L’avant-gardisme musical est rarement associé à un succès commercial, la faute probablement à une ouverture d’esprit rarement partagée par le plus grand nombre.
Mais
Meshuggah est un de ces rares groupes à avoir sut à travers le temps continuer dans la voie expérimentale qu’il avait lui-même tracé tout en fédérant un public de plus en plus nombreux, expatrié d’un progressif conservateur et d’un death en proie à une phobie évolutive.
"
Chaosphere" avait imposé les suédois dans la cour des très grands notamment grâce au concept rythmique révolutionnaire des guitaristes fous Fredrik Thordendal et Mårten Hagström, surdoués ayant relevés le pari incroyable de jouer entre les temps et non plus les temps des partitions. Le son et l’atmosphère des morceaux s’en retrouveront complètement bouleversés. Complexe, exigu, étouffant, schizophrénique et excessivement lourd, la musique de
Meshuggah deviendra rapidement aussi unique que difficilement accessible, un chaos sonore, une torture auditive pour des tympans ne s’attendant pas à un tel déluge révolutionnaire qui se rapprochera des travaux de
Strapping Young Lad ou
Fear Factory de la même époque.
Catch 33"" a donc la lourde ambition d’aller encore plus loin dans l’exploration de la mécanicité des riffs, dans le caractère asphyxiant de la musique, pachydermique des sons. Fidèle à une volonté de renouveau, cet album est le précurseur dans l’utilisation de la guitare huit-cordes créée par les fêlés du nord. Une corde apportant un grain d’une noirceur impénétrable.
"
Autonomy Lost", premier filament de cet opus écrase l’auditeur dès les premières secondes, non pas sous une violence directe comme ce fut le cas par le passé mais sous un mastodonte sonore, un mur d’une épaisseur inimaginable. Les riffs sont lents et malsains, tournoyants tels des démons infernaux dans nos esprits pour installer une ambiance dérangeante et pesante autour de nous.
En quelques instants, la peur s’installe, chaque soubresaut rythmique est d’autant de frissons parcourant notre échine de long en large pour un voyage unique et imprévu, inachevé également.
"Catch 33" ne se présente pas comme une succession de titres mais comme une alliance de parties liées, formant une œuvre globale et non disséminée. Mais là où certains artistes parviennent à sortir complètement des sentiers battus lors de ce très risqué exercice,
Meshuggah se perd inutilement en route et propose quelques raccourcis quelques peu grossiers, plus par nécessité que par conviction.
Expliquons-nous, le niveau musical est presque inégalable dans le créneau, les solos si particuliers du groupe, complètement déstructurés et étrange, comme autant de lueurs malsaines dans ces absolues ténèbres, sont toujours présents, notamment sur "
Entrapment" ou "Dehumanization" mais utilisés avec plus de parcimonie.
En ce sens, les suédois opèrent un véritable coup de génie. Les excès techniques parfois abusifs des albums précédents sont ici utilisés lors de passages murement réfléchis, et provoquent un effet sans doute plus précieux et important (le fait de les utiliser toutes les trois minutes ne les avantageait plus !).
De même, l’enchainement mélodique des trois premières plages, formant un bloc monolithique et indissociable est très réussie, l’apparition progressif de chorus de guitare dans le paysage sonore dégageant un sentiment de perte de confiance et de contrôle grandissant au fur et à mesure que l’écoute se prolonge. Le terme glaçant devenant un euphémisme face à une telle froideur, une rigueur également présente dans le chant déshumanisé de Jens Kidman, hurlant de manière rédhibitoire pour un être sain d’esprit, fusion de haine et de désespoir poignant et belliqueux, dévoilant tout l’extrémisme dont l’âme humaine est capable.
Les expérimentations spatiales de "Mind’s Mirrors" également ne manqueront pas de choquer. Amalgame des grincements d’"Elactic" et de voix robotiques et hypnotiques absolument superbes, ce passage est sans contexte la pièce la plus difficile à critiquer car absolument splendide d’inspiration et de musicalité (la mélodie suivant cet instant, répétitif, tournant dans sa boucle harmonique inlassablement avant de voir le paysage exploser dans une symphonie de sonorités glaciales et une nouvelle fois étouffantes).
Le très long interlude "In Death – Is Death" à l’influence cinématographique et l’ambiance morbide, macabre, planante tel un dieu en quête d’âmes tourmentées. Puis l’explosion haineuse de "Shed", jouissive de violence et de rage, prônant une autodestruction dont Jens semble devenu expert dans l’art de la déployée vocalement.
Non, individuellement, "Catch 33" est une œuvre volant au dessus des scènes actuelles, mais c’est dans sa globalité qu’il pêche. Car à vouloir être irrésistiblement dans une même trame,
Meshuggah est parfois dans l’obligation de proposer des climats asymétriquement opposés…sans jamais avoir l’opportunité de revenir à son thème initial. Les morceaux se suivent dans un rapprochement temporel mais sont irrémédiablement séparés par des atmosphères musicales radicalement différentes.
Là où
Beyond Twilight ou plus récemment
Kalisia réussissent à garder une trame tout au long de leur œuvre,
Meshuggah perd le fil qu’il a lui-même tissé, rendant l’écoute globale parfois décevante. On ressent comme un manque, ce sentiment d’avoir touché quelque chose de vraiment particulier de très près tout en sachant qu’un élément cloche, mais en identifiant cet élément malheureusement trop tard.
En effet, ce n’est qu’une fois l’écoute terminée que l’on s’aperçoit de cette analyse, faisant suite à de très nombreuses écoutes dont le constat se révèle aussi aliénant que presque découvert avec regret.
Les suédois passaient de très près à côté d’un génie musical qu’ils côtoient depuis leur début, "Catch 33" représente néanmoins la difficulté d’une réelle prise de risque, une manière qui, si elle n’est pas totalement réussie, devient de plus en plus rare avec le temps qui passe.
Sans être un couronnement, il est simplement une pierre magistrale de plus sur un édifice demeurant inviolable et inaccessible.
Leur musique ne me touche finalement absolument pas, mais je reste interrogatif face aux excellentes critiques, qui ne me parlent pas.
Je cherche mais je ne voit sérieusement aucun point faible.
le concept autour du paradoxe et de la mort que tu ne peux qu'aceppter est génial.
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