Fear Factory sort d’une période très difficile suite à la sortie de "
Digimortal" en 2001. Cet album, dont le résultat était le fruit de méthodes forcées par la maison de disques RoadRunner et dont les ventes n’étaient pas comme espéré, a failli faire disparaître le groupe à jamais, suite au départ d’abord de Dino Cazares pour de très longues années, puis de Burton C. Bell, avant que ce dernier ne revienne quelques mois plus tard ; résultat de fortes tensions en interne. Mais la persévérance est ce qui anime les membres restants du groupe, décidés à revenir sur le devant de la scène, mais avec d’importants changements. D’abord au niveau du line-up, puisque privé de leur guitariste, c’est le bassiste Christian Olde Wolbers qui, cette fois-ci, assure ce rôle dorénavant, et avec comme bassiste le nouveau membre Byron Stroud. Ensuite au niveau des conditions dans lesquelles le prochain album sera enregistré : fini les grosses maisons de disques, place à des structures plus petites afin de bénéficier de plus de libertés et de moins de pression, à défaut d’avoir un grand budget. En effet, c’est avec Liquid 8 Records que
Fear Factory décidera de signer, une maison de disques inconnue et à la capacité de distribution bien moindre. C’est donc dans ces conditions, en 2004, que sort "
Archetype", le premier album du nouveau
Fear Factory.
Vu comme ça, il y a légitimement de quoi s’inquiéter, car en effet le groupe se voit amputé d’un membre fondateur et capital : Dino Cazares était le maître à penser de la machine, il est le principal compositeur et celui qui a fondé le son caractéristique et unique du groupe, en plus d’avoir une capacité technique impressionnante en enchaînant des riffs répétitifs avec une rapidité déconcertante. Christian Olde Wolbers n’ayant jamais démontré en public ses qualités de guitariste, il est légitime de douter de sa capacité à assurer ce rôle non accessible à tous. Au niveau de la composition, il est à douter que Buston C. Bell et Christian soient en capacité de proposer quelque chose digne de la réputation de
Fear Factory, auteur, rappelons-le, de deux albums majeurs qui ont marqué à jamais l’histoire du metal moderne, "
Demanufacture" et "
Obsolete". Et cela, sans même évoquer les limitations de budget et de distribution avec la maison de disques Liquid 8 Records, qui risquent de limiter les possibilités. Pourtant, aussi peu probable que cela aurait pu paraître,
Fear Factory a immédiatement coupé court à toutes ces interrogations et ces doutes avec la sortie d’"
Archetype" : ils viennent, ni plus ni moins, de sortir un véritable nouveau chef-d’œuvre. Analyse d’un album miracle.
Les premières écoutes d’"
Archetype" viennent confirmer rapidement un élément important sur la direction musicale :
Fear Factory a totalement misé sur leur formule habituelle dont ils se sont fait une grande réputation. Il suffit d’écouter quelques pistes pour s’en rendre compte ; les chansons sont souvent construites autour d’une formule couplets hurlés-refrain chanté, accompagnée par une guitare aux riffs indus joués rapidement de manière répétée, une batterie rapide et technique à la précision mécanique, ainsi que des effets ambient appuyant l’ambiance froide et robotique de l’univers. Du
Fear Factory tout craché. Autre élément que l’on constate immédiatement : c’est d’une immense efficacité ! Les premiers titres « Slave Labor », «
Cyberwaste » ou « Act of
God » nous donnent une grosse gifle à la face, tellement l’efficacité est redoutable, qui plus est, avec une grosse puissance et une furie que l’on n’avait pas revues depuis longtemps, en total contraste avec "
Digimortal" ! «
Cyberwaste » est un véritable déchaînement de furie et de rage avec une batterie digne d’un tank de guerre et des vocaux puissants ; « Act of
God » est une lettre d’amour au style
Fear Factory avec son refrain à la voix robotisée, ses couplets rageurs et ses riffs de guitares dignes d’une mitraillette de
Terminator ; « Drones » nous montre un Burton en pleine forme avec son puissant et mémorable refrain et ses riffs mid tempo à en faire headbanger plus d’un ; ou encore « Undercurrent » qui étale son superbe refrain sur la longueur à la fin pour renforcer les émotions. Avec "
Archetype",
Fear Factory nous donne une immense leçon d’histoire du metal en nous rappelant qu’ils sont les pionniers du style couplets hurlés-refrains chantés (avec
Soul of a New Machine en 1992) pourtant tellement courant aujourd’hui dans énormément de styles du metal, et qu’ils en sont encore les maîtres avec une maîtrise parfaite de la formule dont eux seuls en ont le secret.
Je tiens à spécialement féliciter
Fear Factory pour l’immense travail réalisé avec la chanson-titre «
Archetype », qui constitue pour moi l’aboutissement total de la formule du groupe décrite plus haut. Elle est si impressionnante et efficace qu’il y a de quoi en avoir des frissons. Rien que le début, avec la voix de Burton planante chantonnant la ligne vocale du refrain, est immense. Le reste est du FF au niveau d’efficacité poussé au max : couplets hurlés aux paroles mémorables (« The infection has been removed, the soul of this machine has been improved »), refrain d’un résultat somptueux, équilibre entre l’agressif et le mélodique parfaitement maîtrisé, mais surtout, un final épique poussant l’émotion à son paroxysme. Comme il est habituel avec ce groupe, la dernière itération du refrain se voit plus étalée sur la longueur, afin de d’offrir une conclusion à la chanson plus marquante, plus émotionnelle et plus belle ; je crois qu’«
Archetype » remporte la palme d’or de la plus grosse réussite sur ce point. De l’aveu même du chanteur, cette chanson représente l’aboutissement du style qu’ils ont développé durant les années 90. Je n’aurais jamais pu mieux dire que ça.
Si les refrains mélodieux au milieu de chaos musicaux représentent la majorité de l’album, le groupe exploite aussi un autre aspect de son style avec grandiloquence : les chansons plus centrées sur la voix chantée de Burton, ainsi que celles sur sa voix agressive. Le superbe «
Bite the Hand That Bleeds » est totalement centré sur le chant de Burton qui s’exprime avec une forte émotion et, encore une fois, un refrain puissant et mémorable, accompagné par une musique plus simplifiée ; il s’agit-là de ma chanson préférée de FF dans ce style tellement l’émotion est présente. D’ailleurs cette chanson a fait partie de la BO du premier
Saw sorti la même année, véritable chef-d’œuvre de l’horreur qui a réinventé le style (ce qui n’est nullement le cas de ses successeurs uniquement centrés sur l’aspect gore-thrash, sensationnelle attrape-ados). «
Human Shield » propose une belle conclusion à l’album avec un chant plus lent et une musique plus atmosphérique. Sur l’autre face, si le déjà évoqué «
Cyberwaste » est un bulldozer de puissance et de rage (elle traite des trolls sur internet critiquant et dénigrant absolument tout, c’était en 2004 alors imaginez-vous aujourd’hui…), « Bonescraper » va encore plus loin avec un riff d’ouverture des plus destructeurs, et une batterie encore plus rageuse, nous offrant des blast beats démentiels et une double pédale d’une vitesse olympique, et Burton filtrant sa voix pour déshumaniser le plus possible ses hurlements. Quelle que soit l’orientation que le groupe veut donner à la chanson, la logique est la même : jouer le propos de la chanson à fond avec un très haut degré de puissance et d’efficacité.
Je pense qu’il est légitime de considérer "
Archetype" comme l’un des meilleurs albums de la carrière de
Fear Factory, tellement l’on enchaîne dès la première chanson grosse tuerie après grosse tuerie ; tout s’écoute d’une traite et l’on ne peut qu’en redemander. A titre personnel, il est clairement l’un de mes préférés, et a, à mon sens, toute la légitimité pour être considéré comme un chef-d’œuvre, au même titre qu’un "
Demanufacture" ou un "
Obsolete", avec l’aspect novateur propre à ces albums en moins. Je ne lui trouve quasi aucun défaut, les premières secondes de « Slave Labor » m’obligent systématiquement à enchaîner pour le restant de l’album. Les seuls petits reproches qu'on pourrait lui faire, c’est la piste instru électro atmosphérique « Ascension », excessivement longue (7 minutes quand même avec un même son atmosphérique !), et la cover de
Nirvana « School » qui, si elle s’avère excellente d’efficacité reprenant parfaitement l’esprit de la chanson (probablement ma cover préférée de
Fear Factory), est trop en décalage avec l’esprit du reste de l’album et aurait mérité une autre place que celle de la dernière chanson ; je la verrais très bien comme une piste cachée par exemple. Et puis la production, comme on pouvait s’y attendre, n’est pas du même niveau que celles des dernières productions à l’époque, mais paradoxalement, je trouve que cette production moindre constitue sa force, lui conférant une personnalité forte et un aspect raw très plaisant et authentique.
Il est impressionnant de voir comment un groupe ayant traversé autant de troubles et sans son membre clé a pu s’en sortir haut la main et pondre un album d’une puissance et d’une qualité de composition absolument redoutables. Cela prouve à quel point Burton C. Bell était, au final, un membre tout aussi indispensable que Dino Cazares à l’identité du groupe, et que la persévérance et la motivation peuvent faire des miracles. "
Archetype" est la quintessence absolue du style de
Fear Factory, un concentré de riffs puissants, de couplets destructeurs, de refrains envoûtants et de sections rythmiques rageuses ; un voyage en profondeur dans l’univers froid et mécanique de la machine. Il s’agit de l’album le plus sous-estimé, à cause d’une distribution et d’une communication moindres (quoique le film
Saw l’a beaucoup aidé, c’est en tout cas comme ça que je l’avais découvert avec le clip vidéo de «
Bite the Hand That Bleeds » contenant des images du film), et d'une ignorance complète de la part de Dino Cazares lors de son retour avec FF qui refusait pendant de longues années de jouer la moindre chanson de l’album. Néanmoins, "
Archetype" a acquis au fil des années une solide réputation d’album culte, et qui a le mérite de mettre tout le monde d’accord au sein des fans, chose qui ne sera pas le cas avec son successeur, le tristement incompris et injustement boudé "
Transgression", mais cela est un autre épisode dans la riche et longue carrière de
Fear Factory. A suivre donc…
On remarque que les éléments "cyber/indus" sont quasi absents dans ce "Archetype", cela fait étrange pour du FF mais leur patte reste tout à fait reconnaissable.
Bref un bon album pour ma part, rageur et très convaincant.
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