Numquam deditionem : cette fière devise latine apparaît dans le livret du nouvel album de
Saxon «
Carpe Diem », décidément très lettres classiques. En français, on la traduirait par « n'abandonnez jamais » ; en anglais, cela donnerait plutôt «
Never Surrender », tout un symbole. Le nom d'un titre fondateur de ce dinosaure de la NWOBHM et l'ambition conquérante exprimée par un groupe qui ne cesse de défier victorieusement l'inexorable loi du temps qui passe (tempus fugit, pour moi ça marche assez bien, hélas).
Saxon, combien d'album au compteur en 45 ans de vie active ? J'ai du mal à compter, voyons, 25 ? 24 en enlevant le sympathique album de cover bouche-trou de temps de pandémie qu'est «
Inspirations », réclamé par la maison de disque. Une œuvre éminemment respectable, sans véritable naufrage, même si la fin des années 80 qu'ils avaient si glorieusement inaugurées n'est guère à leur avantage. Mais, c'est paradoxal pour une légende, sans album ultime non plus. Biff a beau dire, non, «
Power and the Glory » n'égale pas un « Number of the
Beast ».
Sur les dix dernières années,
Saxon a produit quatre albums. Un riche et gratifiant «
Sacrifice » (2013), puis «
Battering Ram » et «
Thunderbolt », intéressants mais qu'on a pu décrire avec raison comme tournant en roue libre. Qu'en est-il de ce «
Carpe Diem » qui aurait dû sortir beaucoup plus tôt sans les péripéties sanitaires des deux dernières années ? On n'a pas l'album parfait qui arriverait, convenons-en, comme un cheveu sur la soupe à ce stade de l'histoire du groupe. On n'a pas non plus, ne délirons pas, un disque à même de rivaliser avec les immortelles sorties de la prime époque. Mais ce qu'on a, c'est sans doute le meilleur
Saxon depuis bien longtemps.
Ce vieil enquiquineur de philosophe grec, Héraclite, a raison : on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Et pourtant, la grâce d'une production inspirée conjuguée avec l'ardente participation de vieillissants mais talentueux artistes peut donner l'impression de remonter le temps. Avec la collaboration du groupe, la prod et le mixage d'Andy Sneap va déboucher sur un son raw qui met en évidence la guitare et le riff. On a très peu d'effets de synthés sur «
Carpe Diem », le son vise celui des débuts, acide, brut et métallique, avec la profondeur que peut apporter une production moderne ; sans, bien sûr l'inégalable tranchant initial.
Saxon donne l'illusion jouissive de revenir à ses premiers printemps et comme ce sont aussi les nôtres, on entre volontiers dans le fantasme.
Si seuls deux membres fondateurs subsistent, deux autres traînent dans la bande depuis les années 80 et le « p'tit jeune », Doug Scarrat, l'intègre en 1995. De quoi forger un solide esprit de corps. De quoi aussi s'émerveiller de les voir toujours autant déborder de tonus et d'enthousiasme. Valable en particulier pour les patriarches : Paul Quinn a beau ne pas beaucoup bouger sur scène, il n'a assurément pas d'arthrose dans les doigts. Et Biff, oh lui, il a signé un pacte avec le Diable : aussi impérial en concert qu'en ses vertes années, sa voix reste indestructible. Numquam deditionem. Il m'avait impressionné en 2018 au Bataclan, force est de constater qu'une crise cardiaque et quatre ans de plus n'ont même pas ébréché son organe. Je soupçonne ce mec d'avoir planqué dans son grenier la version musicale du portrait de
Dorian Gray.
Oubliée la tentation « prog » des derniers albums (Biff revendique ce qualificatif que je ne cautionne pas). La compo est épurée, fondée sur la solide succession couplet-refrain-solo, elle ne laisse place qu'à peu de fioriture sur les intros ou d'éventuels breaks plus ou moins longs. Elle n'est pas pour autant basique et parvient à surprendre. Le fougueux Age of Steam est bref (3'10), il faut prendre du recul pour réaliser qu'il est pour moité instrumental tant la voix vient se lover comme dans un nid dans un riff accueillant, tant le refrain est triomphant. On ne sent pas passer la longue minute introductive où la guitare est reine, la rythmique exultante ; la paire Quinn/Scarrat nous y pond un superbe double solo, d'abord linéaire et torturé, puis plein d'optimiste musicalité. Le propos est chargé de fierté ouvrière, à l'instar d'un Made in Belfast, et défie l'unanimisme écologiste contemporain : célébrant la révolution industrielle et les promesses du progrès technique, on n'accusera pas
Saxon de surfer sur l'air du temps.
Chez un groupe majeur, l'ambition du retour aux sources est lourde du risque de redite et «
Carpe Diem » n'y échappe pas. J'aimerais découvrir
Saxon avec le vrombissant Dambusters, dont le riff ronflant évoque les moteurs des Avro Lancasters partis bombarder les barrages de la Ruhr et dont les coups de boutoir de rythmique émulent la meurtrière flak au dessus de l'objectif (joli solo acéré au passage). Mais voilà, l'application enthousiaste et zélée d'une recette mille fois entendue ne suffit pas à rendre inoubliable un titre formellement impeccable.
Il y a pire reproche, celui de recyclage (écologiquement c'est bien, musicalement moins). On pardonnera la parenté du riff de Remember the
Fallen avec celui de
Forever Free tant le premier titre est supérieur à son aîné. On coincera nettement plus avec The
Pilgrimage. Est-ce l'inspiration médiévale ? Arpèges et riffs de ce low tempo sont carrément pompés sur ce hit qu'est
Crusader. Il faut attendre la basse veloutée et l'émouvant solo du long break pour passer à autre chose. Encore une fois, les anciens seront plus gênés que les heureux newbies, il s'agit d'une belle chanson, intimiste et spirituelle, là où
Crusader est épique.
L'épopée n'est d’ailleurs pas absente de «
Carpe Diem » avec le presque éponyme
Carpe Diem (Seize the Day). Une courte intro tintinnabulante avec tambours martiaux et buccins précède l'entrée en matière explosive d'un riff plein d'allant et un Biff aussi impérial qu'emphatique : « They came, they saw, they conquered ». On s'interroge malicieusement sur la cohérence entre la conquête romaine de Britannia et l'épicurienne maxime : le service du légionnaire sur le mur d'Hadrien ne devait pas être une partie de plaisir.
La sensibilité est plus à l'honneur dans l'étonnant hommage aux morts du Covid qu'est Remember the
Fallen, où un riff sec tout de retenue contraste avec le pathos que fait passer le chant d'un Biff inspiré, sans parler d'un solo débordant d'émotion. C'est aussi une souveraine émotion qui sous-tend la voix de Biff sur
Lady in Gray, caressante sur le refrain, d'une sensibilité écorchée sur les couplets, qui transcende un substrat instrumental lourd et heurté. Sur le plombé Black is the
Night, grinçant et lourd, au break étonnamment psychédélique, un Biff solennel ne fait pas passer la même charge.
Le reste est une glorieuse course de vitesse. Le speed extatique de Super Nova, malheureusement affadi par des chœurs émollients sur le refrain ; le Rock'n Roll survitaminé frais et joyeux de Living on the Limits (mais oui, don't be afraid to ride the storm, just take the bull by the horns !) ; et mon chouchou de l'album au terme de moult écoutes, l'enthousiaste All for One. Je n'ai jamais saisi l’engouement des Anglo-
Saxons pour les Trois Mousquetaires (bon, cet All for One ne vaut pas celui de
Raven, même s'il est plus fidèle à Alexandre Dumas), mais ce titre pétulant, hargneux et jubilatoire est la quintessence de l'art de
Saxon, décidément intemporel.
Avec «
Carpe Diem »,
Saxon fait honneur à son nom. Rares sont les artistes capables de de se ressourcer avec une telle fraîcheur. L'album n'est pas exempt de défauts, mais il est gorgé d'un enthousiasme inaltéré, d'une inébranlable passion pour le
Metal. Numquam deditionem!
Salut Adxbbr ! Merci pour ton post, je vais tenter de clarifier les choses.
Mon tout premier concert de Metal, c'était Saxon en 1980. J'ai le plus immense respect pour ce groupe, comme tu dis une pierre angulaire de la NWOBHM : impossible de leur contester ça. Je pense d'ailleurs que ça transparaît dans ma chro, ou alors j'ai raté un truc. Saxon a sorti de fabuleux monuments, mais quand je dis qu'il n'a jamais produit l'album parfait, c'est juste qu'à mon goût il y a toujours un petit truc qui manque, un ou deux titres plus faibles.
Rien de grave, ça se joue à un pouillème de poil de cul, mais le Maiden des années 80 est impérial et pour moi, joue dans une catégorie légèrement supérieure. Et sur la durée (les sept premiers albums, quoi, après faut voir...). C'est juste mon impression, une chronique n'est jamais que de la subjectivité mise en forme, je ne prétends pas asséner des vérités
.
Oh, et pour le latinisme, mon latin, je l'ai appris dans Astérix, et pour traduire des trucs du latin vers le français, en ligne, c'est assez facile
!
J'espère que tu trouveras ce Carpe Diem aussi gratifiant que moi.
Un album de qualité, efficace, sans longueur, qui n'invente rien mais qui s'écoute avec plaisir.
Appréciant les classiques de Saxon (le fameux trio mentionné ci-dessus), je ne peux qu'abonder dans le sens d'Hibernatus pour dire qu'ils ne jouent pas dans la même catégorie que la vierge de fer, ce qui de doute manière est le cas de la majorité des groupes, aussi bons qu'ils soient.
Chronique d'excellente facture que j'ai lue avec beaucoup de plaisir, merci Hibernatus.
Merci copain pour ta chro éclairée, je trouve aussi que cet album de Saxon est un grand cru, un hommage assumé au grand Saxon des 80's...
Je suis d'accord avec Adxbbr : Wheels of Steel, Denim and Leather, Strong Arm of the Law sont des pierres angulaires de la NWOBHM. La musique de Saxon et leurs Thèmes sont différents de Maiden et c'est tant mieux pour la diversité et donc la richesse du Metal. Longue vie à Biff et Paul !
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