« Il n’y a pas que le crépuscule des dieux, il y a aussi une nuit profonde et impénétrable »
Francis Owen
Une nuit profonde…impénétrable…métaphoriquement une masse sonore glaciale…et aussi opaque que la saturation industrielle peut le permettre.
Sans aucune couverture médiatique,
Marilyn Manson va mettre le feu aux poudres en cette année 1996, et graver son nom à jamais dans l’histoire de la musique et des ennemis publics numéros un.
Faisant suite à un premier essai immature et bassement scatophile et diffamatoire (sans véritable forme d’intelligence littéraire), Brian Warner va transfigurer son personnage et, de sa collaboration avec Trent Reznor (
Nine Inch Nails), il va savoir en tirer le meilleur afin de parachever ce qui formera son chef d’œuvre absolu, l’inestimable, féroce et destructeur "
Antichrist Superstar".
Traitant de l’aveuglement des masses américaines face à l’hypocrisie religieuse et les dérives de la société, cet album se veut également le plus impressionnant d’un point de vue textuel, tant la recherche des paroles, l’intelligence d’écriture et la force du propos est forte, conférant un relief encore plus fort aux compositions en tous points exceptionnelles.
Rester de marbre face aux vocaux d’aliénés d’"Irresponsible
Hate Anthem", sur lequel il hurle autant comme un damné qu’il va susurrer à notre horreur avec un aspect tourmenté, narquois et dérangé aussi hypnotisant, fascinant que déstabilisant.
La musique, forcément cohérente sur ce long concept, croise de nombreuses frontières, notamment l’indus et l’électro, dans une fusion totalement neuve et originale. "
The Beautiful People", aux accents rock industriel, propulsé par les lignes de chant complètement décalées de Manson, démontrent tout le talent de ce génial imposteur, faisant à peine la distinction entre l’homme et le personnage.
Malsain à souhait, l’œuvre qu’à enfanter le plus célèbre des cinglés, démontre une volonté de mettre en garde contre la religion bien plus sincère que la mascarade actuelle de l’église de
Satan.
La musique, si solennelle mais paradoxalement étrangement accessible, fut le meilleur outil de propagande qu’il pu utiliser pour étaler sa haine sur le monde.
La production minimaliste mais incroyablement puissante et claire de Trent parvient à rallier l’aspect clinique et maladif de la tourmente de Manson au côté excessif et exhibitionniste d’une musique sachant se faire simple, sans être inintéressante ("
Antichrist Superstar", "
Angel with the Scabbed
Wings").
A l’inverse, un morceau comme "Dried Up, Tied and
Dead to the World", ou le phénoménal "
Tourniquet", surprennent et obnubilent par cette capacité extraordinaire à créer des lignes vocales aussi délicieusement malsaines. Le chant devient expression à part entière, à l’instar de cris d’appels aux secours, ou de hurlements d’impuissance d’un être devenu fou par la vision du monde dans lequel il vit. Ce sentiment d’entendre un homme tourmenté, mais par-dessus tout complètement fou, avec quelques moments d’accalmies (les passages clairs de
Tourniquet qui mène à ces hurlements proprement jouissifs) symbolisent ce changement d’état lors de la vision omnisciente de notre société.
Formant un ensemble dans sa structure, "Cryptorchid", "Deformography" ou "Wormboy" ne cesse de laisser éclater tout le talent de
Marilyn Manson, loin de ce simple agitateur sans talent que tant de personne se plaise à présenter.
La performance vocale ne fut jamais égalée à ce jour et il y a fort à parier qu’elle ne sera jamais détrônée (les effets emplissant le spectre de "Cryptorchid" reste un exemple de toute l’expérience qu’aura apporté le maitre Reznor à l’élève Manson).
Les écarts punk qui prendront le pas sur "
Mechanical Animals" sont encore très peu présents, hormis sur le débridé "1996", composition la plus rapide de l’album et tranchant sans doute un peu plus avec le reste que le magnifique "Man
That You Fear" qui clôture le blasphème. L’influence d’
Alice Cooper surgit alors, tel un spectre, derrière l’âme damné de l’artiste, dans cette mélancolie où les samples s’arrachent le peu de force qu’il reste à Manson pour délivrer sa prophétie. Son chant apparait fatigué, désabusé, à bout de force, presque en retrait, étouffé par l’atmosphère.
Ainsi s’achève "
Antichrist Superstar"…loin de tout, loin de son introduction si véhémente, loin de ses écarts scandés et dictatoriaux (le refrain du titre éponyme évoquant une campagne politique militariste)…comme asphyxiée par la trop grande force du message pour un seul homme, un homme, ou plutôt un personnage, qui ne vécu que par la provocation et la haine d’autrui, un homme intelligent et quelque part visionnaire…un élève doué.
« La provocation est une façon de remettre la réalité sur ses pieds. »
Bernard Dort
En fait un seul truc me dérange : les 82 pistes de silence de 4/5 secondes chacune pour aboutir a un outro un peu limite. Finir le disque sur Man That You Fear aurait été magique.
Bonne chronique au passage !
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