On peut être et avoir été : c'est une maxime qui irait comme un gant à Voïvod. Fer de lance du thrash industriel à la fin des années 80, le groupe est resté en activité presque ininterrompue depuis. Malgré une période de gros-moins-bien de plusieurs années (où décennies), et le décès de son guitariste iconique Denis D'Amour, alias Piggie, les Québécois ont fait un retour fracassant en 2018, artistiquement parlant avec leur album "
The Wake", qu'on pourrait qualifier de divinement inspiré.
En voyant arriver son successeur à peine quatre ans plus tard, la question évidente qui se pose est de savoir s'ils vont continuer à piocher dans la veine fertile qu'ils ont découverte ou se rendormir dans un thrash indus aussi morne qu'une nuit de veille dans un complexe pétrochimique.
Il faut dire que la genèse de ce nouvel opus n'a pas été simple, puisqu'elle s'est faite en quatre petits mois, pendant la période de pandémie, à la suite des livestreams qu'ils avaient travaillés pour "
Dimension Hatröss" et "
Nothingface". Il leur a
Fallu se contenter d'échanges de démos et de fichiers, sans avoir beaucoup l'occasion de se voir, pour mettre en forme l'album. Les quatre n'ont pu se réunir vraiment que quelques semaines avant l'enregistrement au RadicArt Studio, pour que
Snake mette en place le chant, vérifier que tout collait et faire de petits ajustements. Ils ont cependant pris la situation comme une opportunité créative, d'aucuns se seraient cagués dessus...
L'artwork dessiné comme toujours par le batteur Away, semble avoir été tracé d'une craie stridente sur un tableau noir par un petit pervers polymorphe aux cauchemars envahissants. L'univers de Voïvod est gouverné par l'étrangeté, hanté par la voix atypique de
Snake, conteur à la verve punk. Si leur seizième album se situe dans la continuité du précédent, je ne peux m'empêcher d'y voir un genre de réminiscence de "
Nothingface", dont il reprend la veine prog, en étant foncièrement mélodique, tant dans la musique que dans le chant clair de Denis "
Snake" Bélanger, sur lequel plane un éternel sourire de clown démaquillé.
La complexité musicale de leur propos est contrebalancée par un nombre de couches limitées : pas de superflu, à l'image des parties de Daniel Mongrain "Chewy" (ex-
Martyr (CAN), ex-
Gorguts,...), qui sont recentrées sur une ligne de guitare principale. S'il y a des doublages ou des digressions, c'est de manière discrète, comme pour être fidèle à ce que seraient les morceaux joués en live. Le son de guitare, d'ailleurs assez uniforme sur la longueur de l'album, est sobre, presque chaud et ne chuggue pas tant que ça, avec une attaque plus heavy que thrash. La basse de Dominic "Rocky" Laroche prend d'autant plus de place dans le mix, avec un son plein au grain bien défini, dont la lourdeur se fond parfaitement aux coups de boutoir du kick de la batterie d'Away. Les parties de basse sont impressionnantes et font presque un album dans l'album, tellement elles sont riches, qui serait une mine d'or pour un apprenti qui voudrait bosser la quatre cordes.
Il y a quelques appels du pied au Voïvod plus calme des années 90 : des choeurs planants sur la pièce "
Synchro Anarchy", une fraîcheur rock qui fait taper du pied sur le jouissif "Holographic Thinking". Evidemment, si la musicalité est mise en avant, il est inévitable que par mécanique des vases communicants, il manque un peu l'agressivité et la violence froide dont les québecois étaient friands au début de leur carrière. Il y a bien quelques rythmiques rapides et D-beats de-ci de-là, mais on pourrait presque parler de thrash doux-amer, la rage ayant laissé place à une mélancolie prégnante. La batterie est plus droite qu'à l'accoutumée, même s'il y a des signatures rythmiques barbares, mais c'est souvent la guitare et la basse qui créent les décalages. C'est le genre de twist qui vous retourne comme une crêpe sur "
Paranormalium" lorsqu'arrive une rythmique binaire transfigure un riff moteur délicieusement tordu.
Dans sa globalité, cet album est donc aussi brut que sa pochette, et a quelque peu délaissé les orchestrations complexes et le mysticisme parfois abscons de "
The Wake". Cette humilité se retrouve dans les structures des compositions, plus évidentes qu'auparavant, avec des durées contenues, un seul titre dépassant les six minutes ("Mind Clock" et son riff au spleen slayerien).
Relativement accessible, "
Synchro Anarchy" fournit un joli panoramique sur la musique du combo et une porte d'entrée idéale pour le néophyte qui voudrait s'initier aux plaisirs interdits des notes dissonantes. Alors évidemment c'est du Voïvod, "du pur Voïvod" dixit les membres du groupe, mais j'ai pu noter des passages plus classiques , comme le solo délié à la
Steven Wilson sur "The World Today", ou la fin majestueuse et pure, comprenez sans tritons malicieux, de "Quest for
Nothing". On peut dire que le combo canadien vit un second âge doré au lieu d'une rentrée dans le troisième âge, et parvient encore à se renouveler en exaltant son essence inimitable.
Déjà séduit par les écoutes sur la toile , ta chronique me conforte dans l'idée que cet album , prochainement , sera mien . Mon portefeuille ne te dit pas merci JeanEdernDesecrator !
De rien, Toto72, ce seront des deniers bien investis, et vu le tas de grosses sorties en ce moment, les CB vont couiner !
Je suis en total accord avec cette chronique! Je vais de ce pas recuperer cette magniique galette ^^ Merci à toi
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