C’est inhabituel pour un inconditionnel des champs de bataille écossais, de devoir trainer bagages et faux du côté de la Mer Égée. En cette année
2012, la sombre silhouette à tête de mort souhaite prendre le soleil dans le sud, et jette ainsi son dévolu dans une autre contrée peuplée de légendes. C’est la Grèce qui est à l’honneur cette fois chez «
Grave Digger ». ….Ou plus exactement les enfers grecs. Veuillez me pardonner pour avoir omis cette importante précision. Car ne croyez pas que notre fossoyeur allait faire de la bronzette sur les plages de Naxos ou de Leucade. Son havre de paix c’est dans l’antiquité et dans le royaume d’Hadès qu’il le trouve. En témoigne cette superbe photo de vacances prise par Gyula Havancsak où on le voit endosser le costume de la Gorgone Méduse, probablement trouvé dans un magasin-souvenirs près du
Cocyte. «
The Clans Will Rise Again » a prouvé que le groupe n’était pas essoufflé, qu’il était encore capable de produire des compositions heavy metal de haute volée. On aurait pu croire que la présence d’un seul guitariste, du nouveau venu Axel Ritt, allait faire baisser le régime de «
Grave Digger ». Il n’en fut rien. La formule ayant donné satisfaction, celle-ci se renouvèle pour l’album suivant «
Clash of the Gods ». Du bonheur en perspective, et une visite inattendue des enfers guidée par la bande de Chris Boltendahl en personne. Le décor change mais «
Grave Digger » reste le même.
Notre périple commence donc sur les bords de l’Achéron, fleuve sans fond où s’aventure seul sur sa frêle embarcation
Charon le passeur. Celui-là n’accepte la traversée aux étrangers que contre une pièce en argent. Le sombre personnage est cupide. On comprend mieux sa solitude à brasser lentement ces eaux grisâtres. «
Grave Digger » retranscrit parfaitement l’image de ce batelier et de son quotidien sur «
Charon (Fährmann des Todes) ». Le titre, comme il est peu fréquent chez le groupe pour le souligner, est dans la langue de Goethe. On identifie un aspect brumeux et frissonnant dans la musique. Elle se déploie prudemment, au rythme des coups de rames de
Charon, accompagnée par des airs inquiétants d’accordéon. Le chant en allemand, glacial et prédateur, renforce le sentiment d’hostilité et de danger. Il va falloir nous en résoudre. Nous sommes au cœur des ténèbres. Les maudits que nous sommes devront aussitôt comparaitre devant le grand Hadès, dieu de la mort, dieu de la terreur sur «
God of Terror ». Nous retrouverons un heavy speed assez familier à la formation, dans la pure tradition germanique, brut et direct. Le refrain sera un stabilisateur en réduisant l’impact et le régime. Quelques brefs airs de synthé et une intervention efficace d’Axel en soli sur le dernier tiers piste tenteront de faire tomber la monotonie.
Comme on le reprocherait parfois à la majorité des groupes de heavy allemand, «
Grave Digger » n’offre pas beaucoup de sensibilité ou de perspective dans sa musique. «
Hell Dog » comme «
Death Angel and
The Grave Digger »ne révolutionnent aucunement le genre. C’est à la fois fort et monobloc, usant de riffs particulièrement tranchants. Mais tout cela ressemble trop à un long fleuve tranquille. Rien d’enchanteur sur les rivages du
Styx. On pourra voir davantage de couleurs et un paysage plus étoffé sur « Walls of Sorrows », qui alterne entre un heavy rude et endurci sur ses couplets, et le spleen, la souplesse des chœurs du refrain. De même le heavy speed massif teuton devra faire des concessions sur «
Warriors Revenge », laissant droit aux claviers de délivrer quelques légers airs orientaux et une ambiance harmonieuse sur le refrain épique et solennel. En parlant de refrain épique, personne ne sera insensible à celui de «
Home at Last », un peu considéré comme un hymne, et que certains on fait le rapprochement avec « Over the Hills and
Far Away » de
Gary Moore. Ça ne semble pas être d’une proximité si évidente, puisque le titre de
Gary Moore incluait une forte tonalité celtique que celle de «
Grave Digger » n’a visiblement pas, mais passons. Le titre, objet d’un clip et déjà présenté sur le précédent EP, n’est ni audacieux, ni stérile. Un heavy metal commun bien mis en jambes, s’il faut le résumer. Pourtant on s’attendait peut-être à quelque chose de plus surprenant de leur part à l’écoute de l’interlude « …With the
Wind » prévue pour l’introduire. Celle-ci se distingue par une ambiance froide et fantomatique très prononcée. À cents lieux donc de «
Home at Last » qui a plutôt tendance à nous embarquer réveillés.
Cette dixième piste ne sera pas la seule piste énigmatique au sein de ce qui ressemblerait déjà à une œuvre antique (et non mythique) de «
Grave Digger ». Ce serait d’ailleurs très dommage de ressortir de ces enfers grecs sans avoir été une seule fois surpris, effrayé. Il y a bien un « Call of the
Sirens » qui vous fera dresser quelques poils. La musique y est plus calculatrice, plus pesante, le rythme de guitare se met au ralenti. Quelques airs cristallins de claviers, et même de clavecin, seront là pour nous avertir des dangers qui rodent, du caractère surréaliste de l’endroit. On aura pourtant échappé antérieurement au regard figeant de la gorgone Méduse qui aura fait véritablement impression. Effectivement « Medusa » va s’inscrire dans les meilleurs moments de notre périple. Inquiétant, trépidant. C’est surtout par son engagement et sa mélodicité que le morceau impressionne. L’éponyme «
Clash of the Gods » marquera autant les esprits ; il interpelle par son côté martial, figé, mais aussi par les quelques airs traditionnels égéens venus en agrément. La voix de Chris tétanise littéralement sur place au passage du refrain. Lui que l’on critique essentiellement pour sa voix nous réalise là une prestation de titan.
Ceux qui ont pressenti le changement chez «
Grave Digger » peuvent aller se rhabiller. Pourtant, le fait d’avoir voulu aborder l’univers complexe et séduisant de la mythologie grecque aurait pu se traduire par une œuvre extrêmement ambitieuse. Au lieu de cela, nous empruntons des chemins habituels qui resteront plaisants pour les nombreux fans. Le heavy metal allemand actuel serait à comparer aux statues de l’antiquité. Dépourvu de ses couleurs d’autrefois, fixe et souvent dans son plus simple appareil, il attire néanmoins toujours autant le visiteur pour sa prouesse technique. Le mortel intrépide sera sorti intact des enfers. Sans doute pas ravi comme s’il avait vu et affronté divinités et héros, mais confiant, enthousiaste. Enthousiaste d’avoir croisé un «
Grave Digger » en forme et bien conservé malgré le temps qui passe et qui érode tout, y compris la plus somptueuse des pierres. Comme le disait Louis Pasteur « Ce sont les Grecs qui nous ont légué le plus beau mot de notre langue : le mot " enthousiasme" - du grec “en théo”, un Dieu intérieur ». Serait-ce des dieux devenus adeptes de la conformité ?
14/20
Mais idem concernant Medusa, le morceau sortant le plus du lot de l'album !
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