe a voulu ratisser large et gagner plus de nouveaux fans ? Ou bien est-ce parce qu’ils ont juste voulu s’essayer à quelque chose de différent ? C’est d’autant plus curieux que le producteur est le même que celui de la précédente galette, à savoir Rhys Fulber. Eh bien en réalité, il n’en est rien de tout cela, j’irais même jusqu’à dire que la réponse à cette question est bien plus triste. C’est simple : c’est bien la maison de disques qui a imposé cette direction musicale plus accessible afin de vendre encore plus d’exemplaires. Suite au grand succès commercial d’
Obsolete, il fallait bien se faire toujours plus d’argent, et les dirigeants de la maison de disques ont vu la création de ce nouvel album comme une occasion en or pour avoir plus de cash. Le chanteur Burton C. Bell avouera des années plus tard lors d’interviews que les démos originales de
Digimortal avaient à l’origine un son bien plus agressif que le résultat final, ils ont dû être complètement retravaillés pour répondre aux pressions de la maison de disques, et cela se ressent parfaitement lors de l’écoute des chansons citées plus haut. Il est à croire qu’à l’origine,
Digimortal avait tout pour être le digne successeur d’
Obsolete.
Qu’à cela ne tienne, si l’on prend quand même la peine d’écouter l’intégralité de l’album, on se rend compte que finalement, pour un disque dont la direction musicale a été forcée et malgré une poignée de chansons sans presque aucun intérêt, eh bien… il ne s’en sort pas si mal que ça et se défend bien avec des titres qui relèvent l’intérêt du disque.
Fear Factory semble avoir su intelligemment négocier le virage forcé sur le reste des chansons, en offrant une lecture inédite intéressante de son style. A commencer par la chanson-titre «
Digimortal », où cette fois-ci les hurlements allégés durant les couplets sont très bien intégrés car suivis d’un super refrain bien mis en avant, chanté cette fois-ci, aux paroles inspirées et aux rythmiques prononcées. Toujours dans la même formule, le grandiose «
Linchpin » a le mérite d’offrir un refrain absolument imparable et des couplets plus mémorables (qui pourra un jour oublier le fameux « Can take me apaaaart » ?), la transition entre les deux styles de chant étant fluides et maîtrisés à la perfection, faisant de «
Linchpin » une chanson culte dans la discographie du groupe. « Invisble
Wounds (
Dark Bodies) » nous émerveille avec le chant mélancolique et somptueux de Burton et la guitare moins nerveuse mais plus immersive de Dino, nous plonge de ce fait complètement dans l’aventure trépidante racontée dans les paroles ; une bonne démonstration d’accessibilité intelligente. Le très Obsoletien « Byte Block » ravivera de bons souvenirs à plein de fans avec son ambiance sonore très science-fiction/futuriste des premières secondes, ses paroles portées sur la soumission totale envers la machine, ses riffs de guitares et rythmiques plus généreux en testostérones, et son somptueux refrain qui semble comme tout droit sorti d’un Burton complètement déshumanisé et robotisé. Il se permet même le privilège de nous sortir quelques hurlements bien sauvages, un peu comme un petit et rapide doigt d’honneur aux managers. Le groupe se permet même de faire une collaboration dans « Back the Fuck Up », chose totalement inédite, qui plus est pour une chanson aux fortes influences hip-hop. Normal quand l’invité en question n’est autre que B-Real, rappeur du célèbre groupe de hip-hop Cypress Hill qui a sorti quelques albums avec de fortes influences metal. La collaboration est intéressante, le style vocal de Burton développé (ou plutôt forcé) dans l’album colle bien avec le style hip-hop, et se veut un peu comme une version plus lourde du flow de B-Real, avec qui les deux styles vocaux alternent constamment tels deux adversaires de ping-pong se renvoyant la balle constamment. À une époque où les groupes de fusion et de néo-metal explosaient, donnant parfois des collaborations hip-hop/metal intéressantes, il fallait bien que
Fear Factory offre un jour sa version.
Maintenant parlons de la dernière chanson de l’album, qui est incontestablement l’une des plus abouties, la géniale « (Memory Imprints)
Never End ». Depuis
Demanufacture,
Fear Factory nous a habitués à nous offrir en guise de dernière offrande ce qu’il peut offrir de mieux en termes d’ambiance, d’émotions et d’immersion. Celle présente ici remplit parfaitement les critères d’exigence et clôture l’album avec brio. Le chant se veut toujours aussi propre dans un style agréablement aéré, en parfaite harmonie avec les lents riffs ambients et les divers effets sonores du plus bel effet. En fermant les yeux, on se croirait presque en plein dans la vision apocalyptique qu’a
Fear Factory du monde futuriste, en train de nous balader dans les quartiers sombres et malfamés jonchés de cadavres à tous les bords, tant d’humains que de robots, vestiges des restes d’une terrible guerre. A n’en douter une des chansons les plus intéressantes.
Digimortal déçoit autant qu’il se montre satisfaisant, du
Fear Factory édulcoré où le médiocre côtoie constamment l’efficace, avec parfois de grands fossés entre chansons (il suffit juste de comparer la première chanson avec la dernière pour s’en rendre compte), on ne se contente au final que d'à peu près la moitié de l’album pour y trouver son compte.
Pas un mauvais album mais certainement l’un des moins intéressants. Un disque qui a été complètement handicapé par la cupidité des managers qui ne voyaient en
Fear Factory qu’un banal produit commercial à marketer afin de se retrouver avec des poches plus remplies, un pari qui s’est avéré comme étant un joli fiasco. Raté dans un premier temps par le contenu musical qui, comme on a bien pu le voir, n’est pas mauvais en soi mais n’a pas atteint les standards de qualité imposés par les prédécesseurs. Raté aussi par l’aspect purement financier, puisque
Digimortal est loin de s’être vendu en un nombre d’exemplaires jugé satisfaisant – rien à voir avec le raz-de-marée suscité par
Obsolete. Mais, pire encore, raté également parce qu’il a provoqué la pire crise au sein du groupe. Suite au constat d’échec, Dino Cazares, totalement dégoûté des conditions dans lesquelles l’album a été enregistré et du résultat musical obtenu, a pris la décision de quitter
Fear Factory pour suivre sa propre voie musicale (décision prise suite à une querelle avec les autres membres du groupe). À la suite de cela, Burton C. Bell a lui aussi décidé de mettre un terme à l’aventure
Fear Factory pour se consacrer à autre chose dans la musique. Néanmoins, moins d’un an plus tard, il revient sur sa décision et reforme la formation mais sans Dino Cazares cette fois-ci. La sortie de
Digimortal a été désastreuse de conséquences pour le groupe.
Il est incroyable de constater à quel point un album sorti et produit dans de mauvaises conditions peut arriver à presque complètement détruire une formation à jamais. Forcé dès le début d'emprunter une direction musicale qui n’était nullement prévue à l’origine à cause d’un management honteux,
Digimortal souffre d’un intérêt musical très hétérogène au fil de son écoute, nous faisant passer autant de bons moments que d’autres plus lacunaires- on passe son temps à faire une sélection des chansons. La question que l’on est amené à se poser est : si
Fear Factory avait eu la liberté de réaliser l’œuvre telle qu’il l'avait conçue à l’origine, à quoi aurait-elle pu ressembler ?
Merci à vous tous pour vos commentaires et pour avoir lu la chronique.
Oui, vous l'avez bien dit et je suis d'accord, ce n'est pas un mauvais album en soi, mais il souffre de la comparaison avec les précédents qui étaient justes irréprochables ainsi que bien plus puissants et immersifs que Digimortal. Je sais que plusieurs l'ont découvert parmis ses premiers albums de metal, et sur ce point il remplis bien son rôle d'accesibilité, mais une fois que le néophyte se met à découvrir le reste de la discographie du groupe, l'album dévoile à la surface ses faiblesses, que j'ai cité dans ma chronique. Si on le juge en tant qu'album pour néophyte, peut-être mérite-t-il une note plus élevée, mais ayant connu FF avec Demanufacture/Obsolete, je l'ai naturellement chroniqué en le comparant avec les précédentes productions.
Concernant la direction musicale empruntée, pour être un peu plus précis, pour Digimortal c'était la première fois que le bassiste avait mis son nez dans les compositions, jusqu'alors limités au travail de Dino et Raymond. Sa participation était jugé envahissante par Dino, et c'est ce qui a orienté la direction vers quelque chose de plus accessible. Mais c'est quand les démos des chansons ont étaient envoyées aux managers, c'est là que la pression est apparue pour en faire quelque chose d'encore plus accessible. Dino a toujours regretté comment il a été produit, qui a selon lui fait perdre la magie Fear Factory.
Sinon je ne suis pas trop d'accord pour dire que Digimortal a signé la fin de FF, puisqu'ils se sont rattrapés de manière fort intéressante dès l'album suivant, l'excellent Archetype, sans parler des derniers qui sont sortis, des perles !
Quoiqu'il en soit de cet album, je kifferais toujours de réecouter un bon Linchpin ou un bon Memory Imprints, il reste intéressant à un certain degré malgré tout.
avec archetype il avait un petit retour comme a l'epoque de demanufacture que j'ai bien aimé d'ailleur avec les longue compo et de long refrain chant clean, industrialist et genexus me fait croire que ca aurait pu etre une suite de digimortal ou ce que aurait du etre, je ne deteste pas digimortal car le son de dino est la et puis je sais quil a pire (transgression) mechanize reste different comme son ( etais supposé etre un projet avec dino et burton mais a finalement ete un disque de fear factory) mais je ladore car pour on sens la rage dans le chant de burton et marquais le retour de dino enfin.
digimortal a quand meme une note de 7 sur 10 pour ma part
Une excellente chronique, avec une mise en contexte qui éclaire bien les tiraillements qui ont émaillé l'accouchement du disque. La première écoute de "Digimortal" m'avait tellement déçu que j'avais lâché le groupe à l'époque. Trop aseptisé et manquant de puissance, un comble pour FF, et un coté piou-piou-le-laser : On aurait dit qu'un producteur mal intentionné avait pris en otage l'ingénieur du son pour rajouter en douce ces nappes de claviers stridents, ces samples mal fagotés, et ôté tout le gras et la patate du son.
Tout ça m'avait empêché d'apprécier les bons titres de cet album. Car il y en a, je m'en aperçois en essayant de le réécouter maintenant. J'aurais été curieux d'écouter la démo d'origine qu'ils avaient faite.
@heavyjos84 : Yes, voilà Archetype a repris les codes qui avait défini leur son pour en faire un album qui s'en sort à merveille sachant qu'il a pourtant été fait sans Dino. Ils s'en sont extrêmement bien sortis pour celui-là, là o|u plein de groupers se seraient cassés la gueule. Genexus est celui qui m'a plus l'air d'être une sorte de Digimortal en version plus heavy, comme il devait être, même si cet album a sa propre personnalité.
@JeanEdernDesecrator: Un grand merdi pour ton commentaire. Je te comprends bien, j'ai un peu ressenti la même chose au début, quoique j'avais quand même apprécié les bons titres. Je n'avais jamais réussi à l'écouter d'une traite, faut toujours que je zappe des chansons. Moi aussi j'ai toujours souhaité écouter les démos, mais à ma connaissance elles n'ont jamais été publiés ni diffusés... FF semble vouloir oublier cet album.
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