« Ce qui se paie n’a guère de valeur ; voilà la croyance que je cracherai au visage des esprits mercantiles »
Friedrich Nietzche - "La volonté de puissance"
Telle se définit l’ambition musicale de
Meshuggah depuis "
Destroy Erase Improve". Un monde musical résolument unique, torturé et malsain, sentence d’une humanité en proie à ces derniers instants.
Les suédois, emportés par les phénoménaux guitaristes Mårten Hagström et Fredrik Thordendal, savants fous de la sept, puis huit-cordes (à partir de "Catch 33"), ont toujours véhiculé une envie et une volonté anticonformiste de ne pas faire comme les autres, de s’abonner à un style unique pourtant inspiré par les grandioses aïeux du thrash américain que sont
Anthrax ou
Testament pour le configurer de manière infiniment plus unique et dérangeante.
Une production glaciale sur laquelle se construit un mur de guitares d’une lourdeur peu commune, écrasant de manière impressionnante l’auditeur, des solos basés sur une polyphonie révolutionnaire provoquant des sonorités novatrices et symboliques d’une déficience mentale certaine (musicalement tout du moins !) créant des pluies de notes malsaines et d’une noirceur totale.
Puis pour parachever ce tableau dément, des vocaux d’aliénés, hurlés d’une manière aussi crue que sincère, sans aucun effet ni bidouillage de studio afin d’accentuer la haine ou la schizophrénie. Jens Kidman chante naturellement, et nous partage sa folie…avant que l’on ne tombe également dans ce précipice sans retour de la psychiatrie.
« Nous ne tenons jamais au temps présent. Nous rappelons le passé ; nous anticipons l’avenir […], si imprudents que nous errons dans des temps qui ne sont point nôtres, et ne pensons point au seul qui nous appartient. »
Pascal - "Pensées"
Meshuggah lui, a bien compris cette citation et a fait en sorte que le présent lui appartienne.
"
Chaosphere" est en effet l’album les ayant fait définitivement exploser à la face d’un monde qui venait de vivre le démentiellement violent "City" de
Strapping Young Lad également produit par un Daniel Bergstrand, alchimiste des prouesses sonores de ces deux groupes proprement révolutionnaires.
Le choc que l’on reçoit à l’écoute de "New Millennium Cyanide Christ" est tout bonnement monstrueux : des guitares saccadées à outrance nous matraquant le crâne avec fureur, des solos en polyphonie absolument immenses d’inspiration et de perplexité, une atmosphère lourde et incroyablement malsaine lorsque Jens ne fait plus dérangé en respirant et insufflant un vent de ténèbres sur le morceau.
Les riffs se font répétitifs, renforçant l’aspect aliénant de la musique et l’envie de plus en plus irrésistible de se jeter dans le vide. "
Neurotica" est probablement le titre allant le plus loin dans cette direction, l’humain ne devenant plus qu’un outil face à l’épanchement robotique de la musique (la batterie sur le break est impressionnante de rigidité !). Et que dire de sa conclusion, formant une masse abyssale et hypnotique avant l’explosif et très brutal "The Mouth Licking What You've Bled", techniquement fantastique et artistiquement très subtil (si j’ose dire) avec l’apparition fréquente de lignes de guitares étrangement accordées en toile de fond, déployant une atmosphère confinée et semblant nous posséder complètement, ne nous laissant aucune porte de sortie, effroyable.
Le paroxysme de la terreur musicale sera atteint sur "Elastic", hallucinant sur plus de quinze minutes. Débutant sur un rythme relativement traditionnel de
Meshuggah, l’harmonie s’effile tout au long des cinq premières minutes avant de voir venir le premier pont du morceau, semblable à l’atterrissage mécanique d’un engin extraterrestre, glaçant passage (avec l’utilisation une fois de plus de la polyphonie) de plus d’une minute se répétant inlassablement afin d’installer ce sentiment de peur chez l’auditeur, une frayeur qui ne le quittera plus…jamais.
Puis le bruit.
Pas de musique, juste des sons, des grésillements, des interférences entre l’homme et la machine, incompréhensibles pour nous mais pourtant tellement expressifs. La tension monte, inexorablement. Les tripes en nous se tordent, le malaise s’installe…pendant de longues minutes, très longues, étouffantes, suffocantes…et la libération.
Une libération devenant encore plus horrible que le pire des cauchemars auxquels nous étions en droit de nous attendre. Une masse sonore devenant presque inaudible, un déluge de violence et de chaos, une brutalité innommable laissant sans voix, un spectre mélangeant presque tous les autres titres de l’album, une cacophonie à la centaine de pistes ne laissant pas indemne. Et subitement la fin, le silence, le néant, aussi dérangeant que le chaos, nous plongeant dans l’expectative et la confusion. Sommes-nous toujours vivants ?
« Tant que nous existons, la mort n’est pas, et lorsque la mort est là, nous ne sommes plus »
Epicure - "Lettre à Ménécée"
La mort ?
Meshuggah semble conter avec "
Chaosphere" un chaos à venir, une torture sonore entre création et destruction, haine et nihilisme, à l’ultime frontière de la vie et de la mort. Kidman semble nous souffler les paroles de l’au-delà mais, encore au stade vivant que nous sommes, ses mots nous terrifient et nous plongent dans un océan de paradoxe. Il n’est que le messager de l’horreur à venir, d’un monde que nous ne découvrirons que lorsque nous « ne serons plus ».
Les citations philosophiques sont vraiments sympas.
Tu m'as vraiment donné envie de m'y pencher (je ne connais que obzen d'eux, je l'adore vraiment)
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