C’est à Jonquière (Quebec), futur arrondissement de la ville de Saguenay, que cent ans et un peu plus de deux kilomètres séparent les églises Saint-Dominique et Notre-Dame-de-
Fatima.
La première de ces deux églises a été construite dans un style néo-médiéval, mais ses vitres rappellent les bâtiments parisiens de l’époque haussmannienne. Quand vivait le baron, les grands espaces et le temps avaient une importance toute particulière. A contrario, l’église de Notre-Dame-de-
Fatima a l’air d'être sortie du temps. Ce cône pourrait provenir tout droit d’un roman de science fiction, qu’on ne s’y trompe pas, c’est Paul-Maris Côté qui en est l’architecte.
Le groupe
Voivod, inspiré peut être par ces bâtiments et la vision d’un futur sans cesse entrain de s’effondrer, se forme en 1982.
Le groupe est initialement composé par Piggy (Denis d’Amour) à la guitare et Away (Michel Langevin) à la batterie, mais très vite le duo recherche un bassiste et un chanteur. Blacky (Jean-Yves Thériault) va se proposer pour manier l'instrument à quatre cordes et
Venom (Denis Belanger), un ancien ami de lycée, sera en charge du chant.
Le groupe commence par reprendre, et notamment dans leurs cassettes autoproduites, des groupes comme Motörhead,
Judas Priest,
Raven,
Venom ou
Slayer. Tant de noms célèbres qui donnent à
Voivod un bagage musical non négligeable. Pour autant, le groupe cherche à se démarquer et commence alors à répéter les compositions de Piggy et d’Away.
Le batteur, dont l'imagination débordante ne s'arrête jamais, créé un «contexte» dans lequel le groupe devra évoluer. Ce «contexte» ce relève être une véritable mythologie autour de leurs créations musicales :
Voivod raconte l’histoire d’un monde post-apocalyptique nommé
Morgoth. Parmi les habitants de
Morgoth, les
Voivods sont des survivants (d’origine slave «Voji –Vod» : Chefs des guerriers) qui combattent et pillent le monde de glace. Le plus célèbre des ces « guerriers des glaces» est Korgull l’Exterminateur, qui bien que présent sur la pochette du premier album, n’a pas encore de nom et ne naitra véritablement que dans le second effort du groupe (
Rrröööaaarrr).
Cette littérature d’un futur à mi-chemin entre la science fiction et fantasy est peu enjouée. Away réalise ici, en écrivant avec
Venom la plus part des textes et en peignant ce monde, peut être une critiques peu flatteuse et poussée à l’extrême du monde dans lequel le groupe évolue. Le batteur le dit d’ailleurs lui-même «on associe
Morgoth à Jonquière».
Cette critique est évidemment plus poussée et reprend certains thèmes de l’idéologie punk, comme l’emblématique (et caricatural) «
No Future». Prenant à contre courant la politique de Reagan, le but est de montrer que le monde actuel, celui du groupe en 1984, n’a pas d’avenir si les masses ne se soucient pas plus de l’écologie, de la paix ou de la tolérance.
Wayne Archibald, connu pour avoir lancé
Deaf Dealer (un autre groupe de Jonquière d’abord nommé
Death Dealer), a rencontré le groupe au cours de l’année 1983 et a envoyé l’une de leurs démo à Brian Slagel. Le nom de Brian Slagel n’est peu être pas toujours bien connu, mais il est l’homme de la scène NWOBHM underground du début des années
1980 et a contrecarré le poids des majors en créant son propre label :
Metal Blade Records.
C’est donc sur la cinquième compile de ce dernier,
Metal Massacre V, que le groupe apparait en 1984 avec le titre «Condemned to the
Gallows».
Trois semaines après l’enregistrement de ce titre, le groupe reçoit une proposition de Slagel pour enregistrer un album. L’aventure
Voivod commence alors.
L’album est enregistré au Québec, non loin de Jonquière (à Laterrière, un arrondissement de Chicoutimi pour être précis) en juin de la même année, en un peu moins d’une semaine, et sort sous le label de Slagel en aout. La réception du public est très bonne et le groupe en vient même a être comparé à
Venom, ce qui classe le groupe pour un certain nombre de journalistes de l’époque comme nouveaux venus dans le monde du « Black
Metal » (en référence à l’album de
Venom). Le groupe se défend et indique qu’il ne joue que du «
Power Metal ».
«
War and Pain » raconte le réveil de Korgull dans le monde de
Morgoth, et il faut avouer qu’il est plutôt brutal (le monde comme le réveil) !
L’album commence avec un bruissement de chaines mécaniques auquel se superpose la guitare qui plaque des accords lugubres. La «hache brulante en métal » de Piggy est coupée par le cri de
Venom : «
Voivod !! » bienvenue dans les landes de
Morgoth.
Digne d’une bande originale d’un film post-apocalyptique (genre plutôt prolifique au début des années
1980), le titre «
Voivod », comme l’album, est rapide, violent et cru.
Quelques titres sont toutefois un peu plus lents, mais pas moins chargés de lourdeur et de malaise, il faudra reconnaitre ici «
Live for Violence » ou «
Nuclear War ».
La plupart du temps c’est Piggy qui mène le bal en faisant hurler son instrument, à la manière d’un Kerry
King ou d’un Jeff Hanneman, lors des solos. Comme le montre le morceau le éponyme de l'album (certainement le meilleur), cette guitare est une véritable incision crânienne, garantie sans douleurs, une voix à elle seule.
Le chant en revanche n’est pas phénoménal,
Venom oscille entre les cris de rage et les envolées lyriques, comme sur « Blower » par exemple. Mais
Venom est à l’époque un jeune chanteur, tout comme Blacky est un jeune bassiste : il ne savait pas jouer de la basse avant que Piggy ne lui montre ! Le rôle de Blacky est donc mineur dans cet album (il le sera beaucoup moins dans les opus suivants) et se contente d’assurer la rythmique avec Away.
Ce dernier, bien que jeune batteur lui aussi, sait se montrer plus convainquant. Même si les rythmes de l’album sont similaires, il faut noter que certains titres comme «
Suck Your Bone », «
Live for Violence » ou « Black City » sont très bien exécutés pour quelqu’un qui n’est derrière les futs que depuis un an et demi.
Cet album peut sembler à la première écoute un peu brouillon et confus, mais le groupe en est à ses premiers balbutiements (ou braillements c’est selon) et cette jeunesse s’avère être très prometteuse.
La hargne est un élément essentiel de ce premier album au rythme soutenu et aux sonorités crues, malgré un son pas toujours d’une excellente qualité. L’enregistrement éclair de l’album est surement à l'origine de ce son brut (les instruments étant enregistrés tous en même temps), mais il ne cache pas le potentiel du groupe;
Avec «
War and Pain » et ses titres rapides (mais pas « courts » entendons nous bien), le groupe évolue donc dans ce que l’on pourrait appeler un « progressive hardcore doom’n’roll », mais le nom de «
Nuclear Metal » comme certains fans aiment à l’appeler convient aussi très bien (et clarifie tout).
Le groupe s’est créé une identité, qui est mise en avant dans les textes, mais semble encore indécis quand au « style » musical et son qu’ils doivent adopter.
En vérité peu importe,
Voivod à mi-chemin entre le hardcore et le NWOBHM lance ici l’une des pépites fondatrice du Thrash
Metal et peut se vanter d’avoir été convainquant dès le premier album, ce qui n’a pas forcément été le cas de tous les grands de ce genre. Tout ceci sans compter que le bulldozer qu’est «
Rrröööaaarrr » est à venir.
L'église Notre Dame de Fatima a melheureusement été détruite en 2017 :(
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